Radio Free Europe pourrait ne bientôt plus pouvoir faire fonctionner ses antennes en 27 langues animées par quelques 1700 journalistes et collaborateurs à travers le monde, y compris dans des régions parmi les plus répressives. Son budget annuel de 150 millions de dollars est suspendu.
Or, Radio Free Europe représente pour beaucoup d’individus à travers le monde une bouée de sauvetage lorsqu’on vit dans un régime autoritaire. Elle est l’unique moyen d’accéder à une information indépendante dans certains pays du monde et, à son niveau, incarne cet engagement pour le droit à la vérité dont il est question aujourd’hui.
L’exemple de RFE montre que le combat pour la vérité se déroule aujourd’hui en grande partie, et avec acuité, dans le champ informationnel, c’est-à-dire le champ des médias mais plus largement celui du numérique.
Le combat de RSF, non pas pour le droit à la vérité, mais pour le droit à une information fiable
RSF, l’organisation qui défend la liberté de la presse, les journalistes et le journalisme. Nous agissons à la fois pour protéger les joueurs mais aussi s’assurer du respect des règles du jeu : pluralisme, indépendance, et déontologie du journalisme.
- D’une part, promouvoir une vision exigeante du journalisme et de ceux qui l’incarnent, les devoirs avant les droits, à l’heure où tout le monde se prétend journaliste (« you are the media now ») ;
- D’autre part, défendre le droit de tous les citoyens d’avoir accès à une pluralité de sources fiables d’informations, dans un contexte où les sources journalistiques sont repoussées aux marges par les algorithmes des plateformes.
Pourquoi nous menons un combat pour le droit à l’information fiable ?
Ce qui différencie fondamentalement la démocratie d’un régime autoritaire c’est que l’une repose sur la confiance, et l’autre sur la terreur. La démocratie c’est la liberté, se gouverner soi-même de manière autonome. Or, pour nous orienter dans la vie, et nous autodéterminer, nous avons besoin d’avoir accès à des faits.
« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. » (Hannah Arendt)
En défendant le droit à l’information fiable, nous nous opposons à ceux qui détruisent la confiance dans les institutions, dans la recherche, dans les médias pour créer les conditions pour que l’autoritarisme apparaisse comme l’alternative à la démocratie.
Le journalisme et l’accès à l’information fiable sont aussi affaiblis par une certaine idéologie du free speech.
Selon cette conception, free speech signifie le droit de tout dire sans égard pour la véracité des faits, sans distinction entre ce qui relève des faits et des opinions, etc. Exemple : Meta qui arrête le fact-checking.
Free speech signifie aussi s’en prendre aux médias fiables qui font leur travail en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs. Exemple : la décision de Trump de démanteler VoA, Radio Free Europe et Radio Free Asia est une attaque directe contre le droit à l’information fiable et un cadeau fait aux ennemis de la démocratie à travers le monde.
Par ailleurs, la grande majorité de l’information à laquelle nous avons accès aujourd’hui n’est pas fiable.
Jusqu’à présent, le droit à l’information des citoyens (c’est-à-dire le droit de recevoir des informations) était garanti en partant du principe que les informations des médias pouvaient être a priori considérées comme fiables du fait des méthodes et de l’éthique journalistique. Ainsi, la liberté de la presse apparaissait comme une condition indispensable (et suffisante) pour éviter le détournement de ce droit.
Aujourd’hui, la Silicon Valley met un signe égal entre information et vérité, ce qui est très grave. L’établissement de la vérité demande du temps, de l’argent, des compétences. La fiction, à l’inverse, est très peu chère à produire à grande échelle.
Les réseaux sociaux nous montrent, non pas ce qui est le plus important, non pas ce qui contient le plus de faits, mais ce qui suscite le plus d’émotion. C’est pourquoi les fake news gagnent tout le temps sur les infos fiables.
Cette situation de fait mine considérablement nos efforts visant à lutter contre le changement climatique, rendre les sociétés plus cohésives, protéger les individus des pandémies, etc.
L’usage qui est fait des réseaux sociaux contribue à démolir la teneur du débat démocratique : une perception commune de la réalité factuelle.
Que faire ?
Face au chaos informationnel auquel nous sommes confrontés, il faut un traitement de choc. Un traitement systémique, et non symptomatique, du problème.
Reconnaître et garantir l’effectivité du droit à l’information fiable.
Le Partenariat Information et Démocratie : accord intergouvernemental signé par 55 États, initié en 2019 par RSF et la France visant à adopter et promouvoir des principes démocratiques dans l’espace informationnel mondial.
Il faut avancer avec tous les États volontaires vers la reconnaissance, en droit international de ce droit et les garanties juridiques qui l’accompagnent en attendant que d’autres rejoignent le mouvement.
Réguler les plateformes dominantes de façon à leur imposer une obligation de mise en avant des sources fiables d’information.
Les kiosques d’aujourd’hui sont les très grandes plateformes numériques donc il faut faire une loi Bichet du numérique. La loi Bichet nous permet de faire des choix. C’est elle qui fait que lorsqu’on se rend au kiosque on a accès à autant de publications. Il faut transposer le principe de la loi Bichet à l’espace numérique, pour permettre aux citoyens de s’auto-déterminer.
Soutenir le journalisme fiable et indépendant où qu’il se trouve en tant qu’antidote à la désinformation et aux ingérences étrangères malveillantes.
Dans l’UE : mettre en œuvre les lois et les principes qui protègent le cadre d’exercice du journalisme, à commencer par les principes de pluralisme et d’indépendance éditoriale.
Hors UE : soutenir des médias comme RFE/RL, c’est protéger les intérêts stratégiques de l’Europe. Dans un monde où les démocraties sont sous pression et où des régimes comme la Russie ou la Chine intensifient leurs efforts pour déstabiliser les États européens par la désinformation, le journalisme est une arme pacifique mais puissante.
Ses journalistes, souvent exposés à des menaces directes, couvrent des territoires stratégiques, notamment en Russie, en Ukraine, au Bélarus ou encore dans les Balkans. En s’appuyant sur des enquêtes rigoureuses et des reportages de terrain, ils permettent de contrer les récits mensongers, de dénoncer les violations des droits humains et de renforcer la résilience démocratique dans des régions clés pour l’équilibre européen.
Alors qu’il est beaucoup question de réarmer la France et l’Europe en ce moment, il nous paraît important de plaider aussi pour un réarmement démocratique, par le biais du soutien au journalisme fiable et indépendant, au service du droit à l’information fiable des citoyens qui est l’essentiel à l’exercice de la démocratie et des droits humains de manière générale.