L’auteur de la communication, de nationalité burundaise et d’origine tutsie, a vu sa demande d’asile rejetée par les autorités suédoises et conteste la décision d’éloignement prise à son encontre par la Suède. Il estime qu’un retour au Burundi l’exposerait à un risque pour sa vie ainsi qu’à des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants par les autorités burundaises et les Imbonerakure, une milice au service du pouvoir en raison de plusieurs facteurs.
Premièrement, son appartenance à l’ethnie tutsie le rend particulièrement vulnérable. Les réfugiés tutsis qui retournent au Burundi sont généralement tués par les Imbonerakure. Le deuxième point concerne son affiliation politique. Ayant participé à des manifestations d’opposition, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt au Burundi pour sa participation à un mouvement insurrectionnel. Le troisième point concerne la profession qu’il a exercée au Burundi. En sa qualité de superviseur d’établissement de santé, il a été forcé, sous la pression du service national de renseignement (ci-après SNR) de signer et de falsifier des rapports de décès qui disculpaient des miliciens. Ayant révélé ces informations à la presse locale, alors même que le SNR l’en dissuadait, il a été contraint de fuir vers la Suède.
A son arrivée, il a déposé un dossier d’asile auprès de l’Office suédois des migrations. Aussi bien l’Office des migrations que la Cour des Migrations ont rejeté sa demande d’asile, pour défaut de crédibilité. L’auteur considère que l’examen de son dossier d’asile est entaché de nombreuses erreurs procédurales ayant vicié la procédure et consolidant le caractère arbitraire de la décision. Il saisit dès lors le Comité des droits de l’homme (ci-après, le « Comité ») pour constater une violation des articles 6 (droit à la vie) et 7 (interdiction des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, le « Pacte » PIDCP) par la Suède.
Dans ses observations écrites, la Suède, bien qu’elle estime que la situation générale des droits de l’homme au Burundi soit préoccupante, indique que cela ne « suffit pas en soi » à établir la violation des articles 6 et 7 du Pacte (§ 8.6). La Suède conteste la recevabilité de la communication sur un moyen classique d’irrecevabilité dans les contentieux d’éloignement du territoire, à savoir l’absence de griefs étayés. Elle souligne que l’auteur ne démontre pas de « manière plausible » les caractères réel et personnel du risque de persécution (§ 8.4).
Contrairement à une affaire similaire rendue lors de la même session concernant également un ressortissant burundais sous le coup de l’expulsion par la Suède (Comité des droits de l’homme, constatations du 24 octobre 2022, C.C.N c. Suède, communication n° 3701/2020, U.N. doc. CCPR/C/136/D/3701/2020), le Comité des droits de l’homme a estimé dans la présente affaire que l’auteur avait « fourni suffisamment d’informations » à l’appui de sa communication et déclare la requête comme étant recevable (§ 7.4).
Le Comité procède dès lors à l’examen substantiel en rappelant son Observation générale n° 31 (Comité des droits de l’homme, « La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte », 80ème session, 2004, U.N. doc. HRI/GEN/1/Rev.7) et les contours des obligations des États parties en cas d’éloignement d’une personne depuis leur territoire. L’État est dans l’obligation de ne pas renvoyer un individu qui se trouve sur son territoire s’il existe des « motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable » vers le pays de renvoi, notamment les préjudices envisagés comme en l’espèce par les articles 6 et 7 du Pacte (§ 8.2). Au-delà du risque étatique, l’origine du risque peut être le fait d’acteurs non étatiques par le jeu de l’effet horizontal indirect. Le Comité précise les contours de l’évaluation de la notion de risque : le risque doit être non seulement personnel, mais aussi réel. C’est en ce sens qu’il préconise une approche holistique des éléments circonstanciels, en prenant en compte, entre autres, la situation générale des droits de l’homme dans l’État de destination. Le Comité a par ailleurs déjà souligné « qu’il faut veiller le plus scrupuleusement possible à garantir l’équité de la procédure appliquée pour déterminer si l’intéressé court un risque réel de torture » (Comité des droits de l’homme, constatations du 29 mars 2004, Mansour Ahani c. Canada, communication n° 1051/2002, U.N. doc. CCPR/C/80/D/1051/2002, § 10.6).
