L’auteur de la communication (ci-après, « l’auteur ») est de nationalité péruvienne et est né en 1990 (§ 1). Le 8 septembre 2007, à la suite de dénonciations concernant le vol d’un taureau dans la municipalité d’Uchumarca, des agents de l’État se sont rendus au domicile de l’auteur et l’ont emmené à la division des enquêtes criminelles de la police nationale péruvienne (§ 2.1). Lors du trajet, il a été forcé par les agents à se déshabiller, à marcher pieds nus sur des rochers, a été immergé dans de l’eau glacée avec les mains attachées pendant une période prolongée, a été battu et a reçu des coups de pieds, dans le but qu’il avoue le vol. À la suite des traitements qu’il a subis, il a effectué des aveux incriminant également deux de ses frères (§ 2.2). Le 10 septembre, après avoir été ramené dans les bureaux d’Uchumara où ceux-ci se trouvaient, un membre de leur famille et le fils du propriétaire du taureau les ont frappés jusqu’à l’interruption des actes de violence par un agent. Cet agent a appelé les membres de la famille des mis en cause pour trouver un accord et remplacer le taureau (§ 2.3). Un procès-verbal a été établi par des experts le 14 septembre, constatant la présence de blessures et un syndrome de stress post-traumatique. Le 27 septembre, le père de l’auteur a déposé une plainte pénale notamment pour acte de torture (§ 2.4). Le 27 septembre 2007, il a demandé que le tribunal soit déclaré incompétent, soutenant que l’infraction relevait de la compétence du procureur supra-provincial de Lima. Cette demande a été rejetée, car, en l’absence de désignation d’un parquet pour traiter des crimes contre l’humanité dans les circonscriptions judiciaires, le tribunal supra-provincial de Lima n’est compétent qu’en présence d’une certaine complexité (§ 2.5).
Lors de la procédure sommaire, le tribunal a, le 10 juillet 2008, déclaré les accusés coupables de crime contre l’humanité, les condamnant à quatre ans d’emprisonnement et des dommages et intérêts (§ 2.6). Le procureur ayant interjeté appel le 14 juillet, car la peine d’emprisonnement prononcée était plus faible que la peine minimale encourue, la cour a annulé le jugement et ordonné au tribunal d’en rendre un nouveau motivé sur la durée de la peine. La cour a ajouté le 8 septembre que l’affaire devrait être jugée dans le cadre de la procédure ordinaire en raison de la nature de l’infraction puis, le 27 juin 2011, que le tribunal n’était pas compétent (§ 2.7).
Lors de la procédure ordinaire, l’affaire a été confiée le 20 septembre 2011 au tribunal supra-provincial de Lima qui, le 30 septembre 2013, a acquitté les accusés au motif que les preuves n’étaient ni suffisantes ni appropriées (§ 2.8). Le 9 octobre 2013, le procureur a déposé une requête en annulation, qui a été rejetée, et l’affaire fut classée le 16 juin 2015 (§ 2.9).
L’auteur a ensuite présenté une communication individuelle devant le Comité contre la tortureall, éguant la violation des articles 2(1) (obligation de prévention de la torture par l’adoption de mesures législatives, administratives et judiciaires et autres mesures efficaces), 12 (obligation d’enquête impartiale), 13 (droit de porter plainte devant les autorités compétentes) et 14 (droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate) de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après, la « Convention ») (§ 3.1), toutes contestées par l’État partie (§ 4.1).
Sur la recevabilité, l’État soutient que la communication individuelle doit être déclarée irrecevable, d’une part, pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que l’auteur disposait d’un recours devant le tribunal constitutionnel et, d’autre part, pour cause d’abus du droit de communication, car les juridictions internes ont apprécié souverainement dans une procédure régulière la plainte de l’auteur (§§ 4.1-4.3). L’auteur conteste ces arguments. D’une part, il soutient qu’il n’est tenu que de l’épuisement des voies de recours permettant de remédier à la violation de la Convention et, qu’en l’espèce, le recours ne lui permettait ni d’établir une éventuelle responsabilité pénale, ni d’obtenir réparation (§ 5.1). D’autre part, il affirme que sa communication ne constitue pas un abus de droit (§ 5.2). Conformément à l’article 22(5)(a) de la Convention, le Comité a vérifié que la communication n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale selon l’article 22(5)(a) de la Convention (§ 6.2). Puis, conformément à l’article 22(5)(b), le Comité a considéré que l’État partie n’avait pas démontré que le recours devant le tribunal constitutionnel aurait été efficace dans la réparation de la violation de la Convention (§ 6.6). Il a donc déclaré la communication recevable (§ 6.7).
