N. 21 - 2023

Note sous Comité des droits de l’homme, R.R., K.R. et S.R. c. Népal, 14 mars 2022, communication n° 2906/2016, U.N. doc. CCPR/C/134/D/2906/2016

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La présente affaire porte sur des faits survenus le 13 février 2004. Au cours de la nuit, des soldats de l’Armée royale népalaise ont enlevé puis interrogé R.R., une adolescente de 16 ans, suspectée d’être engagée dans des activités maoïstes (§ 2.3). Isolée de sa famille, elle fut frappée à de nombreuses reprises puis violée (§§ 2.3 et 2.5). Aux alentours de 5 heures du matin, elle fut tuée et son corps retrouvé le lendemain par sa famille (§ 2.5). À la suite de ces événements, ses parents K.R. et S.R. (les auteurs de la communication) s’engagèrent dans ce qui allait être un long processus judiciaire. Ils tentèrent de déposer plainte, ce que la police leur refusa (§ 2.7). Un an plus tard, la Commission Nationale des droits de l’homme recommanda au Gouvernement de poursuivre les auteurs du meurtre de R.R. et d’indemniser ses parents. Les poursuites furent engagées devant un tribunal militaire : le 28 août 2005, une Cour martiale reconnut K.K. responsable du meurtre de R.R., ayant agi contre les ordres lui ayant été donnés (§ 2.9). S.B., l’officier en charge de l’opération, fut, pour sa part, condamné à quatre mois de prison (§ 2.9).

K.R. réussit à déposer plainte au pénal quant au viol et au meurtre de R.R. le 25 mai 2006 (§ 2.10). Elle ne déboucha néanmoins sur aucune enquête. K.R. déposa alors une requête en demande d’injonction et de révision devant la Cour Suprême le 14 décembre 2009, à la suite de quoi, la Cour ordonna au Procureur et aux officiers de police concernés de mener une enquête (§ 2.11).  C’est ainsi que le 14 septembre 2010, K.K. fut finalement arrêté avant d’être acquitté des charges de meurtre retenues à son encontre (§ 2.12). Estimant avoir épuisé toutes les voies de recours possibles, K.R. et S.R. se sont tournés vers le Comité des droits de l’homme (ci-après, « le Comité »). Ils considèrent que le Népal a violé l’obligation qui lui incombait au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, le « Pacte ») de respecter le droit à la vie (article 6), à la liberté (article 9, §§ 1 à 3 et § 5, et article 10) et à la protection en tant que mineure de leur fille (article 24). Ils relèvent également que les violences subies par R.R. constituent une violation de l’interdiction de la torture (article 7) et de la discrimination (article 3) (§§ 3.1 à 3.3, 3.5 et 3.6).

Concernant leur propre préjudice, ils soulignent que la souffrance occasionnée par la disparition violente de leur fille et de la difficulté d’obtenir justice s’apparente à des traitements inhumains, proscrits à l’article 7 (§ 3.4). Ils invoquent enfin la violation du droit à un recours effectif compte tenu de l’échec des poursuites (article 2(3), § 3.7). S’agissant plus particulièrement de la prescription de 35 jours pour déposer plainte en matière de viol, ils relèvent une disparité dans la protection garantie par la loi aux femmes, constitutive d’une violation des articles 3 et 26 du Pacte (§ 3.7).

Avant de s’intéresser au fond, le Comité s’est assuré de la recevabilité de la communication (article 5(2) du Protocole facultatif au Pacte).

Tout d’abord, le Comité estime que les voies de recours internes étaient ineffectives et indisponibles (§ 6.3) considérant d’une part que les auteurs ont tenté de déposer plainte le lendemain des faits, ce qui leur a été refusé, et, d’autre part, que l’impossibilité d’un dépôt de plainte au-delà de 35 jours est contraire aux obligations qui incombent au Népal en vertu du Pacte. Cette position n’est pas nouvelle, le Comité a déjà eu l’occasion de le souligner à de multiples reprises, bien qu’il ne détaille pas plus avant son argumentaire en l’espèce (Comité des droits de l’homme, constatations du 17 mars 2017, Purna Maya c. Népal, communication n° 2245/2013, U.N. doc. CCPR/C/119/D/2245/2013, § 12.5).

De la même façon, le Comité rappelle à nouveau que les Commissions Vérité et Réconciliation ne peuvent se substituer à des procédures judiciaires en cas de violations graves du Pacte (Comité des droits de l’homme, constatations du 24 mars 2011, Yubraj Giri et consorts c. Népal, communication n° 1761/2008, U.N. doc. CCPR/C/101/D/1761/2008, § 6.3). Il en déduit donc que ces Commissions n’entrent pas dans le champ de l’article 5(2) du Protocole (§ 6.4). Cette exclusion conduit inévitablement à une marginalisation du travail de ces Commissions que le Comité n’étudie d’ailleurs pas.

