Considérations générales
J´aimerais rappeler, pour commencer, que dans la pratique des Nations-unies, et plus particulièrement de l´Assemblée générale, , la société civile a maintenant toute sa place dans les processus de négociation et le développement progressif du droit international, que ce soit pour des instruments à valeur contraignante ou bien des déclarations qui pourront par la suite contribuer à la genèse du droit coutumier. La Convention d´Ottawa sur l´interdiction des mines antipersonnel (1997), la Convention sur les droits des personnes handicapées (2006) ou encore le Traité sur l´interdiction des armes nucléaires (2017), en sont des exemples clairs.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM) a aussi vu le jour grâce à l´engagement d´organisations non gouvernementales qui luttent depuis toujours pour mieux encadrer un phénomène qui ne connaît pas de frontières et qui a toujours existé, mais qui crée des tensions à l’intérieur des Etats et entre les Etats, dont les approches variées oublient trop souvent d’intégrer la dimension humaine et les droits qui en découlent.
Les Nations Unies avaient déjà produit un traité dans les années 80, à l’initiative du Mexique, – la Convention sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles mais qui est loin d’avoir atteint l´universalité. Plus récemment, en 2006, a débuté le Forum Mondial sur les migrations et le développement qui a permis, tous les ans, un dialogue informel entre les Etats, mais encore trop éloigné d´une perspective globale qui tiendrait compte de la multitude de facteurs qui interviennent dans ce phénomène multiforme.
Il convient également de rappeler la Convention sur le statut des réfugiés (1951) et son Protocole de 1967, mais aussi la Déclaration de Carthagène de 1984 qui fut la première à mettre l’accent sur le phénomène des refugiés de masse qui fuient une situation généralisée de violence, ce qui est à distinguer de l´asile classique qui demande un traitement individuel.
Au niveau institutionnel, l´Organisation internationale des migrations (OIM) est restée longtemps une instance de la guerre froide. Récemment, l’OIM a rejoint la grande famille des Nations Unies et contribue à la réflexion et à la mise en place de meilleurs politiques pour encadrer le phénomène migratoire tout en restant une agence opérationnelle.
En bref, il fallait donner toutes ses chances à un nouvel exercice de concertation multilatérale, afin de promouvoir une coopération internationale respectueuse de la souveraineté des Etats, mais qui contribue à démystifier un certain nombre d’idées reçues et affermisse les responsabilités des Etats vis-à-vis des personnes qui, dans la plupart des cas, ne font pas le choix de tout quitter mais en sont forcées par un certain nombre de conditions dans leur pays d´origine.
Les migrations dans le monde :
Selon les estimations de l’OIM, les migrants constituent 3,4 pour cent de la population mondiale, soit 258 millions de personnes. 48,8 pour cent sont des femmes et 14 pour cent des enfants (Global Migration Indicators, OIM, 2018).
Le couloir migratoire Mexique/Etats Unis est le plus important couloir bilatéral au monde avec 1 million de personnes qui franchissent de manière légale la frontière (3,200 km) entre les deux pays, sans parler des entrées irrégulières, qui aujourd´hui proviennent pour l´essentiel du Guatemala, du Honduras et d´El Salvador. En deuxième place arrive le couloir Inde-Emirats Arabes Unis avec 3,3 millions de migrants (Annuaire des migrations et d’envois de fonds, Mexique, 2018).
Contrairement à ce que l’on est amené à croire, la grande majorité des dynamiques migratoires s’opère entre pays à faible et moyen revenus – Sud-Sud – plutôt que de pays en développement vers des pays développés – Sud-Nord. Les flux du Venezuela vers la Colombie (2,5 millions de personnes) sont là pour le prouver.
Les migrants sont une énorme chance pour les pays d’accueil, ainsi que pour les pays d’origine. Economiquement, par exemple, ils contribuent actuellement avec environ 9 pour cent du PIB mondial. C’est dire que leur apport à l’économie est trois fois supérieur à leur part dans la population.
Ainsi, les envois de fonds des travailleurs migrants sont un facteur de croissance pour la plupart des pays, développés et en développement. Ainsi, d’après les estimations 2018 de la Banque Mondiale, le Mexique est le quatrième récepteur mondial (33,7 milliards de dollars) tandis que la France se situe juste derrière à la cinquième place (27,7 milliards de dollars). N’oublions pas que les « expatriés », qui bénéficient souvent d’un statut social privilégié dans leur pays d’accueil, sont aussi des migrants.
