Selon la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH »), conférer à une communauté religieuse le statut de personne morale participe de la protection de la dimension collective de la liberté de religion (v. CEDH, arrêt du 13 décembre 2001, Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, req. n° 45701/99, § 105). Cependant, dans certains États, parmi lesquels l’Azerbaïdjan, l’acquisition d’un tel statut constitue une condition de l’exercice de cette dimension de la liberté religion (v. CEDH, arrêt du 6 février 2024, Hamzayan c. Arménie, req. n° 43082/14, § 51). Trente-six personnes ayant fait l’objet, en Azerbaïdjan, d’une sanction d’amende s’élevant à 1800 manats (soit environ 964 euros), commuée en peines d’emprisonnement de 6 jours et de 10 jours pour avoir exercé la liberté de culte sans s’être enregistrées en tant qu’association ont saisi le Comité des droits de l’homme (ci-après le « Comité ») pour dénoncer des violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le « Pacte »). Selon les auteurs de la communication, par ces sanctions prises l’Azerbaïdjan constituent des violations des articles 9 (arrestation et détention arbitraires), 18 (liberté de religion), 19 (liberté d’expression), 21 (liberté de réunion), 22 (liberté d’association), 26 (égalité et interdiction de la discrimination) et 27 (droit des membres des minorités) du Pacte.
Le Comité déclare recevables les allégations relatives aux articles 9, 18, 19, 21 et 22, aux motifs que la procédure devant le juge de première instance qui a prononcé les sanctions et l’appel interjeté par les requérants portaient sur des questions relatives à ces articles et que les griefs relatifs aux articles 26 et 27 ne sont ni étayés ni pertinents (§§ 6.3-6.6).
S’agissant du fond de la requête, le Comité conclut au constat des violations des articles 9 § 1) et 18 §§ 1 et 3 et fait l’économie des autres moyens (§ 7.8). Il fait l’économie des moyens concernant les allégations relatives aux articles 17, 19 et 21 du Pacte (§ 7.8).
Concernant l’article 18 du Pacte, le Comité rappelle que les restrictions relatives à l’exercice de la liberté de religion « ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire et proportionnelles à celui-ci » (CCPR, Article 18 (Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion), Observation générale n° 22, 1993, U.N. doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, §§ 4 et 8). Ainsi, pour qu’une restriction de la liberté religieuse soit compatible avec l’article 18 du Pacte, elle doit poursuivre au moins un but légitime, être nécessaire et proportionnelle à ce but. Primo, le Comité relève qu’en l’espèce, l’Azerbaïdjan n’a pas démontré de manière concrète quels libertés ou droits d’autrui ont été compromis par la célébration du culte sanctionnée, ni de quelle manière cela aurait occasionné une atteinte à l’ordre public (§ 7.4 ; voir G. Gonzalez, « Ordre public et liberté de religion dans le système de la Convention européenne des droits de l’homme », Revue du droit des religions, n° 9, 2020, pp. 91-106). Secundo, pour déterminer si les sanctions sont proportionnelles et nécessaires, le Comité vérifie que le motif qui les sous-tend remplit ces deux exigences. À ce propos, il constate que les juridictions nationales n’ont pas justifié de manière concrète le caractère nécessaire de l’obligation pour un groupe religieux de s’enregistrer en tant qu’association afin de jouir de la liberté religieuse collective. Il note également qu’il n’a pas été démontré que les mesures prises à l’égard des auteurs de la Communication étaient moins restrictives possibles (§§ 3 et 7.5). Dès lors, le Comité conclut à la violation de l’article 18 du Pacte, dans la mesure où les restrictions à la liberté de religion ne sont pas nécessaires et que les sanctions qui en découlent ne sont proportionnelles au but évoqué (l’ordre public en l’espèce). Bien que le Comité soit parvenu à la même conclusion que la CEDH dans des cas similaires, sa position est bien plus nuancée que celle de cette dernière. (CEDH, arrêt du 27 janvier 2011, Boyev et autres c. Bulgarie, req. n° 77185/01 ; CEDH, Hamzayan c. Arménie, op. cit, §§ 50 et 51). En effet, selon la CEDH, le simple fait de conditionner la jouissance collective de la liberté de religion à l’enregistrement d’une association est incompatible avec la protection de la liberté de religion (CEDH, Hamzayan c. Arménie, op. cit.).
