Dans un contexte de crise migratoire en Europe (voir M. Bossuyt, Droit d’asile : louvoyer entre démagogie et hypocrisie, témoignage du premier général belge aux réfugiés, Paris, L’Harmattan, 2023, 438 pages), la réouverture de centres de détention pour migrants, y compris mineurs, en Belgique a donné lieu à la saisine du Comité des droits de l’enfant (ci-après, le « Comité ») dans les affaires A.M.K. et S.K. (Comité des droits de l’enfant, constatations du 4 février 2022, A.M.K et S.K. c. Belgique, communication n° 73/2019, U.N. doc. CRC/C/89/D/73/2019 ; voir à ce propos, dans la présente chronique, la note de M.-L. Lurel, pp. 62-64) et E. H. et consorts, qui fait l’objet de la présente note.
En l’espèce, l’auteure, appartenant à la communauté rom, et ses quatre enfants résidaient illégalement en Belgique (§ 2.1). À la suite de multiples refus de quitter le territoire (§§ 2.1 et 2.2), ils ont été placés dans une maison familiale au sein d’un centre fermé pour étrangers à proximité de l’aéroport (§ 2.3). L’auteure a introduit plusieurs recours sans succès contre leur expulsion et leur détention (§§ 2.5-2.19). Du fait de ces recours, la famille a été enfermée quatre semaines, le maximum légal autorisé (§ 2.18). Après un placement temporaire dans un centre ouvert duquel ils se sont enfuis (§ 2.20), ils ont été reconduits dans un centre fermé (§ 2.21).
L’auteure a saisi le Comité au nom de ses enfants pour contester leur détention et leur expulsion vers la Serbie. Premièrement, elle soumettait que la détention pour motif migratoire constitue une violation de l’article 37 (droits à la liberté et à un recours effectif) lu seul et conjointement avec l’article 3 (intérêt supérieur de l’enfant) (§ 3.3) et que les conditions de détention portaient gravement atteinte aux droits protégés par les articles 3, 24 (droit de jouir du meilleur état de santé possible), 28 (droit à l’éducation), 29 (buts de l’éducation) et 31 (droit aux repos et aux loisirs) de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après, la « Convention ») (§ 3.4). Deuxièmement, s’agissant de l’expulsion, elle invoquait une violation de l’article 27 (droit à un niveau de vie suffisant pour permettre le développement physique, mental et social des enfants), du fait de la discrimination et de la pauvreté dans laquelle ils se trouveraient en Serbie (§ 3.5) et une violation de l’article 9 (droit au respect de la vie familiale) puisqu’une partie de la famille demeure en Belgique (§ 3.6).
Malgré l’adoption de mesures intérimaires pour suspendre l’expulsion au titre de l’article 6 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (ci-après, le « Protocole »), l’auteure et ses enfants ont quitté le territoire en échange d’une assistance financière en Serbie (§ 6.1). Le Comité était toutefois invité à se prononcer sur la légalité, d’une part, de la détention et d’autre part, de l’expulsion.
S’agissant de la recevabilité du premier grief, le Comité a écarté l’argument de non-épuisement des voies de recours internes pour la seconde détention au titre de l’article 7(e) du Protocole (§ 7.1). En application de sa jurisprudence (voir Comité des droits de l’enfant, constatations du 28 septembre 2020, B. I. c. Danemark, communication n° 49/2018, U.N. doc. CRC/C/85/D/49/2018, § 5.2. ; constatations du 31 mai 2021, G. R., H. R., V. R. et D. R. c. Suisse, communication n° 86/2019, U.N. doc. CRC/C/87/D/86/2019, § 10.2 ; voir à ce propos, M.-L. Lurel, « Chronique des constatations des comités conventionnels des Nations Unies », Droit fondamentaux, 2022, pp. 95-97), le Comité rappelle qu’un recours non-suspensif de l’exécution d’un ordre d’expulsion ne saurait être considéré comme utile (§ 12.2). Par ailleurs, la règle de l’épuisement des voies de recours internes n’oblige pas l’auteure à épuiser l’ensemble des voies existantes, mais a pour objet de permettre aux autorités de se prononcer sur les griefs (§ 12.2), ce qui était le cas en l’espèce. Le Comité confirme ainsi son interprétation de l’article 7(e) du Protocole. Cependant, le Comité rejette les griefs liés à l’expulsion, au motif qu’ils étaient manifestement infondés et irrecevables, au regard de l’article 7(f) du Protocole (§§ 12.3-12.4).
