N. 20 - 2022

Placement et maintien en détention hautement sécurisée d’une personne atteinte d’un handicap mental

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Commentaire sous Comité des droits de l’homme, constatations du 2 juillet 2021, A.S. c. Australie, communication n° 2900/2016, U.N. doc. CCPR/C/132/2900/2016

Le 27 septembre 2020, lors de la 75e session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ci-après, « ONU »), le Secrétaire général a présenté un rapport sur les droits de l’homme dans l’administration de la justice[1]. Il y invite les États parties à soutenir l’initiative de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées[2] visant à élaborer des principes et directives internationaux sur l’accès à la justice de ces dernières[3]. Il est rappelé au titre du premier principe que « toutes les personnes handicapées ont une capacité juridique et, partant, personne ne devrait se voir refuser l’accès à la justice sur la base d’un handicap »[4]. À ce titre les États sont invités à modifier leur droit positif y compris les décisions de justice qui « sans pleine application régulière de la loi, imposent une détention dans une prison, un établissement de santé mentale ou une autre institution pendant une période déterminée ou indéterminée (parfois appelée “hospitalisation liée aux soins”, “mesure de sécurité” ou “détention au bon plaisir du gouverneur”) aux accusés handicapés sur la base d’un sentiment de besoin de soins ou de dangerosité »[5].

Pourtant, en 2022, une enquête du journal le Guardian en Australie a affirmé que plus de 1200 personnes atteintes de déficience mentale sont détenues indéfiniment en Australie, en application d’ordonnances judiciaires, parfois pendant des décennies, sans avoir été condamnées pour une infraction pénale[6]. Cette enquête précise que « les personnes détenues indéfiniment sans condamnation sont le plus souvent celles qui sont jugées inaptes à plaider après avoir été accusées d’une infraction pénale, ou qui sont déclarées non coupables en raison d’une déficience mentale »[7]. Les constatations ici commentées, adoptées par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies, font écho à cette enquête.

En l’espèce, l’auteur de la communication, de nationalité australienne et membre d’une communauté indigène, souffre de divers troubles psychiatriques et a été admis à de multiples reprises au sein d’hôpitaux spécialisés, notamment pour des comportements violents (§ 2.1). Le 15 août 1995, il a été arrêté sous les inculpations de meurtre, tentative de viol et vol et a été placé en détention provisoire jusqu’au jour de son procès. Le 14 octobre 1996, il a été inculpé des chefs d’accusation précités par la Cour Suprême du Territoire du Nord (§ 2.2). Le 15 octobre 1996, il a été déclaré non coupable pour chaque chef d’accusation en raison de son alinéation mentale, puis il a été placé en détention au centre correctionnel d’Alice Springs conformément au code pénal de l’État fédéré alors en vigueur[8] (§ 2.3). Le 27 septembre 2001, l’Administrateur a ordonné que l’auteur soit détenu dans le même établissement pénitentiaire sous l’autorité du directeur des services pénitentiaires (§ 2.4).

Le 15 juin 2002, une loi portant modification du code pénal du Territoire du Nord a été adoptée. Elle prévoit le prononcé d’ordonnances de surveillance privatives ou non privatives de liberté par les juridictions internes lorsqu’une personne a été déclarée non coupable d’une infraction pour cause d’aliénation mentale[9]. Sur la base des dispositions transitoires de cette loi, l’auteur de la communication a été considéré comme une personne détenue dans le cadre d’une ordonnance privative de liberté (§ 2.5.). En août 2003, lors du réexamen obligatoire annuel de la mesure, la Cour Suprême a affirmé que les ressources disponibles au centre correctionnel n’étaient pas adaptées à la garde et aux soins de l’auteur. Cependant, le 10 septembre 2003, la Cour précitée a prononcé une ordonnance privative de liberté à son encontre au sein du centre correctionnel d’Alice Springs en raison, d’une part, du risque que sa mise en liberté présentait pour lui-même et la société et, d’autre part, de l’absence d’alternative (§ 2.6). Malgré l’obligation légale de soumission d’un rapport annuel quant au placement en détention de l’auteur permettant, si la Cour Suprême le juge opportun, de réexaminer sa décision, cette dernière n’a pas réexaminé la situation de l’auteur depuis 2003. L’auteur affirme également n’avoir vu aucune amélioration de ses conditions de détention depuis ce réexamen (§ 2.7). En 2013, un tuteur indépendant a été nommé pour l’auteur. Le 23 décembre 2013, l’auteur a bénéficié avec succès d’un plan de soutien comportemental destiné à faciliter sa réinsertion permettant son transfèrement à mi-temps au centre de soins sécurisé d’Alice Springs, puis à temps plein à partir de la seconde moitié de l’année 2014. Cependant, en raison de certains incidents, l’auteur a été renvoyé en prison à temps plein au centre correctionnel d’Alice Springs en janvier 2015 et son plan de soutien a été abandonné (§ 2.8). Il y demeure incarcéré jusqu’en novembre 2015, avant son transfèrement au centre correctionnel de Darwin, plus adapté à ses besoins de soins (§ 2.10).

L’auteur de la communication affirme qu’il n’existe pas de recours judiciaire effectif en droit interne en raison de deux obstacles majeurs. D’une part, l’auteur n’a pas pu effectuer de recours judiciaires avant la nomination de son tuteur en 2013. D’autre part, il n’a pas saisi la Haute Cour d’Australie en raison du faible taux de chance de réussite de ce recours, du risque de condamnation à ses dépens et de l’absence de capacité pour cette Haute Cour de prononcer une réparation à son égard (§ 2.11). Dans sa réponse, l’État partie ne met en avant aucun recours effectif qu’aurait pu intenter l’auteur dans sa situation.

