Dans la présente affaire, les auteurs de la communication (ci-après les « auteurs ») sont cinq ressortissants français qui ont été arrêtés en 2019, en République arabe syrienne et transférés en Iraq, où ils ont été condamnés à la peine de mort en raison de leur affiliation présumée à Daech. En attente de leurs exécutions, ils sont actuellement détenus dans la prison centrale de Bagdad, où ils affirment être incarcérés dans des conditions qualifiées d’inhumaines (§ 2.7). Selon les requérants, leur transfert depuis la République arabe syrienne à destination de l’Iraq a été effectué avec la coopération directe ou indirecte de l’État partie de cette communication, à savoir la France (§§ 1.1, 2.2-2.3 et 2.5).
Les auteurs introduisent une communication auprès du Comité contre la torture (ci-après le « Comité ») en 2020, pour plusieurs raisons. En premier lieu, les auteurs reprochent à la France d’avoir participé à leur transfert vers l’Iraq, un État réputé pour l’application de la peine de mort à l’encontre d’individus associés au terrorisme (§§ 2.2 et 2.7). Ils considèrent en outre que le refus de la France d’intervenir pour organiser leur rapatriement, ainsi que l’absence de protection consulaire, constituent des manquements à ses obligations de protection en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après la « Convention »). Ils soutiennent que l’État français aurait dû prendre des mesures au regard de la gravité des faits allégués, en assurant notamment leur protection contre les traitements inhumains et les actes de tortures qu’ils subissent en Iraq (§§ 2.3-2.6).
Malgré la gravité des faits allégués, le Comité n’a toutefois pas ordonné des mesures provisoires. Celui-ci a seulement requis la France de prendre « toute mesure utile et raisonnablement en son pouvoir aux fins de protéger l’intégrité physique et psychologique des requérants, et d’empêcher que la condamnation à mort des requérants soit exécutée » (§ 1.2).
Les requérants soutiennent que la France a exercé un contrôle suffisant sur leur situation en participant à leur transfert depuis la République arabe syrienne vers l’Iraq (§ 3.1). En outre, les auteurs affirment que le refus de la France de rapatrier ses ressortissants constitue une violation, de l’article 2 conjointement lu avec l’article 16 de la Convention protégeant les individus de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, puisque l’État partie était conscient des risques de peine de mort ou de torture auxquels ses ressortissants pouvaient être exposés (§§ 3.1-3.4). Ils soulignent que « l’État partie, en refusant de se déclarer compétent, alors qu’il avait connaissance de la situation inhumaine dans laquelle se trouvaient ses ressortissants, a violé l’article 5 de la Convention » (§ 3.1). De surcroît, ils accusent la France d’avoir manqué à ses obligations en n’assurant pas de protection consulaire. Pour l’ensemble de ces raisons, ils considèrent que l’État partie viole les articles 2, 3, et 5 lus conjointement avec l’article 16 de la Convention, qui interdisent la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, tout en imposant aux États de prévenir ces actes, de les sanctionner mais aussi de protéger leurs ressortissants contre de tels risques.
L’État partie, quant à lui, réfute fermement les arguments avancés par les requérants. Celui-ci déclare la communication irrecevable pour défaut de juridiction (§ 4.1). Il soutient notamment que les requérants ne se trouvent d’aucune manière sous sa juridiction en raison d’une absence de contrôle effectif. Par ailleurs, l’État partie ajoute qu’il est important de distinguer les concepts de « juridiction » et de « nationalité » tels qu’employés par les requérants. La nationalité française des auteurs ne suffit pas pour établir, à elle seule, la juridiction extraterritoriale de la France. En effet, les obligations de l’État se limitent aux circonstances où il exerce un contrôle effectif. Par conséquent, la France affirme qu’elle ne peut être tenue responsable des actes commis par d’autres États ou acteurs non-étatiques (§§ 4.2 et 4.10) puisque celle-ci « n’exerce aucun contrôle ni aucune autorité sur les requérants par l’intermédiaire de ses agents » (§ 6.2). En l’espèce, cette situation peut être comprise principalement par le fait que les auteurs sont détenus en Iraq par les autorités iraquiennes et non françaises. Par ailleurs, il est intéressant de rappeler qu’en 2019, la France a reconnu publiquement « la reconnaissance de la souveraineté iraquienne et de la compétence universelle de la justice » (§ 2.8). De plus, concernant le rapatriement, la France précise qu’aucune disposition de la Convention oblige un État au rapatriement de ses ressortissants condamnés à l’étranger (§4.11). L’article 2 de la Convention, invoqué par les requérants, doit être interprété comme se référant à la notion de juridiction plutôt qu’à celle de nationalité (§ 4.2). En dernier lieu, un autre point soulevé par la France concerne sa participation au transfert des auteurs vers l’Iraq. Elle précise ne pas avoir été impliquée dans ce transfert, sous quelque forme que ce soit, et souligne également qu’aucune preuve matérielle n’a été fournie par les requérants pour étayer les accusations portées à son encontre (§4.9).
Avant de pouvoir statuer sur le fond, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
Dans un premier temps, en vertu de l’article 22 § 5 a) de la Convention, le Comité, après vérification de la procédure, écarte la question de l’examen par « une autre instance internationale d’enquête ou de règlement », constatant que les auteurs ne faisaient pas l’objet d’un examen simultané par une autre juridiction (§ 6.1).
Dans un deuxième temps, le Comité s’intéresse aux observations de l’État partie, et constate que ce dernier nie entièrement tous les griefs des requérants y compris son éventuelle participation au transfert de ces derniers. Cependant, les auteurs insistent sur cette allégation du rôle de l’État partie. (§ 6.2). Le Comité rappelle alors que pour qu’une requête soit recevable, elle doit démontrer un lien de juridiction et que la nationalité seule ne suffit pas. Dès lors, avant de pouvoir s’intéresser aux griefs, elle constate que les requérants ne sont pas situés « dans un territoire où l’État partie exerce un contrôle effectif de jure ou de facto » (§ 6.4). Ainsi, seules les autorités iraquiennes sont responsables du sort des ressortissants français se trouvant sur son territoire.
Dans un troisième temps, le Comité revient sur les allégations d’une éventuelle implication de l’État français au transfert des auteurs vers Iraq, en précisant qu’en l’absence d’éléments tangibles et concrets, il n’est pas possible d’établir le contrôle effectif (§ 6.4). Il précise que les actes de tortures ou encore les traitements inhumains dénoncés par les auteurs résultent des actes de l’État Iraquien, un État complétement souverain, et non par des agents français. Dès lors, le Comité rappelle son rôle, en précisant qu’il « n’a pas pour fonction de présumer les faits dont il a été saisi, mais d’examiner une requête en tenant dûment compte de toutes les informations fournies par les parties » (§ 6.4).
Finalement, le Comité juge irrecevable la requête introduite par les ressortissants français au motif que les requérants ne relèvent pas de la juridiction française au titre de l’article 22 § 1 de la Convention (§ 7). Cette décision souligne les limites de la compétence extraterritoriale des États signataires de la Convention, indiquant que le seul lien de nationalité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité d’un État pour des actes échappant à son autorité et qui relèvent plutôt du contrôle effectif d’un autre État souverain. En outre, le Comité saisit cette occasion pour souligner qu’il n’est pas de son ressort de présumer des faits, son unique mission étant d’examiner une requête.