N. 22 - 2024

Note sous Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Yaureli Carolina Infante Díaz et D.A.D.I. c. Espagne, 27 février 2023, communication n° 134/2019, U.N. doc. E/C.12/73/D/134/2019

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L’auteure de la communication est de nationalité vénézuélienne et est née en 1990. Elle agit en son nom et en celui de son fils mineur, né en 2008 (§ 1.1). L’auteure se trouve dans une situation socioéconomique vulnérable. En novembre 2015, étant sans domicile fixe, l’auteure se voit proposer par accord verbal une chambre à louer pour 200 euros par mois (§ 2.1). La chambre se situe dans un logement appartenant à une entité financière. Un mois plus tard, l’homme qui lui louait la chambre et qui occupait une autre pièce de l’appartement annonce à l’auteure qu’il doit partir, et que l’auteure doit désormais lui verser la somme de 800 euros si elle veut continuer d’occuper le logement avec son fils. L’auteure décide de payer et de rester dans l’appartement, comprenant alors qu’il s’agit d’une occupation illégale (§ 2.2). Une première demande d’expulsion est déposée par l’entité financière en juin 2016. Cette première demande d’expulsion est suspendue. En 2018, l’auteure se présente aux services sociaux, signalant sa grande précarité socioéconomique. Entre octobre 2018 et mars 2019, trois nouveaux ordres d’expulsion sont prononcés. Les expulsions sont successivement suspendues (§§ 2.4-2.10).

L’auteure décide de saisir le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le « Comité ») le 5 mai 2019. Elle affirme avoir épuisé les recours internes en déposant un recours judiciaire pour obtenir la suspension de la deuxième expulsion (§ 2.7) et en s’étant adressée aux services sociaux. Elle précise qu’elle n’a pas fait appel de la dernière expulsion avant de saisir le Comité, car cet appel aurait été rejeté, tout comme le précédent l’avait été (§ 3.1). Elle allègue devant le Comité que l’État partie a violé les droits qu’elle et son fils tiennent de l’article 11 § 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le « Pacte ») dans la mesure où ils font l’objet d’une ordonnance d’expulsion du logement qu’ils occupent et qu’ils ne disposent d’aucun logement de remplacement.

Le 7 mai 2019, le Comité demande à l’État partie de prendre des mesures provisoires et de surseoir à l’expulsion (§ 1.2). Le Comité note que l’État partie n’a présenté aucune objection à la recevabilité de la communication. Il considère donc cette dernière recevable sans difficulté.

Sur le fond, le Comité observe d’abord le grief selon lequel l’auteure n’a pas pu bénéficier des politiques publiques du logement dans la mesure où elle est en situation irrégulière. Le Comité note que l’État partie ne répond pas à cet argument de l’auteure. Le Comité rappelle qu’aux termes de l’article 2 § 2 du Pacte, les États parties sont tenus de garantir l’exercice des droits qui y sont énoncés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Il relève en outre que la non-discrimination est une obligation immédiate et transversale et que les droits visés par le Pacte, y compris le droit à un logement convenable, s’appliquent à chacun, y compris les non-ressortissants, indépendamment de leurs statut juridique et titres d’identité (CESCR, Le droit à un logement suffisant (article 11 § 1 du Pacte), Observation générale n° 4, 1991, U.N. doc. E/1992/23, § 6). En ce sens, le Comité rappelle qu’une protection égale pour les migrants en situation régulière et irrégulière doit être garantie. Le logement ne peut donc pas être refusé à des migrants en situation irrégulière ; ceux-ci doivent avoir la possibilité de recevoir un minimum d’assistance, de façon à sauvegarder les conditions de dignité humaine. Ainsi, le Comité estime que la situation irrégulière de l’auteure et de son fils ne peut pas être un critère justifiant de les exclure du bénéfice des services de logement public (§ 7.6).

Le Comité réaffirme ensuite le principe selon lequel les expulsions forcées, y compris dans le cas de migrants en situation irrégulière, sont à première vue contraires aux dispositions du Pacte (CESCR, Le droit à un logement suffisant (article 11 § 1 du Pacte) : expulsions forcées, Observation générale n° 7, 1997, U.N. doc. E/1998/22, § 1). Elles ne peuvent être justifiées que dans les circonstances les plus exceptionnelles. Pour qu’une expulsion soit appropriée, la limitation du droit au logement doit être prévue par la loi ; elle doit aller dans le sens de l’intérêt général dans une société démocratique ; elle doit être proportionnée et nécessaire par rapport à l’objectif légitime recherché, c’est-à-dire que les avantages obtenus par cette limitation du point de vue de l’intérêt général doivent l’emporter sur les effets que l’expulsion peut avoir sur la jouissance du droit au logement. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité précise qu’il est indispensable de faire la distinction entre les biens dont des particuliers ont besoin pour se loger ou se procurer un revenu de subsistance, et les biens des institutions financières (§ 7.8). À cet égard, il aurait pu relever les obligations procédurales incombant à l’État partie en cas d’expulsion forcée, à savoir l’obligation de procéder à une véritable consultation préalable entre les autorités et la personne touchée (CESCR, Observation générale n° 7 (1997), op. cit., § 15). Aussi, le Comité aurait pu souligner, comme il l’a fait dans des constatations analogues (CESCR, Sara Vázquez Guerreiro c. Espagne, constatations du 9 octobre 2023, communication n° 70/2018, U.N. doc. E/C.12/74/D/70/2018, §§ 7.13 et 10.6), l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant ; chaque fois qu’une décision prise a une incidence sur un enfant, le processus décisionnel doit évaluer ses effets sur l’enfant (CESCR, Sara Vázquez Guerreiro c. Espagne, op. cit., § 12.1). En outre, le Comité n’a pas soulevé l’impact disproportionné que l’expulsion pourrait avoir en raison de la discrimination subie par les femmes en matière d’accès au logement (CESCR, Sara Vázquez Guerreiro c. Espagne, op. cit., §§ 8.9, 8.10 et 12.3).

Aussi, le Comité prend note des arguments de l’État selon lesquels l’auteure et son fils ont bénéficié de certains services (santé, accès à l’éducation, distribution de denrées alimentaires, aide de la justice). Toutefois, il estime que ces mesures ne constituent pas une réponse adaptée à la situation de l’auteure et de son fils. Le droit au logement ne doit pas s’entendre dans un sens étroit, tel que le droit à disposer d’un toit, mais comme le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité (CESCR, Observation générale n° 4 (1991), op. cit., § 7).

À la lumière de ces considérations, le Comité estime que les mesures d’expulsion prononcées à l’encontre de l’auteure et de son fils constituent une violation de leur droit à un logement convenable, garanti par l’article 11 § 1 du Pacte. Le Comité rappelle que l’auteure a signalé sa situation de vulnérabilité aux services sociaux et auprès du tribunal. De plus, elle n’avait aucune possibilité d’obtenir un logement en raison de l’irrégularité de sa situation. De manière générale, le Comité considère que la situation de vulnérabilité socioéconomique de l’auteure est plus grave que l’atteinte à l’intérêt juridique que l’État partie cherche à protéger.

Le Comité adresse en outre des recommandations générales à l’État partie, lui demandant de veiller à ce que le cadre réglementaire permette aux personnes visées par une ordonnance d’expulsion qui risque de les faire tomber dans l’indigence ou d’entrainer une violation des droits qu’elles tiennent du Pacte, y compris aux personnes en situation irrégulière occupant illégalement un logement, d’accéder au parc des logements sociaux.