Dans la présente affaire, le Comité des droits de l’enfant (ci-après, le « Comité ») avait l’opportunité d’examiner, sous le prisme de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après, la « Convention »), le déplacement illicite d’enfants dans un contexte de violences domestiques.
L’auteure, sans emploi et sans ressources, était victime de violences de la part du père de ses deux enfants avec qui elle vivait au Canada (§ 2.1). Par crainte pour son intégrité physique et sa santé mentale, elle s’est installée en Irlande avec ses enfants, en violation d’une ordonnance interdisant leur déplacement hors de la juridiction canadienne sans le consentement du père ou de la cour de Colombie-Britannique (§ 2.3). Cette dernière a ordonné le retour immédiat des enfants en vertu de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant (ci-après, la « Convention de La Haye ») (§ 2.4). Au nom d’un risque allégué psychologique et physique grave pour les enfants, l’auteure s’est opposée sans succès à ce retour auprès des juridictions irlandaises, en première instance et en appel (§§ 2.5 et 2.6). L’auteure n’a toutefois pas introduit un recours auprès de la Cour suprême, du fait, selon elle, de sa santé mentale fragile et de son manque de ressources (§ 2.7). Elle a cependant saisi au même moment la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la « CEDH »), ainsi que le Comité, invoquant une violation des articles 3 (intérêt supérieur de l’enfant), 12 (droit d’être entendu), 16 (droit au respect de la vie privée) et 27 (droit à un niveau de vie suffisant) de la Convention.
En dépit des mesures provisoires demandées par le Comité au titre de l’article 6 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (ci-après, le « Protocole »), l’Irlande a ordonné le retour immédiat des enfants au nom du respect de la Convention de La Haye. L’affaire invitait ainsi le Comité à se prononcer sur l’articulation de celle-ci avec la Convention, dans la continuité de l’affaire J.M. (Comité des droits de l’enfant, constatations du 1er juin 2022, J.M. c. Chili, communication n° 121/2020, U.N. doc. CRC/C/90/D/121/2020 ; voir à ce propos, dans la présente chronique, la note de M.-L. Lurel, pp. 68-70). Le Comité devait toutefois préalablement examiner la recevabilité de la communication.
En premier lieu, l’Irlande invoquait une irrecevabilité au motif de l’examen de la même question par une autre procédure internationale, sur le fondement de l’article 7(d) du Protocole (§ 4.3). En effet, la CEDH avait rejeté le 16 août 2019 la demande de l’auteure de mesures provisoires pour suspendre le retour des enfants. Le Comité écarte cependant ce motif (§ 11.2), considérant que l’examen de la CEDH pour des mesures provisoires ne constitue pas un examen de la « même question » au sens de l’article 7(d) du Protocole. Il confirme donc que cet examen requiert une détermination, même limitée, sur le fond de l’ensemble de l’affaire (Comité des droits de l’enfant, constatations du 4 février 2021, A. B. c. Finlande, communication n° 51/2018, U.N. doc. CRC/C/86/D/51/2018, § 11.2 ; constatations du 26 octobre 2004, Chanderballi Mahabir c. Autriche, communication n° 944/2000, U.N. doc. CCPR/C/82/D/944/2000, § 8.3).
En second lieu, le Comité interprète strictement le critère de l’épuisement des voies de recours internes et apporte ainsi des précisions sur la notion de « justification adéquate ». D’une part, le Comité rappelle sa jurisprudence établie (Comité des droits de l’enfant, constatations du 4 février 2020, D. C. c. Allemagne, communication n° 60/2018, U.N. doc. CRC/C/83/D/60/2018, § 6.5 ; voir également Comité des droits de l’enfant, constatations du 22 septembre 2021, Chiara Sacchi et consorts c. Argentine, communication n° 104/2019, U.N. doc. CRC/C/88/D/104/2019, § 10.17 et, à ce propos, G. Bordron, « Le Comité des droits de l’enfant face à la “communication Greta” : émergence d’un nouvel acteur des contentieux climatiques », Droits fondamentaux, 2022, n° 20, 26 p.), selon laquelle de simples doutes sur l’efficacité ou les chances de succès du recours ne sauraient justifier la non-saisine d’une juridiction interne (§ 11.4). D’autre part, il adopte la position du Comité des droits de l’homme (Comité des droits de l’homme, constatations du 5 novembre 2015, Emira Kadirić, Dino Kadirić et Ermin Kadirić c. Bosnie-Herzégovine, communication n° 2048/2011, U.N. doc. CCPR/C/115/D/2048/2011, § 8.3), en établissant que les considérations financières ordinaires, sans justification adéquate, ne dispensent pas l’auteure d’épuiser les voies de recours internes (§ 11.3). Considérant que l’auteure n’a pas justifiée en quoi sa situation financière et l’absence d’aide juridique l’empêchait de saisir la Cour suprême, le Comité conclut à l’irrecevabilité de la communication. En particulier, il met en évidence la capacité de l’auteure à exercer des recours au même moment auprès de la CEDH et du Comité (§11.3). En ce sens, il semble opérer tacitement une distinction avec l’affaire A. S. c. Danemark, dans laquelle il avait conclu que l’impossibilité d’exercer un recours du fait du refus d’une aide juridique ne faisait pas obstacle à la recevabilité d’une communication (Comité des droits de l’enfant, constatations du 26 septembre 2019, A. S. c. Danemark, communication n° 36/2017, U.N doc. CRC/C/82/D/36/2017, § 9.2).