En dépit d’un recours par la voie judiciaire, l’auteur de la communication a saisi l’institution nationale de protection et de promotion des droits de l’homme (ci-après, « INDH »). En août 2014, dans le cadre de sa mission relative au respect des engagements internationaux de l’État partie en matière de droits de l’homme[10], la Commission australienne des droits de l’homme a rendu un rapport dans lequel elle conclut que la détention de l’auteur est arbitraire et que ses conditions de détention sont contraires à la Convention relative aux droits des personnes handicapées[11]. L’État partie a alors renvoyé la responsabilité exclusive de ces violations à l’État fédéré du Territoire du Nord (§ 2.9).

L’auteur a ensuite présenté une communication individuelle le 8 mars 2016 au Comité des droits de l’homme (ci-après, le « Comité » ) alléguant la violation de plusieurs droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après « le Pacte ») en raison de la durée indéterminée de sa détention dans un établissement pénitentiaire hautement sécurisé, au sein duquel ses besoins médicaux liés à son handicap psychiatrique ne peuvent être satisfaits et des conséquences de son maintien (§ 3.1).

L’auteur argue de la violation de ses droits protégés par l’article 9 du Pacte (interdiction de la détention arbitraire) car sa détention indéterminée serait fondée sur sa déficience mentale et non sur sa culpabilité d’une infraction pénale, qu’elle serait inappropriée à ses besoins médicaux et qu’elle ne serait pas réexaminée régulièrement (§ 3.2). Il invoque également la violation de ses droits garantis par les articles 7 (prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) et 10 § 1) (obligation du respect de la dignité des personnes privées de liberté) en raison de ses conditions de détention, notamment entre 1995 et 2004 (§ 3.3). Il affirme également que l’État partie a violé ses droits protégés par l’articles 10 § 3 (objectif d’amendement et de reclassement social de la détention) lu conjointement aux articles 2 § 1 (absence de discrimination dans le respect des droits garantis par le Pacte) et 26 (principe d’égalité devant la loi) du Pacte en raison de l’absence de services de réadaptation adaptés à ses besoins (§ 3.4). Ensuite, il affirme que l’État partie a violé ses droits protégés par l’article 27 du Pacte (droits culturels des minorités) lu conjointement à l’article 10 § 1 car il n’a pas pu jouir de sa propre culture liée à son appartenance à une communauté indigène au cours de sa détention (§ 3.5). Enfin, il affirme que l’État partie a violé ses droits au titre de l’article 17 § 1 du Pacte (droit à la protection de la vie privée) lu conjointement avec l’article 23 (protection de la famille par l’État) du fait de l’absence de contact avec les membres de sa famille et de sa communauté (§ 3.6). Néanmoins, appréciant que l’auteur ne les a pas suffisamment étayés, le Comité déclare irrecevables ses griefs au titre de l’article 26 lu conjointement avec l’article 2, concernant le principe de non-discrimination devant la loi. Il écarte également les griefs de l’auteur au titre de l’article 27, concernant notamment le droit pour les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, de ne pas être privées de leur propre vie culturelle au motif de les examiner au titre de l’article 23 précité.

Il soutient également que l’État partie a violé ses droits garantis par l’article 14 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées du fait de sa détention. Cependant, le Comité affirme que ce grief est irrecevable, à défaut pour le Comité d’être compétent ratione materiae pour faire application d’une autre convention que le Pacte, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif (§ 7.4).

Par cette communication individuelle, le Comité est amené à apprécier le caractère arbitraire de la détention de l’auteur jugé irresponsable pénalement pour cause d’aliénation mentale par les juridictions internes, mais également les conditions de sa détention au regard notamment de son état de santé.

Le Comité rappelle sa jurisprudence dans la qualification du caractère arbitraire de la détention de l’auteur et de la violation de ses droits (I) et apprécie les griefs tirés des mauvaises conditions de la détention arbitraire de l’auteur (II).

I. L’appréciation du caractère arbitraire de la détention de l’auteur

Sur la base de l’article 9 du Pacte et de son Observation générale n° 35, le Comité rappelle son interprétation constante en indiquant qu’« une arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire. L’adjectif “arbitraire” n’est pas synonyme de “contraire à la loi” mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. […] En dehors des peines d’une durée déterminée prononcées par un tribunal, la décision de maintenir une personne en détention, quelle que soit la forme de cette détention, est arbitraire si les motifs la justifiant ne font pas l’objet d’un réexamen périodique »[12] (§ 8.3). Par ses constatations, le Comité rappelle également classiquement sa jurisprudence antérieure relative à l’appréciation du caractère arbitraire d’une mesure de détention[13]. Reprenant son interprétation, il apprécie le caractère inapproprié du maintien en détention dans un établissement pénitentiaire de l’auteur au visa des articles 9 § 1 et 10 § 3 du Pacte (A), ainsi que l’absence de possibilité pour l’auteur de contester l’existence d’une justification substantielle d’un tel maintien au visa de l’article 9 § 4 du Pacte (B).

