N. 19 - 2021

La dimension internationale : Les défis pratiques de mise en œuvre de la Convention.

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Intervention tenue à l’occasion du webinar, organisé par l’AFNU et le CRDH, du 12 janvier 2021 consacré au 10e anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Un grand merci pour l’invitation à participer à la conférence d’aujourd’hui, en représentation du Secrétariat du Comité des Disparitions Forcées.

Cet espace d’échanges sur les défis pratiques rencontrés pour la mise en œuvre de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées est une opportunité de réflexion sur notre travail quotidien. Une grande partie de celui-ci consiste en effet à chercher, en coordination avec le Comité et autres acteurs, des solutions pour permettre le fonctionnement des mécanismes de la Convention malgré les défis rencontrés.Un grand merci pour l’invitation à participer à la conférence d’aujourd’hui, en représentation du Secrétariat du Comité des Disparitions Forcées.

A des fins de clarté, et sans prétendre réaliser une analyse exhaustive, je distinguerai 4 principales catégories de « défis pratiques » :

  • Des défis pratiques qui résultent d’enjeux diplomatiques
  • Des défis pratiques liés à l’accessibilité de la Convention
  • Des défis pratiques résultant de questions substantielles
  • Des défis pratiques de nature « matérielle »

 

  1. « Défis pratiques résultant d’enjeux diplomatiques »

À ce jour, seuls 63 Etats membres des Nations Unies ont ratifié la Convention. De ces 63 Etats, seuls 23 ont reconnu la compétence du Comité pour examiner les plaintes individuelles et 23 (pas tous les mêmes), celle pour examiner les plaintes interétatiques.

Pratiquement, les interventions du Comité sont donc limitées géographiquement ou en termes des procédures applicables.

A manière d’exemple, le Comité reçoit fréquemment des informations sur la Turquie ou la Syrie. Ces pays n’ayant pas ratifié la Convention, le Comité ne peut rien faire, à part transmettre l’information à d’autres mécanismes, principalement le Groupe de Travail sur les disparitions forcées. Aucune des procédures approuvées par les Etats membres lorsqu’ils ont adopté la Convention ne sont applicables dans ces pays, privant les victimes et les autorités du support qu’elles pourraient y trouver.

Pour ce qui est des plaintes individuelles, beaucoup de nos interlocuteurs se surprennent du nombre réduit de décisions adoptées par le Comité à ce jour, soit trois décisions. Pour cette procédure, aucun cas ne peut être traité par le Comité si les Etats ne font pas la déclaration nécessaire pour lui donner cette compétence. Le nombre réduit d’Etats membres ayant accepté la compétence limite donc évidemment la possibilité pour le Comité de construire sa jurisprudence en statuant sur ce genre de plaintes.

Une fois la Convention ratifiée et la pleine compétence du Comité reconnue, un autre défi pratique se présente : il faut également que ceux qui ont besoin des procédures y aient accès.

 

  1. « Défis pratiques liés à l’accessibilité de la Convention et / ou du Comité »

Nous savons par exemple parfaitement que le nombre d’actions urgentes enregistrées par le Comité, qui atteint à ce jour 1005, est très réduit face au nombre réel de disparitions forcées dans le monde.

Pensons par exemple aux chiffres officiels du Mexique, qui font état de plus de 80.000 personnes disparues à ce jour. Quelle proportion des victimes touchées par ces disparitions ont connaissance des actions urgentes, des plaintes individuelles et des autres procédures que le Comité peut mettre en œuvre pour les aider ?

Si les victimes ou leurs représentants n’apportent pas les cas ou situations à la connaissance du Comité, celui-ci ne peut pas intervenir.

Dans le même ordre d’idées, il convient de reconnaître que tous les acteurs étatiques ne connaissent pas suffisamment la Convention. L’usage qu’ils en font est donc limité, et en limite la mise en œuvre.

Il n’est pas rare par exemple que nos collègues travaillant dans les bureaux de terrain du Haut-Commissariat nous avertissent que les autorités en charge de l’enquête d’une disparition forcée n’ont pas été informés des recommandations faites par le Comité dans le cadre d’une action urgente enregistrée pour le même cas.

Nous facilitons alors la transmission de l’information. Mais de telles interventions ne sont possibles que dans les cas où le problème est détecté.

Plusieurs options ont été envisagées avec les Etats parties à cet égard, mais aucune solution pérenne n’a été approuvée.