Hynd Ayoubi Idrissi, Luis Ernesto Pedernera Reyna and José Ángel Rodríguez Reyes, membres du Comité, ont toutefois exprimé leur désaccord avec cette analyse de la majorité dans une opinion dissidente conjointe. La règle de l’épuisement des voies de recours internes s’applique aux recours effectifs. Or, pour qu’un recours soit effectif, il doit être accessible (opinion dissidente, § 6). En s’appuyant sur la jurisprudence de la CEDH (CEDH, arrêt du 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, req. n° 6289/73, §§ 25-26) et du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, « L’accès des femmes à la justice », Recommandation générale n° 33, 2015, U.N. doc. CEDAW/C/GC/33, §§ 36 et37(a)), ils concluent à l’existence d’une obligation positive d’assurer le droit à un recours effectif, y compris en fournissant une aide juridique (opinion dissidente, §§ 8-9). Appliqué aux faits d’espèces, la communication aurait dû, selon eux, être déclarée recevable, puisque l’auteure, privée d’une aide juridique, n’a pas eu accès à un recours effectif (opinion dissidente, § 10).
Par ailleurs, les auteurs de l’opinion dissidente déplorent l’absence de développement sur le non-respect des mesures provisoires (opinion dissidente, § 1), ce qui nuit à leur effectivité. En effet, en refusant de respecter les mesures provisoires du Comité au nom de ses obligations en vertu de la Convention de la Haye, l’Irlande ne reconnaît pas le caractère contraignant des mesures provisoire. Pourtant, à l’instar des autres comités de protection des droits de l’homme des Nations Unies (Comité des droits de l’homme, constatations du 19 octobre 2000, Dante Piandiong et autres c. Philippines, communication n° 869/1999, U.N. doc. CCPR/C/70/D/869/1999, §§ 5.2-5.4 ; Comité contre la torture, constatations du 2 août 2019, Cevdet Ayaz c. Serbie, communication n° 857/2017, U.N. doc. CAT/C/67/D/857/2017, § 7.3), le Comité considère qu’en ratifiant le Protocole, les États ont une obligation internationale de respecter les mesures provisoires qu’il a ordonnées (Comité des droits de l’enfant, constatations du 27 septembre 2018, N. B. F. c. Espagne, communication n° 11/2017, U.N. doc. CRC/C/79/D/11/2017, § 12.11 ; Comité des droits de l’enfant, « Guidelines for Interim measures under the Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on a communications procedure », 2019, § 9). Du fait de ce caractère obligatoire, un État ne peut se prévaloir d’un conflit avec le droit interne ou un traité international pour échapper à ses obligations (opinion dissidente, § 3). L’absence de développement de la majorité limite donc la portée des mesures provisoires.
Comme le souligne l’opinion dissidente, il peut apparaître dommage que le Comité se limite au constat d’irrecevabilité, refusant d’une part, de prendre en compte la fréquente dépendance financière des victimes de violences domestiques et d’autre part, de clarifier l’articulation procédurale entre la Convention de la Haye et la Convention. Une question demeure ainsi sur la mise en œuvre du droit de l’enfant d’être entendu en vertu de l’article 12 de la Convention dans le cadre des procédures sous l’égide de la Convention de la Haye.