A. Le maintien inapproprié de l’auteur en détention de l’auteur (articles 9 § 1 et 10 § 3 du Pacte)

Le Comité revient sur la possibilité pour un Etat partie de prononcer une mesure privative de liberté à l’égard d’une personne jugée non coupable pour cause de déficience mentale au regard de l’article 9 § 1 du Pacte. L’occasion lui ayant été donnée par la communication, le Comité affirme qu’il doit exister un lien entre le motif de cette mesure privative de liberté et le lieu de privation de liberté, afin notamment qu’elle soit appropriée et permette le respect des droits fondamentaux de la personne concernée.

Concernant la mesure initiale de privation de liberté de l’auteur en dehors d’une inculpation pénale. En l’espèce, le Comité est saisi de la situation de l’auteur faisant l’objet d’une ordonnance prévoyant à son égard une mesure préventive privative de liberté au sein d’un établissement pénitentiaire de haute sécurité pour une durée indéfinie. Cette ordonnance trouve son fondement juridique en droit interne au sein du Code pénal du Territoire du Nord, disposant que les personnes se trouvant dans la même situation juridique que l’auteur doivent être libérées sans condition, à moins que la sécurité de la personne surveillée ou du public ne soit, ou ne soit susceptible d’être, gravement en danger si la personne surveillée est libérée. Selon l’État partie, l’appréciation du maintien de la mesure de privation de liberté relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour Suprême du Territoire du Nord (§ 4.7). Si le Comité note que les tribunaux nationaux ont, en l’espèce, correctement évalué la déficience mentale de l’auteur et que son cas entre, effectivement, dans le champ d’application du Code pénal des Territoires du Nord, sur lequel a été fondée la période initiale de privation de liberté de l’auteur (§ 8.4), il qualifie cette mesure de privation de liberté comme similaire à une peine de rétention de sûreté ou préventive, lui permettant d’affirmer que son interprétation de l’article 9 du Pacte issue de l’Observation générale n° 35 trouve pleinement à s’appliquer au cas d’espèce. Il alerte également sur le fait qu’une mesure de placement en détention prise à l’encontre d’une personne en dehors de toutes poursuites liées à une accusation pénale présente des risques graves de privation arbitraire de liberté.

Concernant le caractère inapproprié du lieu de détention de l’auteur. Le Comité rappelle que le maintien de la privation de liberté des personnes est conditionné à une menace actuelle, directe et impérative (§ 8.3). La charge de la preuve de cette menace repose sur l’État partie – charge s’alourdissant d’autant que la durée de la mesure de privation de liberté est grande –, qui doit démontrer qu’elle ne peut être traitée par des mesures alternatives à la privation de liberté (§ 8.3). Considérant que ce type d’ordonnance de la Cour Suprême est un moyen de recherche d’un équilibre entre la sécurité publique et la sécurité individuelle, l’État partie rappelle qu’elles ne sont utilisées qu’en dernier recours et qu’en l’espèce, les bases sur lesquelles se poursuit la détention de l’auteur sont claires, objectives et raisonnables et ne sont pas définies par référence au handicap (§ 4.7). L’auteur de la communication argue du fait que sa détention, et plus concrètement son placement dans un établissement pénitentiaire hautement sécurisé, est inappropriée au regard de sa situation de personne non condamnée pour déficience mentale et de son besoin de soins adaptés. Le Comité affirme que sur la base des éléments en sa possession, l’État partie n’a pas su démontrer que l’objectif légitime de la surveillance carcérale de l’auteur n’aurait pas pu être atteint par des moyens moins intrusifs que son maintien en détention dans un établissement pénitentiaire hautement sécurisé. Il reprend explicitement à son compte, dans ces constatations, l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la détention arbitraire affirmant « qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la “détention” d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme “régulière” aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié »[14], et qualifiant ce lien de lien « intrinsèque » celui qui existe « entre la régularité d’une privation de liberté et ses conditions d’exécution »[15]. En l’espèce, le Comité note que tant la Cour Suprême du Territoire du Nord dans son ordonnance de 2003, que l’INDH dans son rapport, ont noté que les ressources disponibles au sein de l’établissement pénitentiaire ne permettaient ni la garde de l’auteur, ni de lui apporter les soins nécessaires. Se fondant sur ces constats, le Comité estime implicitement que le placement au sein de l’établissement pénitentiaire hautement sécurisé était inapproprié et caractérise les longues périodes que l’auteur y a passées d’explicitement illégales. Le Comité affirme que l’État partie a failli à démontrer que la privation de liberté de l’auteur aurait pu être atteinte par des moyens moins intrusifs qu’un placement en détention. Enfin, il affirme également que l’État partie ne peut s’exonérer de ses obligations en raison d’un quelconque manque de ressources (§ 8.6.). En effet, l’État reconnaissait que, jusqu’à ce que les établissements de soins fermés deviennent opérationnels en avril 2013, il n’y avait pas de lieu approprié en dehors d’un établissement pénitentiaire (§ 4.2.). Dans sa jurisprudence, la Cour européenne avait par ailleurs estimé qu’il n’est pas envisageable « de considérer l’absence de places comme une justification valable au maintien du requérant en milieu pénitentiaire »[16]. Elle avait ainsi constaté la violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce que la détention n’était pas régulière[17]. Le Comité reprend ainsi la position de la Cour et estime que l’État partie a violé l’article 9 § 1 du Pacte, en ce que les conditions de détention de l’auteur étaient arbitraires au sein de l’établissement pénitentiaire (§ 8.7).