Et la question de l’accès à l’information reste un défi pratique systémique majeur. Si les recommandations ne parviennent pas aux acteurs responsables de leur mise en œuvre, leur utilité et celle des procédures de la Convention peuvent facilement être remises en question.

Nous travaillons quotidiennement pour assurer une meilleure diffusion des informations. En amont et en aval. Mais il reste beaucoup à faire en la matière.

La question de la diffusion de l’information est étroitement liée à la catégorie suivante de défis pratiques :

  1. Les « Défis pratiques résultant de questions substantielles » 

Il faut le reconnaître, la Convention est un instrument complexe. Elle contient notamment un grand nombre de principes détaillés sur les obligations étatiques en matière législative. Certains Etats y voient un fardeau, qui les oblige à adopter des réformes législatives importantes.

Dans le même temps, il n’est pas rare que les acteurs réalisent une lecture de la Convention qui en limite les potentiels. Pensons par exemple à la position de certains Etats selon lesquels la Convention n’a pas d’intérêt, car aucun cas de disparition forcée n’est connu chez eux. Cette position résulte entre autre d’une conception de la Convention qui ne prend pas en compte son rôle central d’instrument de prévention, et de coopération interétatique.

Ces caractéristiques substantielles font sans doute partie, pratiquement, des défis qui se présentent quant à la ratification de la Convention. Il est important que les Etats soient davantage informés de l’importance des dispositions de la Convention comme instrument essentiel dans la lutte contre les disparitions forcées, et sur les avantages qu’ils peuvent trouver en en assurant le plein respect.

Les défis pratiques de caractère substantiels résultent également de ce que la Convention est un « traité moderne » qui a créé des mécanismes qui sont nouveaux pour les organes de traités.

Cette modernité doit être absolument encouragée, son objectif étant de permettre une intervention efficace sur un sujet qui se caractérise toujours par l’urgence.

Néanmoins, pratiquement, il convient de prendre en compte que la mise en œuvre de ces nouvelles procédures demande du temps. Le Comité doit en effet en discuter les étapes, les délais, les modalités, etc.

Cette réalité doit être prise en compte, surtout au regard du temps limité de réunions dont le Comité dispose, soit deux fois, deux semaines par an. Deux fois deux semaines pour mettre en œuvre 11 procédures différentes[1], dont quatre sont uniques au Comité.

Le temps requis pour la mise en place des procédures novatrices est donc un défi pratique au vu du peu de temps de réunion dont le Comité dispose. Et on arrive ici à la 4e et dernière catégorie de défis pratiques que je mentionnerai aujourd’hui.

  1. Les défis pratiques de nature « matérielle »

Depuis sa première session, le Comité continue de fonctionner avec le même temps de réunion et les mêmes ressources humaines qui lui ont été alloués à son démarrage. Depuis lors, le nombre d’Etats membres a fort heureusement augmenté, le nombre des actions urgentes s’est démultiplié, et la procédure d’examen des informations complémentaires s’est ajoutée à celui de l’examen des rapports initiaux.

De nombreux appels ont été faits pour dénoncer cette situation, par le Comité, par le Bureau du Haut-Commissariat, par des ONGs. Mais rien n’a changé à ce jour.

Les contraintes budgétaires imposées aux organes de traité se manifestent également par des limitations d’accès aux services techniques dont ils ont besoin, tels que les services de traduction et interprétation. Le Comité des disparitions forcées s’y confronte bien sûr lui aussi.

Dans ces circonstances, le Comité est donc contraint de prioriser ses actions et de faire « le mieux possible ». Mais ce « mieux possible » est évidemment insuffisant face à la gravité des disparitions forcées et à l’ampleur de la tâche.

Trouver des solutions réelles et efficaces aux défis rencontrés pour la mise en œuvre de la Convention implique que tous les acteurs assument leurs responsabilités et s’engagent de façon pratique, réaliste, et coordonnée.

Merci beaucoup pour votre attention.

[1] Rapports initiaux ; rapports de suivi ; rapports d’information complémentaire; Actions Urgentes; plaintes individuelles ; communications interétatiques ; visites ; renvoi de la situation d’un État à l’Assemblée Générale des Nations Unies ; rapports annuels à l’Assemblée Générale des Nations Unies ; Journées de débat général sur la Convention ; Observations Générales sur la Convention.