Le Comité poursuit son raisonnement en rappelant la subsidiarité de son intervention dans le contrôle de l’appréciation des éléments factuels par le juge interne à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme. Non seulement les autorités nationales sont les mieux placées pour parvenir à des conclusions sur les éléments factuels et probatoires, mais le Comité n’est pas un organe de quatrième instance. Il appartient généralement aux « cours d’appel des États parties » de procéder à une telle réévaluation des éléments de faits et de preuves (voir en ce sens, Comité des droits de l’homme, constatations du 11 juillet 1990, G.A. van Meurs c. Pays-Bas, communication n° 215/1986, U.N. doc. CCPR/C/39/D/215/1986, § 7.1) tout en veillant à « garantir l’équité de la procédure appliquée si l’intéressé court un risque réel de torture » Comité des droits de l’homme, constatations du 29 mars 2004, Mansour Ahani c. Canada, communication n° 1051/2002, U.N. doc. CCPR/C/80/D/1051/2002, § 10.6.
Dans la présente affaire, l’on peut néanmoins constater un léger glissement sémantique dans la motivation des constatations par le Comité sur ce point. Le Comité avait coutume de rappeler qu’il accordait un poids « considérable » ou « important » à l’appréciation réalisée par les autorités internes (voir notamment, Comité des droits de l’homme, constatations du 13 mars 2020, A. E c. Suède, communication n° 3300/2019, U.N. doc. CCPR/C/128/D/3300/2019, § 9.3 ; constatations du 26 juillet 2022, A. I. c. Suède, communication n 3863/2020, U.N. doc. CCPR/C/135/D/3863/2020, § 7.5).
Le Comité n’intervient que si, et seulement si, l’auteur établit clairement le caractère arbitraire de l’appréciation ou s’il démontre une erreur manifeste d’appréciation dans la décision ou lorsqu’une telle appréciation est constitutive d’un déni de justice (voir à ce propos, Comité des droits de l’homme, Rapport du Comité des droits de l’homme, vol. 1, U.N doc. A/69/40, § 164). Ainsi, pour justifier son intervention, le Comité doit se demander si une autre conclusion s’imposait raisonnablement au juge à la lumière des éléments factuels et probatoires.
Dans son analyse, le Comité prend note que l’État partie ne conteste pas le fait que les personnes ayant participé aux manifestations d’opposition et qui font l’objet d’un mandat d’arrêt pour mouvement insurrectionnel, sont exposées « à des risques d’arrestation et de détentions illégales, de meurtres, ou de disparition forcée » (§ 8.8) que ce soit par les autorités burundaises ou les Imbonerakure. Il constate néanmoins que l’État partie n’a pas pris en compte les critères de vulnérabilité de l’auteur qui exacerbent les risques d’atteinte à son intégrité physique (§ 8.8). Le Comité conteste en l’espèce l’approche réductionniste de l’examen des éléments factuels et probatoires effectué par les autorités suédoises. D’une part, le Comité estime que les autorités ont accordé une « importance disproportionnée » à un élément de fait insignifiant pour l’instruction de son dossier (§ 8.8). Les autorités suédoises lui ont refusé l’octroi de l’asile pour la simple raison que l’auteur de la communication, en sa qualité de superviseur de l’hôpital, n’avait pas révélé la présence de l’épouse du journaliste décédé lors de son autopsie (§ 8.8). D’autre part, les autorités étatiques auraient dû prendre en compte, lors de l’instruction du dossier d’asile, les facteurs ethniques et politiques ainsi que la profession exercée par l’auteur de la communication, comme étant des facteurs de vulnérabilité non négligeables et décisifs (§ 8.9).
Ainsi, le Comité estime qu’une telle expulsion vers le Burundi constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il enjoint l’Etat à procéder à une nouvelle évaluation de sa demande d’asile et demande à l’Etat partie de ne pas renvoyer le temps de l’instruction du dossier par les autorités suédoises.