Avant d’apprécier les allégations de violations de la Convention précitées, le Comité a déterminé que les actes auxquels l’auteur a été soumis constituaient des actes de torture au sens de l’article 1er de la Convention (§ 7.2).
Premièrement, l’auteur soutient que l’État partie a manqué à ses obligations au titre de l’article 2 de la Convention en n’adoptant pas de mesures rapides pour prévenir les actes de torture commis à son encontre (§ 3.2). Si l’État partie affirme avoir satisfait ses obligations en raison de l’incrimination de la torture en droit pénal interne (§ 4.4), l’auteur soutient que celle-ci n’est pas conforme à la Convention (§ 5.3). Le Comité affirme que l’État partie a manqué à l’obligation qui lui incombe selon l’article 2 de la Convention, notamment en raison du fait que l’auteur mineur a été arrêté sans mandat, emmené en l’absence de son père, privé de liberté sans pouvoir communiquer avec sa famille, ni s’alimenter, pendant environ dix-huit heures, période au cours de laquelle il a été soumis à des actes de torture (§ 7.3).
Deuxièmement, l’auteur soutient que l’État partie a violé les articles 12 et 13 de la Convention en raison des difficultés rencontrées lors du dépôt de plainte, du retard injustifié et des irrégularités dans l’enquête, et de l’acquittement prononcé en raison de l’absence de preuves suffisantes (§ 3.3). L’État partie affirme que les juridictions internes ont statué conformément au droit interne et que l’auteur a pu faire appel des différents jugements. Il affirme également que le Comité ne peut substituer sa propre appréciation des faits à celles des juridictions internes (§ 4.5). L’auteur affirme que les motifs utilisés par les juridictions internes pour acquitter les accusés étaient fondés sur des lacunes dans les premières phases de l’enquête et que, compte tenu du temps écoulé, ces dernières ne peuvent être corrigées (§ 5.4). De plus, il soutient que l’examen médical n’a pas été effectué conformément au Protocole d’Istanbul (§ 5.5).
Le Comité conclut, d’une part, que l’État partie n’a pas adopté les mesures appropriées permettant de mener à bien une enquête rapide et impartiale et a ainsi manqué à ses obligations tirées de l’article 12 de la Convention, notamment en raison du délai de quatre ans entre le dépôt de la plainte et le début de l’enquête par une autorité compétente (§7.4). D’autre part, il affirme qu’un examen médical réalisé sans respecter les normes applicables ne peut être utilisé pour mettre en doute la véracité des allégations d’une victime potentielle et que l’absence ou la réalisation tardive d’une évaluation médicale rendent difficiles, voire impossibles, la détermination de la gravité des faits, en particulier lorsqu’il n’y a pas de preuves supplémentaires (§ 7.5).
Troisièmement, l’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 13 de la Convention (§ 3.4), ce que le Comité considère également en raison des nombreuses lacunes et omissions mentionnées précédemment, incompatibles avec l’obligation de procéder à un examen impartial de la plainte de l’auteur. À cet égard, le Comité rappelle qu’en application de l’article 13 de la Convention les autorités des États parties doivent prendre les mesures nécessaires pour obtenir des preuves, y compris, entre autres, des témoignages, des preuves médico-légales, des certificats médicaux et toutes les autres mesures nécessaires pour fournir un enregistrement adéquat des blessures et des constatations correspondantes, et que toute lacune dans une enquête qui compromet sa capacité à établir la responsabilité risque violer des normes internationales (§ 7.6).
Quatrièmement, l’auteur allègue que l’État partie a violé l’article 14 de la Convention en raison de l’absence de réparation lui ayant été octroyée (§ 3.5), réparation pourtant possible au regard du droit interne. L’État partie conteste cette allégation affirmant qu’en l’espèce, en l’absence de condamnation, aucune réparation ne pouvait être accordée (§ 4.5). Le Comité a mobilisé son interprétation de l’article 14 de la Convention issue de son Observation générale n° 3 (Comité contre la torture, « Application de l’article 14 par les États parties », 2012, U.N. doc. CAT/C/GC/3, §§ 3, 16 et 20) pour constater la violation de l’article 14 de la Convention (§ 7.7).
Ainsi, constatant la violation des articles 2(1), 12, 13 et 14 de la Convention, lu conjointement avec son article 1er, le Comité invite l’État partie à mener une enquête rapide, impartiale et indépendante sur les allégations de l’auteur et à lui fournir une réparation complète et appropriée (§ 9.1).