Concernant l’insuffisance de soins et l’insuffisance d’accompagnement dans la réadaptation et réinsertion de l’auteur. Si l’insuffisance des soins permet de démontrer le caractère inapproprié du placement de l’auteur de la communication dans un établissement pénitentiaire hautement sécurisé, il met également en exergue l’absence de mise en place d’un projet de réinsertion de l’auteur, pourtant garanti par l’article 10 § 3 du Pacte, affirmant que « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social ». L’article 4 § 1 de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), non cité par le Comité, énonce quant à lui que « les objectifs des peines d’emprisonnement et mesures similaires privant l’individu de sa liberté́ sont principalement de protéger la société́ contre le crime et d’éviter les récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints que si la période de privation de liberté́ est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, la réinsertion de ces individus dans la société́ après leur libération, afin qu’ils puissent vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs besoins »[18]. Il apparaît donc un consensus sur l’objectif de la privation de liberté des individus quel que soit la nature de cette privation. La Cour européenne a également eu l’occasion de préciser, concernant la détention d’une personne détenue présentant des déficiences mentales, que « l’analyse visant à déterminer si un établissement particulier est “approprié” doit comporter un examen des conditions spécifiques de détention qui y règnent, et notamment du traitement prodigué aux personnes atteintes de pathologies psychiques » et que « l’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’“établissement approprié” »[19]. Il est intéressant de noter qu’en l’espèce l’État australien conteste l’application de l’article 10 § 3 du Pacte invoqué par l’auteur de la communication affirmant que l’auteur n’est pas « condamné » au sens strict mais a été déclaré non coupable pour cause de déficience mentale par les juridictions pénales (§ 4.5). L’auteur de la communication défend une distinction différente entre personne condamnée et personne détenue préventivement sur le fondement de l’Observation générale n° 21 du Comité (§ 5.4)[20]. Le Comité, suivant le raisonnement de l’auteur de la communication, affirme que la protection accordée aux personnes condamnées s’étend aux personnes détenues souffrant de maladie mentale dont la responsabilité pénale n’a pu être établie en raison de leur déficience mentale et qu’une interprétation contraire rendrait la protection précitée illusoire pour un groupe de détenus dans une situation de particulière vulnérabilité (§ 7.5). Cette interprétation du champ d’application de l’article 10 § 3 du Pacte apparaît comme très extensive au regard de la différence de situation juridique entre celle visée par le texte et celle du cas d’espèce. Il conviendra d’apprécier cette extension lors de constatations futures du Comité et au regard de mesures privatives de liberté différentes (par exemple, la rétention administrative de personnes migrantes). Constatant que l’État partie n’a pas adopté de mesures significatives permettant la réinsertion de l’auteur, le Comité constate que l’État partie a manqué à ses obligations au titre de l’article 10 § 3 du Pacte (§§ 8.7 et 8.8).

Le Comité constate ainsi le caractère arbitraire de la détention de l’auteur en raison de son caractère inapproprié en violation de l’article 9 § 1 du Pacte, mais également le manque de mesures significatives adoptées par l’État partie en vue de la réadaptation et réinsertion de l’auteur, en violation de l’article 10 § 3 du Pacte. Outre ces violations, l’auteur de la communication argue de la violation de l’article 9 § 4 du Pacte concernant l’impossibilité de contester l’existence d’une justification de son maintien en détention.

B. L’impossibilité pour l’auteur de contester l’existence d’une justification de son maintien en détention (article 9 § 4 du Pacte)

À l’occasion de l’examen de cette communication, le Comité apprécie l’application du droit interne faite par les juridictions de l’État partie ayant permis le maintien en détention de l’auteur. Il constate l’impossibilité pour l’auteur de contester l’existence d’une justification à son maintien en détention, notamment en raison de l’absence de garanties procédurales offertes par le droit de l’État partie.

Concernant l’application de la législation interne par les juridictions dans le maintien de la mesure privative de liberté. Le Comité rappelle également, dans ces constatations, l’obligation de l’État partie résultant de l’article 9 de démontrer que la durée de la mesure de détention ne soit plus longue que l’impose l’absolue nécessité, qu’elle soit limitée et respectent les garanties fixées à l’article précité. En outre, il ajoute qu’un examen régulier du maintien de la mesure par un organe indépendant tel qu’un tribunal est une garantie nécessaire à ces conditions (§ 8.3). L’État partie rappelle qu’en vertu du droit positif des rapports doivent être soumis tous les douze mois au tribunal afin qu’il statue sur la nécessité du maintien en détention et affirme qu’il existe un droit d’appel de la décision de maintien en détention (§ 4.7). Tout en prenant en compte l’entrée en vigueur de la loi modificative en 2003, et le jugement du 10 septembre 2003 maintenant la privation de liberté de l’auteur de la communication, le Comité note le retard de six mois des juridictions nationales. Par la suite, la Cour Suprême a conclu en 2007 que, malgré ce retard, la privation de liberté de l’auteur était conforme à la loi modificative. Si le Comité prend bonne note de l’obligation de soumission d’un rapport annuel sur la situation de l’auteur à la juridiction compétente, il rappelle également que cela n’entraîne pas nécessairement son réexamen (§ 8.5), comme l’admet également l’État partie (§ 6.3). Le Comité se montre alors critique quant à l’interprétation faite par la Cour Suprême et rappelle que le seul réexamen de la mesure privative de liberté de l’auteur a eu lieu en 2003 par les juridictions internes compétentes et que cette mesure n’a pas fait l’objet d’une durée minimale.