En dernier lieu, le Comité se range à l’argument des auteurs de la communication, estimant qu’il ne lui est pas demandé de faire office de juridiction d’appel pour l’acquittement de K.K. mais bien de se prononcer sur les éventuelles violations par le Népal de ses obligations conventionnelles (§ 6.5).

La communication est alors jugée recevable par le Comité, ce qui l’amène à examiner les différentes violations alléguées du Pacte.

S’agissant des violations alléguées des droits de R.R., le Comité analyse d’abord le respect du droit à la vie, garanti à l’article 6 du Pacte et qui proscrit notamment toute privation arbitraire de la vie. Cette notion d’« arbitraire » s’apprécie selon un faisceau d’indices développé par le Comité. En particulier, il estime que le recours à la force létale doit être strictement nécessaire et adapté au danger encouru (Comité des droits de l’homme, « Article 6 : droit à la vie », Observation générale n° 36, 2019, U.N. doc. CCPR/C/GC/36, § 12) pour ne pas être qualifié d’arbitraire. Or, il considère ici que le Népal n’a pas été en mesure de démontrer la nécessité de recourir à la force létale (§ 7.5). Ainsi, R.R. ayant été arbitrairement privée de son droit à la vie, le Népal a violé son droit à la vie garanti à l’article 6 (lu seul et conjointement avec l’article 24).

S’y ajoute une violation de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 24 en ce que R.R. a été victime de torture, tant physique (en raison des coups qui lui ont été porté et de son viol) que psychologique (du fait des menaces de mort). Comme dans ses précédentes observations, le Comité estime alors ne pas avoir à se prononcer sur l’allégation de violation de l’article 10 § 1 (§ 7.6), probablement à raison de la plus grande gravité reconnue à la violation de cet article 7 (M. Boumghar, « Article 10 », in E. Decaux (dir.), Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Paris, Economica, 2011, pp. 267-269).

Il semble qu’un raisonnement quelque peu similaire ait été retenu à l’égard des allégations de violences sexuelles. Reconnaissant le caractère discriminatoire du viol subi par R.R., le Comité se fonde sur les articles 3 et 26, lus seuls et conjointement avec les articles 7 et 24 du Pacte, pour établir la violation du droit de ne pas subir de discrimination (§ 7.7). En écartant le recours à l’article 2 §1, il diffère légèrement de ses observations précédentes où, pour des faits similaires commis dans ce même contexte, il en reconnaissait également la violation (CCPR, Purna Maya c. Népal, précitées, § 12.4), ce qui ne peut qu’étonner et interroger quant à l’articulation entre ces différentes dispositions.

Enfin, le Comité relève le caractère arbitraire de l’arrestation de R.R. car elle ne reposait sur aucun motif légitime. Ainsi, et en l’absence de réponse de l’État sur ce point, il conclut à la méconnaissance de l’interdiction de ne pas procéder à des arrestations arbitraires, en violation de l’article 9 lu seul et conjointement avec l’article 24 (§ 7.8).

Concernant les violations alléguées des droits des auteurs de la communication, le Comité rappelle à nouveau l’obligation positive qui incombe à un État partie de « veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles et utiles » (§ 7.9 ; Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 31, 80ème session, 2004, U.N. doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, § 15). En l’occurrence, malgré les efforts de S.R. et K.R. en ce sens, aucune enquête sérieuse n’a été menée. Le Comité relève en outre qu’une Cour martiale – imposant des sanctions disciplinaires aux membres des forces de l’ordre impliqués – ne constitue pas un recours « adéquat et affectif » au regard de la gravité des faits allégués (§ 7.10). Enfin, il se prononce à nouveau sur la prescription pour déposer plainte en matière de viol, affirmant cette fois-ci que la nouvelle prescription d’un an établie en 2018 n’est toujours pas satisfaisante (Comité des droits de l’homme, constatations du 18 mars 2019, Fulmati Nyaya c. Népal, communication n° 2556/2015, U.N. doc. CCPR/C/125/D/2556/2015, § 7.9). Mis en lien avec la présence de S.R. et K.R. lors de la torture de leur fille, le Comité conclut à la violation de l’interdiction de la torture en tant que telle, et en lien avec l’absence de recours utile (article 7 seul et lu conjointement avec l’article 2 § 3), mais écarte l’analyse des plaintes relatives à l’article 2 § 3, lu conjointement avec les articles 7 et 26. Aussi, le Comité a eu à nouveau l’occasion d’étayer sa position, déjà conséquente, quant aux violations des droits engendrées par le conflit népalais. Ses conclusions s’inscrivent dans la continuité de ses constatations précédentes qu’il reprend pour ainsi dire, presque à l’identique. Toutefois, le Comité ne détaille pas plus avant son raisonnement, ce qui laisse présager que de nouvelles communications, portant sur des faits similaires, lui soient à nouveau soumises.