Les auteures, A.L.P., A.M.E. et F.F.B., se sont respectivement rendues en République de Corée entre juin et octobre 2014, après avoir signé un contrat de travail dans l’industrie du divertissement avec une agence de recrutement qui y est basée. Cependant, après leur arrivée sur le sol coréen, elles ont toutes les trois étés rapidement contraintes à occuper un poste de serveuse et à fournir des services sexuels aux clients du Golden Gate Club (§§ 2.1-2.3). Leurs passeports ont été confisqués par ses propriétaires. Les auteures ont également été forcées de se prostituer et ont subi du harcèlement et des violences sexuelles, verbales – notamment des menaces – et physiques. Entre autres, un système de points avait été mis en place par les propriétaires du club pour encourager la fourniture de services (voire de relations) sexuels, en menaçant et harcelant celles qui refusaient. Les auteures ont été séquestrées pour y travailler, contre une faible (ou nulle) rémunération (§ 2.4). Lors d’une descente de police le 2 mars 2015, les auteures ont été arrêtées pour violation de la loi relative à l’immigration et détenues pendant deux jours par les autorités. Sous la menace des propriétaires, les auteures n’ont pas révélé la réalité de leur exploitation (§ 2.10). Si les policiers ont bien eu des soupçons de prostitution, ils n’ont pas pris en compte les signes évidents de leur exploitation par les propriétaires – la confiscation des passeports et le type de visa des auteures, deux éléments qui, pourtant, corroborent souvent l’existence d’une situation de traite et de prostitution forcée (§ 2.9). À leur libération, faute d’alternatives, les auteures sont rentrées au club chercher leur passeport avant de rapidement s’enfuir (§ 2.5). En avril, les auteures furent de nouveau arrêtées, où elles ont finalement avoué avoir été forcées à la prostitution. Les abus y afférents ayant été ignorés par les autorités, leur expulsion fut ordonnée et les auteures détenues (§§ 2.7 et 2.11). Les auteures ont introduit et épuisé les différents recours nationaux disponibles (§ 2.12).
Les auteures ont décidé d’aller devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après le « Comité »), en alléguant une violation des articles 2 c) à f) (mesures contre la discrimination hommes-femmes), 3 (garanties pour l’égalité des femmes), 5 a) (élimination des stéréotypes sexistes), 6 (lutte contre la traite et l’exploitation des femmes) et 15 (égalité juridique entre hommes et femmes) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après la « Convention »).
Lors de son examen de la recevabilité de la communication, le Comité constate le non-étayement des griefs portant sur l’article 3 de la Convention, à la différence de ceux portant sur les autres articles susmentionnés (§§ 8.4 et 8.5).
Quant au fond, le Comité note les affirmations des auteures selon lesquelles elles ont été victimes de discriminations fondées sur le genre commises par des acteurs étatiques et non-étatiques (§ 9.2). Le Comité relève que les services de police, d’immigration et de justice ont traitées les auteures comme des criminelles au lieu de les identifier comme victimes de traite et d’exploitation sexuelle. Plus particulièrement, ceux-ci les ont, à plusieurs reprises, arrêtés, interrogés et accusés de participation à un trafic d’exploitation sexuelle, en dépit de « l’environnement fortement coercitif et menaçant » dans lequel elles se trouvaient que des éléments de preuve apportaient (§ 9.8). Le Comité critique l’inefficacité des autorités coréennes qui, en raison de stéréotypes sexistes et d’un contexte de discrimination structurelle fondée sur le sexe, n’ont pas correctement identifiés la vulnérabilité des auteures et leur statut de victimes de traite, alors même qu’ils en avaient l’obligation (§ 9.4). S’appuyant sur sa « Recommandation générale n° 38 sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales », le Comité rappelle cette obligation quand bien même les auteures ne s’identifiaient pas comme victimes et n’avaient pas mis de tels mots sur leur situation (CEDAW, Sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales, Recommandation générale n° 38, 2009, U.N. doc. CEDAW/C/GC/38, § 38). Par ailleurs, le Comité insiste sur le contexte spécifique que sont les migrations internationales, où le phénomène de traite et de prostitution des femmes et des filles se trouve exacerbé et nécessite dès lors une vigilance plus accrue (§ 9.5).
Le Comité rejette la défense de l’État partie. D’une part, faisant référence au huitième rapport périodique de ce dernier, le Comité rappelle ses préoccupations concernant la situation des femmes migrantes qui s’y rendent munies d’un visa destiné à des artistes, mais qui se retrouvent exposées à de la traite et de l’exploitation à des fins sexuelles (§ 9.6). D’autre part, le Comité constate l’incompatibilité des conclusions de l’enquête menée par les autorités publiques avec les éléments de preuve relevés. Le Comité souligne que la situation des auteures aurait dû soulever la préoccupation des autorités de l’État partie concernant leur statut de victime. Or, ce manquement a ajouté une discrimination fondée sur le genre supplémentaire à l’égard des auteures (§ 9.8). Ces constatations du Comité, qui réaffirment l’obligation des États parties de prévenir la revictimisation des femmes et des filles dans tous les aspects qui les concernent que des conceptions stéréotypées basées sur le genre, voire paternalistes, de la part des autorités nationales perpétuent, s’inscrivent dans une lignée jurisprudentielle déjà bien établie par le Comité (v. notamment CEDAW, R. K. B. c. Turquie, constatations du 24 février 2012, communication nº 28/2010, U.N. doc. CEDAW/C/51/D/28/2010, § 8.8), en conformité avec la tendance générale que poursuit la jurisprudence de l’ensemble des organes de protection des droits de l’homme (v. CRPD, Femmes et filles handicapées (Article 6), Observation générale nº 3, 2016, U.N. doc. CRPD/C/GC/3 ; CIADH, arrêt du 25 novembre 2021, Digna Ochoa et famille c. Mexique (exceptions préliminaires, fond, réparations et frais), Série C, n° 447 ; CEDH, arrêt du 9 juin 2009, Opuz c. Turquie, req. n° 33401/02, et plus récemment, CEDH, arrêt du 3 décembre 2024, M.Ș.D. c. Roumanie, req. n° 33401/02, § 147).
Finalement, toujours guidée par l’impératif de punir la victimisation secondaire auxquelles les femmes et filles sont confrontées, le Comité insiste sur l’obligation positive qu’ont les États parties d’offrir un accès à des recours judiciaires adéquats, sans égard pour la situation de migrante étrangère de la victime (§ 9.10). En effet, le Comité regrette que les auteures aient été soumises à des procédures d’expulsion sans protection légale adéquate (§§ 9.7 et 9.8), alors même que l’État partie pouvait leur accorder un statut de résidentes légitimes qui leur aurait permis de rester pendant la durée du contentieux et de bénéficier de mesures de justice réparatrice au-delà de l’achèvement des procédures de contentieux pénal (§ 9.10).
Le Comité conclut à la violation des articles 2, 5, 6 et 15 de la Convention et adresse plusieurs recommandations à la République de Corée, dont la reconnaissance et la protection des victimes de traite, leur garantie à un accès à la justice et à des recours efficaces et l’adoption de mesures propices à l’éradication d’une discrimination structurelle persistante fondée sur le genre.