Concernant l’impossibilité de saisir une juridiction pour contester l’existence d’une justification de son maintien en détention. Cette communication démontre ainsi une absence d’accès au recours effectif permettant de contester la justification du maintien de mesure privative de liberté à des fins préventives rendue à l’encontre de l’auteur, permettant dans la suite de constatations précédentes de caractériser la violation de l’article 9 §4 du Pacte[21]. Outre la soumission d’un rapport annuel précédemment mentionné, le Comité note également que, selon le droit interne, ni l’auteur, ni son tuteur ne peuvent demander la modification ou la révision de l’ordonnance privative de liberté. Le Comité note également que les recours offerts à l’auteur n’étaient pas effectifs car vains (§ 5.4.), contrairement aux allégations de l’État partie selon lesquelles il disposait d’un recours et d’une voie d’appel. L’État partie a rappelé que, parallèlement à la voie judiciaire, une voie administrative existait par la saisine du Commissaire à la lutte contre la discrimination du Territoire du Nord, médiateur institutionnel, sans pour autant démontrer sa réelle compétence pour le cas d’espèce ni le caractère contraignant de ses décisions (assimilables davantage à des recommandations tel que pour l’INDH) (§7.3.). Par ailleurs, en 2015, le Groupe de travail sur la détention arbitraire avait adopté des Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies de procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal[22]. Reprenant l’article 9 § 4 du Pacte, il posait alors comme premier principe « que chacun a le droit de ne pas être soumis à une privation de liberté́ arbitraire ou illégale, toute personne a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sur le caractère arbitraire ou la légalité́ de sa détention et de recevoir une réparation appropriée dans les meilleurs délais et sous une forme accessible ».

Concernant l’absence de garanties procédurales. L’auteur de la communication avance le fait que le rapport périodique de 2017 ne lui a pas été communiqué, ni à son tuteur, et n’a pas été soumis au principe du contradictoire, notamment devant le tribunal qui en est destinataire (§ 5.3). L’auteur n’a également ni été présent lors des audiences, ni été entendu. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a précisé diverses garanties procédurales nécessaires afin de permettre aux personnes concernées de porter un recours sur leur privation de liberté telles que le droit d’être informé (ligne directrice 5), un délai approprié (ligne directrice 6), l’assistance d’un conseil (ligne directrice 7), la comparution devant le tribunal incluant la présence de l’intéressé (ligne directrice 8) ou encore la communication des informations (ligne directrice 13)[23]. Pour autant, le Comité ne renvoie pas vers ces travaux du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Suivant les allégations de l’auteur, le Comité relève l’absence de garanties procédurales et de caractère contradictoire de la procédure de réexamen de la mesure privative de liberté de l’auteur, notamment l’accès à l’information et le droit de contester les preuves. Ces lacunes du droit procédural interne caractérise l’impossibilité de contester effectivement son maintien en détention en violation de l’article 9 § 4 du Pacte (§ 8.5).

Après avoir affirmé le caractère arbitraire de la détention de l’auteur, le Comité constate son impossibilité de contester son maintien en détention en raison notamment de l’absence de recours effectif le permettant mais aussi de l’absence de garanties procédurales. Le Comité retient donc la violation de l’article 9 § 1 et 9 § 4 du Pacte par l’État partie. Par cette communication, il est également saisi des conséquences des conditions de détention arbitraire de l’auteur.

II. Les conséquences de la détention arbitraire de l’auteur et de l’absence de prise en compte de sa situation de vulnérabilité

L’auteur de la communication fait valoir la violation de plusieurs droits garantis par le Pacte en raison des conditions de sa détention. Le Comité retient la violation de l’article 7 du Pacte prohibant la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (A) ainsi que de l’article 17 du Pacte protégeant la vie privée et familiale (B).

A. Les conditions inappropriées de détention de l’auteur en raison de sa situation juridique (article 7)

Dans ses constatations, le Comité retient la violation du Pacte par l’État partie vis-à-vis de l’auteur du fait du préjudice psychologique grave qu’il a subi constituant un traitement contraire à l’article 7 pour deux raisons cumulatives ; le caractère inapproprié de son placement en détention et la durée indéfinie de sa détention préventive en l’absence de réexamen (§ 8.9). Néanmoins, le Comité ne retient pas la violation de l’article 10 § 1 du Pacte invoqué par l’auteur de la communication.

Concernant l’articulation de la prohibition des mauvais traitements et de la garantie du respect de la dignité des personnes détenues. Si l’article 7 du Pacte emporte une obligation de ne soumettre quiconque à des actes de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’article 10 § 1 emporte une obligation positive de traiter les personnes privées de liberté avec « humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Dans sa communication, l’auteur avait argué la violation de l’article 10 § 1 et de l’article 7 du Pacte. Mais le Comité, retenant la violation de l’article 7, n’examinera pas les griefs de l’auteur au titre de l’article 10 § 1. Il convient de rappeler que l’article 7 est indérogeable selon l’article 4 du Pacte, contrairement à l’article 10 § 1. Aussi, le seuil de gravité retenu afin de retenir la violation de l’article 7 du Pacte est beaucoup plus haut que pour l’article 10 § 1. Dans sa pratique, le Comité a pu réserver l’application de l’article 10 § 1 du Pacte aux conditions générales de détention des auteurs de communication et l’article 7 à des situations spécifiques, notamment individuelles[24]. Ainsi, le Comité retient la violation de l’article 7 du Pacte lorsque l’auteur d’une communication démontre qu’il a été fait l’objet d’un plus mauvais traitement que les autres personnes privées de liberté dans les mêmes conditions. Le Comité a pu, lors de constatations antérieures, retenir la violation des articles 7 puis, par voie de conséquence, celle de l’article 10 § 1 pour les mêmes griefs, créant alors un lien entre ces articles[25]. Néanmoins, par ces constatations, le Comité exclue la violation de l’article 10 § 1 en retenant celle de l’article 7 du Pacte, appréciant sûrement que l’auteur de la communication avait fait l’objet d’un plus mauvais traitement que les autres personnes détenues dans le même lieu de privation de liberté, notamment en raison du caractère inapproprié de ce lieu à sa situation.