S’agissant du fond, sur le grief contestant la légalité de la détention, sans surprise, le Comité conclut à une violation de l’article 37 seul et conjointement avec l’article 3 (§ 13.15). En référence à ses constatations antérieures (voir Comité des droits de l’enfant et Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, « Les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour », Observation générale conjointe n° 4/23, 2017, U.N. doc. CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23, §§ 5, 9 et 10 ; Comité des droits de l’enfant, « Observations finales concernant le rapport de la Belgique valant cinquième et sixième rapports périodiques », 2370e séance, 2019, U.N. doc. CRC/C/BEL/CO/5-6, § 44), il considère que la privation de liberté d’enfants pour motif migratoire est généralement disproportionnée et arbitraire (§ 13.1). En l’espèce, il constate qu’aucune mesure de substitution à la détention n’a été envisagée (§ 13.14), ce qui constitue une atteinte au principe selon lequel la détention doit être une mesure de dernier ressort. En émettant la même conclusion que dans l’affaire A.M.K. (Comité des droits de l’enfant, A.M.K. et S.K. c. Belgique, précitées, § 10.13), le Comité peut paraître vouloir clairement réaffirmer l’interdiction de la détention migratoire.
Pour autant, cette solution apparaît timide au regard des commentaires antérieurs du Comité. L’observation générale conjointe n° 4/23, sur laquelle il fonde expressément sa décision, établit une interdiction absolue de la détention des enfants pour motif migratoire (Comité des droits de l’enfant et Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Observation conjointe n° 4/23, précitée, § 5). En procédant à une appréciation in concreto de la violation, tant dans l’affaire examinée que dans l’affaire A.M.K., le Comité révoque le caractère absolu de cette prohibition et adopte la position de la Cour européenne des droits de l’homme (voir CEDH, arrêt du 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n° 13178/03, § 96 ; CEDH, arrêt du 25 juin 2020, Moustahi c. France, req. n° 9347/14, §§ 89 et 94).
En outre, Luis Ernesto Pedernera Reyna et José Ángel Rodríguez Reyes, dans une opinion conjointe partiellement concordante, déplorent l’absence d’un examen du principe de non-refoulement dans le cadre de l’expulsion. Le principe de non-refoulement interdit à un État de « renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable » (Comité des droits de l’enfant et Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Opinion conjointe n° 4/23, précitée, § 45 ; Comité des droits de l’enfant, G. R., H. R, V. R. et D.R. c. Suisse, précitées, § 11.3). Eu égard à la grande précarité dans laquelle la famille vit à son retour en Serbie, les auteurs de l’opinion concordante concluent à un préjudice irréparable du fait de l’expulsion (§ 10). Si le Comité a déjà procédé à une adaptation du principe de non-refoulement (voir Comité des droits de l’enfant, constatations du 4 février 2021, A.B. c. Finlande, communication n° 51/2018, U.N. doc. CRC/C/86/D/51/2018, § 12.5), le renvoi vers des conditions d’extrême pauvreté ne constitue pas un risque prohibant ce renvoi en droit international (O. Delas, Le principe de non-refoulement dans la jurisprudence internationale des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 153-154).
Plus largement, les auteurs de l’opinion concordante déplorent une attention insuffisante accordée au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 12). Pourtant, sa prise en considération doit être expressément assurée au moyen de procédures individuelles faisant partie intégrante de toute décision administrative ou judiciaire concernant le renvoi d’un enfant (Comité des droits de l’enfant, A.B. c. Finlande, précitées, § 12.2).
Les commentaires des auteurs de l’opinion concordante illustrent une certaine timidité du Comité sur la question sensible des migrations. Pourtant, malgré cette timidité, cette condamnation bienvenue de la détention pour motif migratoire, tant dans l’affaire précitée que dans l’affaire A.M.K., semble avoir incité la Belgique à proposer une interdiction du maintien de familles avec des enfants dans des centres fermés dans un projet de loi en cours d’examen (RTBF, « Asile et migration : une nouvelle politique de retour « proactive » approuvée en commission de la Chambre », 10 janvier 2024, disponible sur : https://www.rtbf.be/article/asile-et-migration-une-nouvelle-politique-de-retour-proactive-approuvee-en-commission-de-la-chambre-11310857).