La migration est également un défi pour la gouvernance mondiale. Puisque l’échelle du phénomène dépasse par sa nature le cadre national, celui-ci s’avère incapable d’apporter une réponse efficace ni aux besoins de migrants ni aux demandes des sociétés d’accueil et d’origine.
La migration nécessite, dès-lors, une coopération internationale étroite pour que les pays concernés puissent tirer les bienfaits de ce phénomène tout en limitant les perturbations qu’il est susceptible de créer.
Contenu du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières :
Dans ce contexte, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières est un texte qui reflète à la fois le point de vue des migrants, dont les droits de l’Homme et leurs contributions à la croissance sont réaffirmés, et le souhait des Etats de mieux gérer les flux migratoires. Somme toute, il contribuera à promouvoir la coopération bilatérale et multilatérale tout en garantissant les droits fondamentaux des migrants, aussi bien les hommes, les femmes et les mineurs.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières émane de la Déclaration de New York du 19 septembre 2016, adoptée à l’unanimité à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Le Pacte a été adopté le 11 décembre de l’année dernière par 162 pays, dont le Mexique et la France, lors de la Conférence Intergouvernementale pour l’adoption du Pacte à Marrakech.
Le Mexique a activement participé dans le processus d’élaboration de cet accord. Mon pays a organisé une réunion préparatoire à Puerto Vallarta en décembre 2017 (Réunion de bilan de la Conférence intergouvernementale chargée d’adopter le Pacte) et l’Ambassadeur mexicain Juan José Gómez Camacho a été l’un des deux co-facilitateurs des négociations (le deuxième a été l’Ambassadeur Jürg Lauber, Représentant permanent de la Suisse auprès des Nations Unies).
Les pays signataires ont été motivés par le constat que les migrations « sont des facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs ».
Les objectifs du Pacte sont : I. Asseoir une série de principes, engagements et entendements entre Etats Membres sur tous les aspects de la migration internationale ; II. Contribuer à la gouvernance mondiale et renforcer la coopération en matière de migration internationale ; III. Traiter l’ensemble des problématiques liées à la migration internationale (questions humanitaires, de développement et de droits de l’Homme) ; IV. Le Pacte est un instrument international non contraignant voué à renforcer la coopération internationale.
A Marrakech, le Pacte a été rejeté par dix pays : l’Australie, l’Autriche, la Hongrie, Israël, la Slovaquie, la Pologne, la Lituanie, la République dominicaine, la République tchèque et le Chili. Les cinq pays qui ont voté contre à l’Assemblée générale sont : les États-Unis, la Hongrie, Israël, la Pologne, et la République tchèque. L’Algérie, l’Australie, l’Autriche, la Bulgarie, le Chili, l’Italie, la Lettonie, la Libye, le Liechtenstein, la Roumanie, la Suisse et Singapour se sont abstenus. Dix autres pays, dont la République dominicaine et la Slovaquie, n’ont pas assisté au vote.
Exemples d’objectifs :
Parmi les 23 objectifs, on trouve notamment:
- Objectif 2 – Lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine (priorité du gouvernement mexicain) ;
- Objectif 6 – Favoriser des pratiques de recrutement justes et éthiques et assurer les conditions d’un travail décent ;
- Objectif 14 – Renforcer la protection, l’assistance et la coopération consulaires tout au long du cycle migratoire ;
- Objectif 21 – Coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité, ainsi que leur réintégration durable.
Critiques au Pacte mondial
Plusieurs pays ont décidé au dernier moment de ne pas adhérer au Pacte Mondial sous le prétexte qu’il consacrait un prétendu « droit à la migration » et qu’il s’attaquait à la souveraineté des Etats en matière de politique migratoire.
En France il y en a même (Marine Le Pen) qui ont accusé cet instrument de procéder d’un « immigrationisme radical ».
Cela est tout simplement faux. Le préambule du Pacte indique clairement que « ce Pacte mondial représente un cadre de coopération non juridiquement contraignant ». Il s’agit donc d’un accord juridiquement non contraignant.