Concernant le caractère inapproprié du régime de détention de l’auteur. Tel que constaté précédemment, le Comité réaffirme le caractère inapproprié du placement en détention au sein d’un centre pénitentiaire de droit commun de l’auteur (Cf. I. A.). Cependant, il mobilise un critère supplémentaire comme indice permettant de mettre en exergue celui-ci. Il affirme que le placement dans un quartier d’isolement, mesure souhaitée par l’auteur et destinée à le protéger notamment d’insultes émanant des autres détenus de droit commun, ne permet pas de rendre sa détention appropriée. En réalité, selon le Comité, ce placement en régime d’isolement démontre le caractère limité de ses choix dans un environnement non adapté à sa déficience mentale et sa durée le rend illégal. Lors de précédentes observations finales, le Comité avait déjà estimé que « l’isolement cellulaire est une peine sévère entraînant de graves conséquences psychologiques qui ne se justifie qu’en cas d’extrême nécessité ; le recours au placement en isolement cellulaire hormis dans des circonstances exceptionnelles et pour des périodes limitées est contraire au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte »[26]. Lors de constatations précédentes, il a également estimé que le placement en isolement pour une période d’un an en détention provisoire avant un jugement et les restrictions de correspondances entre l’auteur et sa famille « constituent un traitement inhumain au sens de l’article 7 et sont incompatibles avec l’obligation de traiter toute personne privée de liberté avec humanité énoncée au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte »[27]. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a affirmé dans son rapport sur la « torture psychologique » que « l’isolement « prolongé », dépassant quinze jours consécutifs, est considéré́ comme une forme de torture ou de mauvais traitement »[28]. Dans les constatations commentées, le Comité retient donc la violation de l’article 7 du Pacte, sans pour autant retenir celle de l’article 10 § 1. Par ailleurs, le Comité contre la torture des Nations unies, au sein d’observations finales, avait émis la recommandation, concernant les régimes d’isolement en détention, selon laquelle « l’État partie devrait envisager d’examiner systématiquement tous les cas de placement prolongé en régime cellulaire, en prévoyant une évaluation psychologique et psychiatrique par des spécialistes »[29].

Concernant la durée indéfinie de la détention de l’auteur en l’absence de réexamen. Tel qu’il l’avait également constaté précédemment, le Comité estime que tant l’absence de réexamen de la mesure le plaçant en détention et de recours effectif possible que la durée inconnue de sa privation de liberté ont eu pour effet de lui infliger un préjudice psychologique grave contraire à l’article 7 du Pacte. Dans le même sens, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a affirmé dans son rapport sur la « torture psychologique » que « [p]our déterminer si une détention arbitraire et les mesures judiciaires ou administratives arbitraires qui y sont liées sont constitutives de torture psychologique, il faut examiner chaque situation au cas par cas. En règle générale, plus une situation de détention arbitraire perdure et moins la personne détenue a de moyens d’améliorer sa situation, plus sa souffrance et son désespoir augmentent. Il a été́ démontré́ que l’enfermement arbitraire prolongé entraînait des symptômes post-traumatiques et d’autres conséquences graves et persistantes sur la santé mentale et physique des victimes »[30].

Le Comité constate la violation de l’article 7 du Pacte car son placement prolongé en quartier d’isolement pendant la plus grande partie de son placement en détention et la durée indéfinie de sa détention en l’absence de réexamens obligatoires dans le cadre d’une procédure contradictoire lui ont cumulativement infligé un préjudice psychologique grave et constitue mauvais un traitement (§ 8.9). L’auteur de la communication allègue également  la violation d’autres de ses droits garantis par le Pacte durant sa privation de liberté.

B. L’absence de maintien des liens avec sa famille et les membres de sa communauté outrepassant les restrictions inhérentes à la détention (article 17)

Si la mesure privative de liberté ne doit poursuivre que l’unique objectif de priver de la liberté de circulation, l’auteur affirme que son placement en détention dans les différents établissements pénitentiaire a porté atteinte au maintien de ses liens familiaux en violation de son droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 17 du Pacte ainsi que son droit à la protection de la famille comme « élément naturel et fondamental de la société » garanti par l’article 23 du Pacte. Si le Comité retient la violation de l’article 17 pour ces griefs, il ne les examine pas au titre de l’article 23 du Pacte (§ 8.10).

