Après avoir été déboutés de leur demande d’asile par la Cour Suprême norvégienne et renvoyés vers leur pays d’origine, Imran Ali, Bakhtaware Ali et leur fils, Wahaj Ali, originaires d’Afghanistan, ont déclaré avoir souffert, au cours de leur procédure de demande d’asile en Norvège, d’arrestation et de détention arbitraire d’une durée de soixante-seize jours dans des conditions difficiles ayant profondément affecté la santé de leur fils. Les auteurs ont saisi le Comité des droits de l’homme en vue de constater la violation par la Norvège de l’interdiction de la torture et de tout traitement dégradant consacré par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, le « Pacte »), de l’interdiction d’arrestation et de détention arbitraire et d’immixtion illégale dans la vie de la famille prévue à l’article 17 § 1 du Pacte et du droit à la protection de leur fils mineur consacré par l’article 24 du Pacte en le soumettant à une pression ainsi qu’à des conditions difficiles qui ont mis à mal sa santé.
Examinant la recevabilité de la communication, le Comité a estimé que les voies de recours internes n’avaient été épuisées s’agissant des griefs relatifs à l’interdiction de la torture et autres traitements dégradants (article 7) et l’interdiction de toute immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée de la famille (article 17 § 1) du Pacte. Au contraire, il a jugé recevables les griefs relatifs à la détention arbitraire et à la protection des mineurs fondés sur les articles 9 et 24 du Pacte.
Concernant la détention arbitraire, le Comité a précisé que, dans le cadre d’une procédure de contrôle de l’immigration, la détention ne peut être en soi arbitraire. À cet égard, toute décision en matière de détention doit être justifiée comme raisonnable, nécessaire et proportionnée au regard des circonstances. Elle doit pouvoir être réévaluée si elle se prolonge dans le temps et tenir compte des facteurs pertinents au cas par cas et ne pas être fondée sur une règle impérative pour une vaste catégorie. Le Comité rappelle par ailleurs, que les enfants ne devraient pas être privés de liberté, sauf en dernier ressort et pour la période la plus courte possible dans le respect de leur intérêt supérieur (§ 10.4). Quant à la notion d’« arbitraire », le Comité considère qu’elle ne doit pas être entendue comme « contraire à la loi », mais elle doit être « interprétée plus largement pour inclure des éléments d’inconvenance, d’injustice, de manque de prévisibilité et d’application régulière de la loi, ainsi que des éléments de raisonnabilité » (§ 10.5). Dans le cas qui lui a été soumis, le Comité a noté que la détention de la famille du 19 mars 2014 au 2 avril 2014, ayant un fondement en droit interne, pouvait être considérée comme justifiée au regard des circonstances spécifiques (§ 10.5). Il a conclu sur ce point que la Norvège n’avait pas commis de violation des droits garantis par l’article 9 du Pacte.
S’agissant des allégations de violations des droits de leur fils garantis par l’article 24 § 1, le Comité a réaffirmé le caractère fondamental du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de la protection susceptible d’être accordée à l’enfant mineur, par sa famille, la société et l’État. Le Comité s’est inscrit dans le sillage de l’observation générale conjointe n° 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et n°23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour (16 novembre 2017, U.N. doc. CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23). À la lumière des positions de ces organes, le Comité a considéré que la détention d’un enfant sur la base du statut migratoire de ses parents constitue une violation des droits de l’enfant et contrevient au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en raison du préjudice inhérent à toute privation de liberté et de l’impact négatif que la détention des migrants peut avoir sur la santé physique et mentale des enfants et sur leur développement. Le Comité précise en outre que la possibilité de détenir des enfants en dernier ressort ne devrait pas s’appliquer dans les procédures d’immigration (§ 10.7). De même, à l’appui de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la violation de l’article 3 relatif à l’interdiction de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEDH, arrêt du 31 mars 2022, N.B. et autres c. France, req. n° 49775/20, § 46 ; arrêt du 12 juillet 2016, M. et autres c. France, req. n° 33201/11, § 70 ; arrêt du 7 décembre 2017, S.F. et autres c. Bulgarie, req. n° 8138/16, §§ 78 et 83), le Comité a considéré que l’âge de l’enfant, l’adéquation des locaux dans lesquels il est détenu et la durée de la détention, de même que la vulnérabilité particulière d’un enfant mineur, constituent des facteurs décisifs dans l’évaluation, qui priment sur le statut de migrants des parents de cet enfant. En conséquence, il est arrivé à la conclusion que la détention du fils des auteurs de la communication, dans des conditions telles que celles qui existaient au centre et en n’envisageant pas comme il convenait de le faire les alternatives possibles à la détention, l’État partie n’a pas dûment pris en considération son intérêt supérieur en tant que considération primordiale, en violation des droits garantis à l’article 24 du Pacte. Par conséquent, le Comité a recommandé à l’État norvégien d’accorder une indemnisation du fils des auteurs en guise de réparation intégrale pour la violation de ses droits, d’une part, et la prise de mesures visant à empêcher que de telles violations ne se reproduisent à l’avenir, d’autre part.
Ainsi, le Comité est resté fidèle à sa jurisprudence et tout en prenant en compte celles d’autres organes universels ou régionaux en ce qui concerne l’interprétation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, en particulier en situation de migration, revient sur la notion « d’arbitraire » dans le respect des législations nationales. Il importe de mentionner que ces constatations du Comité ont fait l’objet de quatre opinions de la part de certains de ses membres. La première opinion, partiellement dissidente, de José Manuel Santos Paris et Imeru Tamerat Yigezu, considère qu’il y a également eu violation des droits des auteurs et des droits de leur fils au titre de l’article 9 du Pacte (Annexe I). La seconde opinion, partiellement dissidente, d’Arif Bulkan et Hélène Tigroudja, considère que le Comité aurait dû également retenir, dans ses conclusions, la violation de l’article 9 du Pacte, eu égard au fait que l’examen de la situation de l’enfant de 2 ans au regard de l’article 24 du Pacte ne pouvait se faire séparément de la question de la détention au titre de l’article 9 (Annexe II). La troisième opinion, dissidente, de Furuya Shuichi et Marcia V.J. Kran, considère qu’il n’y a pas de violation de l’article 24 du Pacte, car l’État partie a agi conformément aux exigences relatives à la détention d’enfants dans le contexte de l’immigration en vigueur en 2014 (Annexe III). La quatrième opinion, concordante, de Duncan Laki Muhumuza, retient la violation par l’État partie de l’article 24 du Pacte en raison des mesures disproportionnées prises pendant la détention avant renvoi, notamment le traitement cruel et inhumain infligé au fils de l’auteur en ignorant son statut de mineur (Annexe VI).