Le Pacte Mondial ne donne pas un « droit à la migration ». Les Etats signataires retiennent toutes leurs prérogatives pour déterminer les modalités d’entrée dans leurs territoires.
Le Pacte cherche à faire face à la migration irrégulière tout en respectant les droits de l’homme de toutes les personnes. Il ne préconise pas la régularisation massive de migrants irréguliers.
Le Mexique et son engagement pour des migrations sûres, ordonnées et régulières
Pour le Mexique, la protection des migrants est un enjeu prioritaire, tant dans l’agenda national comme dans notre politique étrangère.
Depuis la Deuxième guerre mondiale, le Mexique a résolument participé à des négociations bilatérales et multilatérales sur les questions migratoires menant à des résultats tels que : le Programme Braseros de 1942 en partenariat avec les Etats-Unis, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) ainsi qu’au Partenariat Canada-Mexique en ce qui concerne notamment la mobilité des travailleurs agricoles.
Le Mexique est aujourd’hui un pays d’origine, de transit et de destination
En 2017 Il y avait 12,7 millions de ressortissants mexicains dans le monde, 98 pour cent d’entre eux aux Etats-Unis.
Cependant, le Mexique est devenu un pays de retour de migrants : aujourd’hui le taux net de migration de Mexicains vers les Etats-Unis est négatif : il y a plus de Mexicains qui reviennent vivre au Mexique que ceux qui partent.
Le Mexique est devenu également, au cours des dernières années, un pays récepteur, puisque environ 1,2 millions de personnes y ont migré. (En 2017, la France est le septième pays récepteur mondial 7,9 millions d’individus).
Une partie importante des migrants qui traversent la frontière mexico-américaine sont originaires des pays d’Amérique Centrale. C’est pourquoi la nouvelle administration mexicaine donne la priorité absolue à la coopération avec les pays de cette région, notamment avec le Guatemala, le Honduras et El Salvador.
L’exemple de coopération entre le Mexique et le « Triangle du Nord »
Depuis 2014, les migrations en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras vers l’Amérique du Nord ont augmenté exponentiellement, en raison de la violence et des difficiles conditions socio-économiques dans ces pays.
Le Mexique est le deuxième pays de destination pour les personnes en provenance du Triangle du Nord avec plus de 80 000 résidents en 2017 (European Parliamentary Research Service).
Il est également la voie empruntée par la plupart des migrants de l’Amérique Centrale pour arriver aux Etats-Unis. Au mois d’octobre dernier, par exemple, une caravane de plus de sept mille personnes qui ont quitté cette région pour les Etats-Unis a traversé le territoire mexicain.
Pour de manière efficace ce flux migratoire, le 1er décembre 2018, le Mexique, le Guatemala, le Honduras et le Salvador ont signé le Plan de Développement Intégral pour l’Amérique Centrale.
Cet instrument constitue le premier exemple de mise en œuvre des principes contenus dans le Pacte Mondial.
Il aborde de façon intégral le transit des migrants, leur situation dans les pays d’accueil, leur retour éventuel aux pays d’origine et la protection des droits de l’homme des personnes migrantes.
Dans le cadre de ce plan, plus de 30 milliards de dollars seront investis dans des projets productifs et d’infrastructure visant à remédier aux conditions sociales et économiques qui obligent la population à quitter la région à la recherche d’une vie meilleure.
Ce schéma de gouvernance régionale est ouvert à la participation d’autres partenaires. Ainsi, le 18 décembre 2018, le Mexique et les Etats-Unis ont signé une Déclaration sur les Principes de développement économique et de coopération pour le Sud du Mexique et en Amérique Centrale, qui vise à renforcer et à élargir la coopération bilatérale pour le développement économique et pour l’augmentation des investissements dans cet espace afin d’assurer la prospérité, la bonne gouvernance et la sécurité.
Le gouvernement fédéral américain s’est engagé à contribuer avec 5.8 milliards de dollars au financement des projets en Amérique Centrale.
En outre, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) aidera les pays signataires à concevoir la stratégie et les modalités pratiques de mise en œuvre du Plan de Développement Intégral.
Ce Plan pourrait, dans l’avenir proche, créer des synergies avec les projets d’aide au développement de l’UE et de ses pays membres en Amérique Centrale (coopération multilatérale, mise à disposition de l’expérience et des capacités de la part de l’UE et de ses pays membres).