Concernant le droit à la vie privée et familiale de l’auteur. Le Comité décide de limiter temporellement son appréciation quant au droit de l’auteur au respect de sa vie privée et familiale à la période de 1995 à 2013. En effet, l’auteur a pu bénéficier de visites des membres de sa famille, avec le soutien de l’État partie, à partir de cette date au sein de l’établissement pénitentiaire d’Alice Springs. Cependant, l’État partie tente par cette communication de limiter la portée de la protection garantie par l’article 17 du Pacte. Cet article affirme que « [n]ul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ». L’État partie affirme que les allégations de l’auteur fondées sur cet article devraient être déclarées irrecevables en ce que l’auteur ne démontrent pas un niveau particulier d’engagement ou d’interaction avec sa famille avant son placement en détention (§ 4.10) et soutient ainsi que l’article 17 ne couvre pas les relations n’existant pas au moment de la violation alléguée (§ 6.7). Si la Cour européenne admet également dans sa jurisprudence qu’une mesure privative de liberté entraîne par essence des restrictions à la vie privée et familiale, elle a rappelé qu’il est essentiel que l’État partie autorise et aide si nécessaire la personne détenue à maintenir des liens avec sa famille proche[31]. Le Comité conclut en la violation du droit au respect de la vie privée et familiale de l’auteur pour la période 1995-2013 en ce que les griefs de l’auteur témoignent d’une violation au-delà de ce que qui est inhérent à la détention. Le Comité interprète donc ici la portée de l’article 17 dans le contexte d’une mesure privative de liberté, admettant pour retenir sa violation un seuil plus important ; au-delà de ce qui est inhérent à la détention (§ 8.10).

Concernant le caractère non-absolu de ce droit. Par ailleurs, l’auteur estime que ses possibilités de maintenir des liens familiaux avec sa famille se sont détériorées lors de son transfèrement au sein de l’établissement pénitentiaire de Darwin en novembre 2015. Tout en affirmant manquer d’informations sur la charge disproportionnée pesant sur le droit de l’auteur du fait du transfèrement, le Comité se borne à rappeler la recherche de l’État partie d’un lieu de détention approprié à son traitement thérapeutique et les progrès de l’auteur à la suite de son transfèrement. Le Comité semble ainsi mettre en balance plusieurs droits garantis par le Pacte, au détriment du droit au maintien des liens familiaux de l’auteur, en admettant les justifications de l’État partie.

***

Conclusion – Le Comité affirme que le placement en détention pour une durée indéfinie d’un personne jugée irresponsable pénalement pour cause d’aliénation mentale, en l’absence de soins et de mise en œuvre d’un programme de réinsertion, est inapproprié et viole les articles 9 § 1 et 10 § 3 du Pacte. Il estime également que l’absence de recours possible permettant à l’auteur de contester le maintien de sa privation de liberté, ainsi que l’absence de garanties procédurales nécessaires à un procès équitable, violent l’article 9 § 4 du Pacte. En conséquence des conditions de la détention inappropriée de l’auteur et de sa durée indéfinie, il estime que ce dernier a subi un préjudice psychologique grave contraire à l’article 7 du Pacte. Il estime également que son placement dans un établissement éloigné géographiquement a affecté ses liens familiaux au-delà de ce qui est inhérent à la détention en violation de l’article 17 du Pacte. Outre la réparation intégrale au profit de l’auteur dont les droits garantis par le Pacte ont été violés, le Comité rappelle que l’État partie doit assurer un recours utile à l’auteur et qu’il est tenu de prendre des mesures pour prévenir des violations similaires à l’avenir (§ 10).

Postérieurement aux constatations du Comité – Plus récemment, et postérieurement à l’adoption des constatations par le Comité, différents organes de Traité des Nations unies ont échangé avec l’État partie quant à la privation de liberté de personnes pour cause de déficience mentale, parfois indéfiniment, dans des lieux de privation de liberté inapproprié. Dans un premier temps, en octobre 2022, le sous-comité pour la prévention de la torture des Nations unies s’est rendu en Australie afin de visiter les différents lieux de détention. Contrairement à l’article 14 du Protocole facultatif de la Convention contre la torture des Nations unies, pourtant ratifié par l’État partie en 2017, le sous-comité a suspendu sa mission en raison d’un manque de coopération, de l’impossibilité de visiter certains lieux de détention et d’un accès insuffisant aux informations[32]. L’INDH australienne a régulièrement dénoncé l’absence de mise en œuvre du protocole par l’Australie[33]. Dans un second temps, en novembre 2022, le Comité contre la torture des Nations unies a rendu ses observations finales concernant l’examen du 6ème rapport périodique de l’Australie et s’est dit préoccupé « par un taux élevé d’incarcération de détenus souffrant de handicaps, en particulier de handicaps intellectuels ou psychosociaux, et par le fait que les établissements pénitentiaires ne disposent pas des capacités, des ressources et des infrastructures appropriées pour gérer les graves problèmes de santé mentale »[34]. Il a également fait part de ses préoccupations concernant « les pratiques arbitraires signalées, en particulier le recours continu à l’isolement cellulaire prolongé et indéfini, qui touche de manière disproportionnée les peuples autochtones et les détenus souffrant de handicaps intellectuels ou psychosociaux »[35].

[1] ONU, Assemblée générale, Les droits de l’homme dans l’administration de la justice, Rapport du Secrétaire général, 75ème session, 27 septembre 2020, U.N. doc. A/75/327.

[2] Ibid., § 56.

[3] ONU, Rapporteurs spéciaux, Experts indépendants et groupes de travail, Principes et directives internationaux sur l’accès à la justice des personnes handicapées, août 2020, disponible sur : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Disability/SR_Disability/GoodPractices/Access-to-Justice-FR.pdf

[4] Ibid., Principe 1.

[5] Ibid., Directive 1.2.(m), p. 13.

[6] N. Bucci et C. Knaus, “More than 1,200 people are detained indefinitely in Australia with no criminal conviction”, in The Guardian,  11 août 2022, disponible sur : https://www.theguardian.com/society/2022/aug/12/more-than-1200-people-are-detained-indefinitely-in-australia-with-no-criminal-conviction.

[7] Idem. Traduction libre de l’auteur.

[8] Code pénal du Territoire du Nord, article 382.

