N. 21 - 2023

Note sous Comité des droits de l’homme, Luiz Inácio Lula da Silva c. Brésil, 17 mars 2022, communication n° 2841/2016, U. N. doc. CCPR/C/134/D/2841/2016

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En 2014 est lancée l’« opération Lava Jato », une enquête d’envergure qui mettra rapidement en évidence un réseau de corruption, impliquant le président Lula, auteur de la communication. S’ensuivront d’importants retentissements, avec comme figure de premier plan le juge Moro (Initial proceedings, §§ 2.1-2.2).

Après avoir été mis sur écoute (§§ 2.3, 2.5 et 2.6) et contraint par mandat de se rendre à un interrogatoire (§ 2.4), l’auteur de la communication a été condamné pour corruption et blanchiment d’argent le 12 juillet 2017 (§ 2.11). Il a été placé en détention en avril 2018 (§ 2.12). Tous les recours formés par Lula ont été rejetés au cours de cette affaire (§ 2.6, 2.10 à 2.12), avant que, finalement, un juge n’accepte de statuer sur la validité de son arrestation le 6 juillet 2018. Ce dernier ordonna alors sa libération provisoire (§ 2.14). Mais cette décision n’a pas été exécutée et, par la suite, a même été annulée (§ 2.14). De la même façon, la candidature de Lula à l’élection présidentielle de 2018 a été rejetée et tout contact avec la presse lui a été refusé en prison (§§ 2.15-2.17). Il a été libéré en novembre 2019 (Final proceedings, § 4.2). Enfin, la Cour Suprême (ci-après, « la Cour »), par deux décisions de 2021, a annulé sa condamnation et reconnu la partialité du juge Moro (§§ 4.3-4.4).

C’est ainsi que, à la suite d’une communication de Lula le 28 juillet 2016, le Comité des droits de l’homme (ci-après, « le Comité ») a eu à se prononcer sur diverses violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, « le Pacte ») dont le Brésil serait responsable. Ses constatations ont été adoptées le 17 mars 2022 et une opinion concurrente et une dissidente y ont été jointes.

S’agissant de la procédure, le Comité aborde trois points. Premièrement, le Comité rappelle l’importance du respect des mesures provisoires qu’il adopte (§§ 6.1-6.3). En effet, lorsqu’il identifie une potentielle atteinte irréparable aux droits garantis par le Pacte, le Comité peut enjoindre l’État partie concerné à adopter des mesures destinées à prévenir un tel risque. Il est admis que ces mesures lient les États ; leur non-respect entraîne une violation de l’article 1er du Protocole facultatif au Pacte (Comité des droits de l’homme, constatations du 17 mars 2014, Nikolai Valetov c. Kazakhstan, communication n° 2104/2011, U.N. doc. CCPR/C/110/D/2104/2011, § 12.3 et § 15). Si elles sont généralement émises dans le cadre de situations d’urgence (condamnations à la peine de mort, d’extradition ou de risque de refoulement ; Comité des droits de l’homme, Les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, observation générale n° 33, 2009, § 19 ; Comité des droits de l’homme, constatations du 19 octobre 2000, Piandiong et al c. Philippines, communication n° 869/1999, U.N. doc CCPR/C/70/D/869/1999) , elles peuvent s’étendre à tous les droits garantis par le Pacte comme en témoigne les mesures adoptées dans la présente affaire, destinées à garantir le respect de l’article 25 du Pacte.

Deuxièmement, le Comité confirme que la communication reste toujours pertinente, car, alors même que la Cour Suprême a annulé toutes les procédures à l’encontre de l’auteur de la communication, elle n’a pas eu à connaître de toutes les violations au Pacte alléguées en l’espèce. En outre, l’État n’a pas démontré la mise en œuvre de réparations. De ce fait, la communication demeure pertinente (§ 7.6).

Troisièmement, le Comité écarte tout doute quant à la recevabilité de communication, bien que la communication ait été formulée alors que toutes les voies de recours interne n’avaient pas été épuisées. Mais en reconfirmant que c’est bien à la date de son examen que l’épuisement des voies de recours doit être apprécié (Comité des droits de l’homme, constatations du 22 juillet 2011, Ranjit Singh c. France, communication n° 1876/2009, U.N. doc. CCPR/C/102/D/1876/2009, § 7.3), il conclut que, faute de voies de recours disponibles, la communication est recevable (Final proceedings, §§ 7.4-7.5).

Le Comité se tourne ensuite vers l’analyse du fond de la communication, à l’exception de l’allégation de violation de l’article 9 du Pacte liée au risque de détention provisoire indéfinie qu’il estime insuffisamment motivée (§ 7.7).

Il reconnaît tout d’abord que le mandat d’amener prononcé à l’encontre de Lula a engendré une violation de l’article 9 § 1 du Pacte. En effet, ce mandat n’était pas justifié, car Lula n’avait pas préalablement refusé de témoigner, condition pourtant requise par la loi brésilienne pour émettre ce type de mandat. Aussi, la privation de liberté résultant du transport et de l’interrogatoire de Lula, n’était pas conforme à la procédure prévue par la loi, ce qui contrevient à l’article 9 § 1 du Pacte (§§ 8.2-8.4).