S’agissant de la violation de l’article 9 du Pacte, pour l’arrestation et la détention arbitraire des requérants, le Comité procède en deux temps. D’une part, il cherche à savoir si les faits constituent une arrestation et une détention, et d’autre part si ces deux mesures présentent un caractère arbitraire (§§ 7.6 et 7.7). S’agissant du premier pan, le Comité rappelle que « les individus qui se présentent spontanément au poste de police pour participer à une enquête et qui savent qu’ils sont libres de partir à tout moment ne sont pas privés de liberté ». Cependant, il en va autrement pour les individus qui y sont amenés sans leur consentement. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une arrestation et d’une détention (CCPR, Article 9 (Droit à la liberté et à la sécurité de sa personne), Observation générale n° 35, 2014, U.N. doc. CCPR/C/GC/35, §§ 10 et 17) En l’espèce, le Comité relève que l’État défendeur n’a pas apporté la preuve de la réfutation concernant le fait que les auteurs aient été invités et non pas contraints de se rendre au poste de police et étaient libres de le quitter (§7.6). À cela s’ajoute la surveillance dont ils ont fait l’objet une fois sur place (§7.6 et section relative aux exposés et commentaires des parties). En effet, ils n’ont pu quitter le poste de police que sur autorisation des policiers (§ 7.6), ce qui renforce l’idée que les auteurs n’étaient pas libres de partir de leur propre gré. Il y a donc arrestation et détention. S’agissant du second pan, c’est-à-dire le caractère arbitraire de l’arrestation et de la détention, le Comité rappelle que celui-ci s’apprécie de « manière large, en intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires dans le cadre d’une arrestation. (§ 7.7, en référence à ses constatations : CCPR, Farmonov c. Ouzbékistan, constations du 6 avril 2018, communication n° 2577/2015, U.N. doc. CCPR/C/122/D/2577/2015, § 9.3). En ce sens, est arbitraire une arrestation ou une détention, qui vise à « sanctionner [quelqu’un] pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte […] » (§ 7.7). Or, comme le Comité l’a constaté à propos de l’article 18 du Pacte, la sanction de l’exercice collectif de la liberté de religion pour non-respect de l’obligation légale de s’enregistrer en tant qu’association constitue une violation de la liberté religieuse si elle en constitue une restriction trop sévère (§ 7.6). Dès lors, l’arrestation et la détention des auteurs de la Communication, qui « visaient à punir ceux-ci d’avoir exercé légitimement leur droit de manifester leurs convictions religieuses », présentent un caractère arbitraire (§ 7.7). Ainsi, après avoir établi que les requérants ont fait l’objet d’une arrestation et d’une détention et que celles-ci présentaient un caractère arbitraire, le Comité conclut à la violation de l’article 9 du Pacte. Cette décision découle de la logique selon laquelle « ce qui constitue une violation d’un traité peut être licite en droit interne (CIJ, 20 juillet 1989, Affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSA), (États-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 15, spéc. p. 65, § 73).
M. José Manuel Santos Pais a joint une opinion partiellement dissidente. Il conteste les conclusions de la majorité concernant l’article 9 du Pacte, au motif que l’intervention de la police et la durée de présence des auteurs de la communication sont prévues par la loi.
En définitive, contrairement à la CEDH, la position nuancée du Comité interroge sur la possibilité de la compatibilité de l’exigence de s’enregistrer en tant qu’association avec l’exercice collectif de la liberté de religion.