[9] Dans ses constatations, le Comité ne distingue pas entre détention, rétention de sûreté et hospitalisation sous contrainte. La mesure prononcée en l’espèce s’assimilerait en droit français à une admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État telle que décrite à l’article L3213-7 du Code de la santé publique.

[10] Voir Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (les « Principes de Paris ») ; La Commission est accréditée A, entièrement conforme aux Principes de Paris, selon le processus d’accréditation de l’Assemblée générale des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.

[11] Australian Human Rights Commission, KA, KB, KC and KD v Commonwealth of Australia, Report into arbitrary detention, inhumane conditions of detention and the right of people with disabilities to live in the community with choices equal to others, [2014] AusHRC 80, Septembre 2014, disponible sur : https://humanrights.gov.au/our-work/legal/publications/ka-kb-kc-and-kd-v-commonwealth-australia.

[12] Comité des droits de l’homme, Article 9 (liberté et sécurité de la personne), Observation générale n° 35, 16 décembre 2014, U.N. doc. CCPR/C/GC/35, § 12.

[13] Voir Comité des droits de l’homme, constatations du 17 mars 2005, Gorji-Dinka c. Cameroun, communication n° 1134/2002, U.N. doc. CCPR/C/83/D/1134/2002, § 5.1 ; Comité des droits de l’homme, constatations du 23 juillet 2020, Sergei Sotnik c. Russie, communication n° 2478/2020, U.N. doc. CCPR/C/129/D/2478/2014, § 7.3.

[14] CEDH, arrêt du 2 octobre 2012, L.B. c. Belgium, req. n°22831/08, § 93.

[15] CEDH, GC, arrêt du 4 décembre 2018, Ilnsehen c. Allemagne, req. n°10211/12 et 27505/14, § 141.

[16] CEDH, arrêt du 24 janvier 2022, S.Y. c.Italie, req. n°11791/20, § 135.

[17] Ibid. § 136.

[18] ONU, Assemblée générale, résolution, Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), sur la base du rapport de la troisième Commission (A/70/490), 70ème session, 8 janvier 2016, U.N. doc. A/RES/70/175.

[19] CEDH, GC, arrêt du 31 janvier 2019, Rooman c. Belgique, req. n°18052/11, § 210.

[20] Comité des droits de l’homme, Article 10 (Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité), Observation générale n° 21, 44e session, 1992, § 9.

[21] Voir Comité des droits de l’homme, constatations du 6 novembre 2003, Tai Wairiki Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande, communication n° 1090/2002, U.N. doc. CCPR/C/79/D/1090/2002, § 7.2.

[22] ONU, Conseil des droits de l’homme, 30ème session, Groupe de travail sur la détention arbitraire, Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté́ d’introduire un recours devant un tribunal, 6 juillet 2015, U.N. doc. A/HRC/30/37.

[23] ONU, Conseil des droits de l’homme, 30ème session, Groupe de travail sur la détention arbitraire, Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté́ d’introduire un recours devant un tribunal, 6 juillet 2015, U.N. doc. A/HRC/30/37.

[24] Association for the prevention of torture et Center for justice and international law, Torture in International Law, a guide to jurisprudence, 2008, p. 9.

[25] Voir notamment Comité des droits de l’homme, constatations du 22 octobre 1992, Linton c. Jamaïque, communication n°255/1987, U.N. doc. CCPR/C/46/D/255/1987, § 8.5 ; Comité des droits de l’homme, constatations du 31 mars 1993, Bailey c. Jamaïque, communication n° 334/1988, U.N. doc. CCPR/C/47/D/334/1988, § 9.3.

[26] Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le rapport périodique du Danemark, 15 novembre 2000, U.N. doc. CCPR/CO/70/DNK, § 12.

[27] Comité des droits de l’homme, constatations du 6 novembre 1997, Polay Campos c. Perou, communication n° 577/1994, U.N. doc. CCPR/C/61/D/577/1994, § 8.6.

[28] ONU, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, Rapport du rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 43ème session, 20 mars 2020, U.N. doc. A/HRC/43/49, §§ 56-57.

[29] Comité contre la torture, Observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Japon, 28 juin 2013, U.N. doc. CAT/C/JPN/CO/17, § 18.

[30] ONU, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, Rapport du rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 43ème session, 20 mars 2020, U.N. doc. A/HRC/43/49, §§ 66-67.

[31] CEDH, Guide sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Droit des détenus, mis à jour au 31 août 2022, §§ 74 et s. ; CEDH, GC, arrêt du 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04, § 110.

[32] M. Racaniere, « Prisons : le comité de l’ONU sur la torture suspend sa mission en Australie », in Euronews, 24 octobre 2022, disponible sur : https://fr.euronews.com/2022/10/24/prisons-le-comite-de-lonu-sur-la-torture-suspend-sa-mission-en-australie.

  1. Bucci et C. Knaus, “More than 1,200 people are detained indefinitely in Australia with no criminal conviction”, in The Guardian, 11 août 2022, disponible sur : https://www.theguardian.com/society/2022/aug/12/more-than-1200-people-are-detained-indefinitely-in-australia-with-no-criminal-conviction.

[33] Voir notamment, Australian human rights commission, Australia needs to deliver on our treaty promises, 20 janvier 2023, disponible sur : https://humanrights.gov.au/about/news/opinions/australia-needs-deliver-our-treaty-promises.

[34] Comité contre la torture, Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Australie, 5 décembre 2022, U.N. doc. CAT/C/AUS/CO/6, §§ 31-32. Traduction libre de l’auteur.

[35] Idem.