Ensuite, il estime que le droit à la vie privée (article 17 du Pacte) de Lula a été violé. Constituent une violation de ce droit des écoutes téléphoniques qui seraient illégales et arbitraires, c’est à dire qui méconnaîtraient la loi et seraient excessives par rapport aux circonstances (Comité des droits de l’homme, Article 17 : droit au respect de la vie privée, observation générale n°16, 1988, §§ 3-4 ; Comité des droits de l’homme, constatations du 1er novembre 2004, Van Hulst c. Pays-Bas communication n°903/1999, U.N. doc. CCPR/C/82/D/903/1999, § 7.3). C’est le cas en l’espèce : les écoutes, qui visaient à anticiper la stratégie de la défense, et leurs divulgations, qui ont été « manipulées de façon sélective » selon la Cour conduisent au constat d’une violation de l’article 17 du Pacte (§§ 8.5-8.8).

S’agissant des allégations de violation de l’article 14 § 1 du Pacte, le Comité réitère sa position selon laquelle le droit à un tribunal impartial est absolu et qu’il suppose l’absence de tout biais des juges dans leur prise de décision – qui correspond à l’impartialité subjective –, mais aussi la perception extérieure de leur impartialité – qui correspond à l’impartialité objective – (§ 8.9 ; Comité des droits de l’homme, constatations du 9 juillet 2008, Wolfgang Jenny c. Autriche, communication n°1437/2005, U.N. doc. CCPR/C/93/D/1437/2005, § 9.3). En l’occurrence, le Comité conclut à la méconnaissance du droit de Lula à être déféré devant un tribunal impartial. Pour cela, il se fonde sur les conclusions de la Cour, qui avait notamment relevé le manque d’impartialité subjective du juge Moro lié à ses initiatives et décisions prises prématurément, parfois en l’absence de juridiction et illégales (§ 8.10 et §4.4.). Le Comité y relève en outre un manque d’impartialité objective ; il souligne notamment qu’une décision rendue dans les meilleurs délais sur cette question aurait évité que Lula subisse d’importants préjudices, tels qu’un emprisonnement illégal et l’impossibilité de se présenter aux élections présidentielles (§ 8.10). Duncan Laki Muhumuza souligne, dans son opinion concurrente (Annexe I), que la nomination ultérieure du juge Moro comme Ministre de la Justice témoigne de ce manque d’impartialité (§ 6) et est d’autant plus inquiétante qu’elle traduit une approbation de l’État (§ 5).

Au surplus, le Comité admet que le droit à la présomption d’innocence (article 14 § 2 du Pacte) de Lula n’a pas été respecté. Bien qu’ayant admis que les États ont un intérêt à informer leur population des sujets d’intérêt général, d’autant plus lorsqu’ils concernent une personnalité publique aussi importante qu’un Président agissant dans l’exercice de ses fonctions, ils demeurent soumis au respect de la présomption d’innocence (§ 8.13). Aussi, après une mise en balance ce droit avec l’importance de l’accès à l’information sur les sujets d’intérêts public, le Comité procède à une analyse différenciée selon les acteurs. Il relève que le juge Moro a, selon la Cour, créé une « présomption de culpabilité » ; en témoigne le mandat d’amener et les écoutes et divulgations illégales (§ 8.13). Concernant les procureurs, ils ont outrepassé les limites de leur fonction et de leurs droits en affirmant publiquement la culpabilité de Lula (§ 8.14). Ainsi, le droit de vote et à être élu de Lula (article 25(b) du Pacte) a également été méconnu dans la mesure où la suspension de ces droits a été fondée sur une condamnation ne respectant pas les exigences du procès équitable (§ 8.17).

En définitive, le Comité conclut à la violation des droits et libertés garantis aux articles 9 § 1, 14 §§ 1 et 2, 17 et 25(b) du Pacte. Les décisions de la Cour de 2021 jouent un rôle pivot dans son analyse : il s’y réfère systématiquement — bien qu’il n’y soit pas contraint –, pour apprécier les allégations de violation du Pacte, faisant siennes les conclusions de la Cour.

Pour autant, deux membres du Comité ont joint une opinion dissidente (Annexe II). À leur sens, la communication n’aurait pas dû être déclarée recevable, les voies de recours internes n’ayant pas été épuisées lorsque la requête a été communiquée au Comité (§ 3). Dans la mesure où elle aurait été déclarée recevable, ils relèvent que seule la violation du droit à la présomption d’innocence aurait dû être caractérisée (§ 1).

Pour les autres allégations, José Santos Pais et Kobauyah Tchamdja Kaptcha revendiquent une lecture alternative des faits. Ils estiment que le mandat d’arrêt émis par le juge Moro était légal et raisonnable, car Lula paraissait moins coopératif qu’il ne le prétendait (§ 4). Ils justifient ensuite les écoutes illégales par des difficultés d’ordre logistique et mettent en évidence la prise de mesures pour y mettre fin (§§ 5-6). En ce qui concerne le manque d’impartialité allégué du juge Moro, ils soulignent que ses décisions ont été suivies par les Cours supérieures (§§ 7-9). Enfin, ils remarquent que la suspension du droit de vote de Lula d’être élu résultait d’une application correcte de la loi brésilienne, tout en nuançant la gravité du préjudice subi par Lula, qui a tout de même pu se présenter à l’élection présidentielle de 2022 (§§ 10-11). En ce sens, il n’y aurait pas lieu de constater la violation des articles 9 § 1, 14 § 1, 17 et 25(b).

Avec cette communication, le Comité a eu à se prononcer dans le cadre d’une affaire très sensible tant elle implique tout le système judiciaire brésilien ainsi que des personnalités politiques importantes. Cela explique certainement l’appui décisif des observations du Comité sur la décision de la Cour suprême. Paradoxalement, ses membres dissidents voient au contraire ces constatations comme le reflet d’un « political settling of accounts » (§ 8). La difficulté d’une reconstruction neutre et authentique des faits est ainsi perceptible.