En l’espèce, la communauté autochtone Wunna Nyiyaparli (ci-après les « Wunna Nyiyaparli ») fait plus largement partie du peuple autochtone Nyiyaparli, lui-même rattaché au peuple aborigène du désert occidental d’Australie (§ 2.1). Les Wunna Nyiyaparli jouissent du droit de « parler au nom » de leur territoire au titre de lois et coutumes traditionnelles. Ils entretiennent une relation étroite avec leurs terres au regard de la pratique de leur langue ainsi que l’exercice de leur culture et de leur religion. Pour sauvegarder l’existence de ce groupe, celui-ci doit pouvoir « y vivre, chasser et pêcher, selon des pratiques traditionnelles transmises de génération en génération, prendre soin de [ses] terres et en contrôler l’accès » (§ 2.2). Or l’essor de l’exploitation minière sur leur territoire aurait restreint leur liberté de circuler et mettrait en péril leur culture (§ 2.3).
C’est pourquoi les Wunna Nyiyaparli ont introduit une demande de détermination de leurs droits sur leur territoire ancestral devant la Cour fédérale d’Australie (ci-après la « Cour fédérale ») le 27 janvier 2012 (§§ 2.4 et 2.5). Le 30 mars 2012, la requête de la communauté autochtone a été inscrite au registre des demandes de titres fonciers autochtones si bien que ces derniers ont ainsi été reconnus (§ 2.6). Toutefois, le 13 juillet 2012, un autre clan Nyiyaparli, en négociation avec des sociétés minières aux fins d’exploiter certaines zones dudit territoire, a saisi la Cour fédérale pour demander le réexamen de la décision d’enregistrement. En 1998, cette autre communauté avait déjà saisi la Cour fédérale afin d’obtenir la reconnaissance de leurs droits sur ce même territoire, mais la juridiction n’a jamais statué en ce sens (§ 2.8). Le 28 octobre 2015, elle a ordonné que la requête des Wunna Nyiyaparli fasse l’objet d’un examen conjoint avec celle qui lui avait été adressée dix-sept ans plus tôt par l’autre groupe Nyiyaparli. De même, elle a décidé qu’une « question distincte » tenant à la descendance des Wunna Nyiyaparli en tant que Nyiyaparli serait traitée distinctement (§ 2.10). Le 16 décembre 2016, en dépit des preuves soumises par la communauté autochtone dans le cadre de la procédure de demande de titres fonciers, les juges ont estimé que les Wunna Nyiyaparli n’avaient pas démontré qu’ils appartenaient au peuple aborigène du désert occidental d’Australie et ont par conséquent rejeté leur demande de détermination de droits fonciers (§ 2.19). Dans son arrêt rendu en appel le 5 septembre 2017, la Cour fédérale a jugé que la décision de première instance était « indubitablement correcte » malgré les obstacles procéduraux rencontrés par les demandeurs (§ 2.21). En définitive, par une décision du 26 septembre 2018, l’autre clan Nyiyaparli s’est vu reconnaître un droit foncier autochtone sur le territoire contesté par les Wunna Nyiyaparli, mettant conséquemment en péril leur survie en tant que communauté (§ 2.22). Ailsa Roy, représentant les autres membres du groupe autochtone, a saisi le Comité des droits de l’homme (ci-après le « Comité »), alléguant une violation des articles 2 § 3 (droit à un recours utile), 14 § 1 (droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable), 26 (droit à l’égalité devant la loi) et 27 (droit de jouir de sa propre culture) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le « Pacte »), lus à la lumière de son article 1er (droit à l’autodétermination).
Dans le cadre de son examen au fond, le Comité a, dans un premier temps, étudié le motif tiré de la violation de l’article 27 du Pacte (droit de jouir de sa propre culture) au prisme de sources internes et externes. Rappelant sa jurisprudence constante (CCPR, Benito Oliveira Pereira et Lucio Guillermo Sosa Benega, en leur nom et au nom des autres membres de la Communauté autochtone Campo Agua’ẽ c. Paraguay, constatations du 14 juillet 2021, communication n° 2552/2015, U.N. doc. CCPR/C/132/D/2552/2015, § 8.6 ; voir N. Seqat, « Chronique des constatations des comités conventionnels des Nations Unies », Droits fondamentaux, n° 20, 2022, pp. 31-38), les experts ont noté que l’article 27 du Pacte tend à la sauvegarde du mode de vie des peuples autochtones, lequel est étroitement lié à leurs territoires et leurs ressources traditionnels, et « vise à assurer la survie et le développement permanent de leur identité culturelle » (CCPR, Droits des minorités (article 27), Observation générale n° 23, 1994, § 9). C’est pourquoi la jouissance et l’exercice par ces communautés de leurs droits fonciers sont nécessaires à la persistance de leur culture (Comm. IADH, rapport du 30 décembre 2009, Indigenous and Tribal peoples’ Rights Over Their Ancestral Lands and Natural Resources: Norms and Jurisprudence of the Inter‐American Human Rights System, rapport n° 56/09, § 95) (§ 8.3). De surcroît, toute limitation à ces droits peut restreindre l’exercice du droit à la manifestation de leur religion, leur spiritualité ou leurs convictions (CCPR, Hopu et Bessert c. France, constatations du 29 juillet 1997, communication n° 549/1993, U.N. doc. CCPR/C/60/D/549/1993/Rev.1, § 10.3) (§ 8.4). Ainsi, toute mesure affectant les terres traditionnelles de ces groupes peut être édictée à condition qu’ils participent effectivement à la prise de décision et qu’ils consentent au préalable, librement et de manière éclairée (CCPR, Ángela Poma Poma c. Pérou, constatations du 27 mars 2009, communication n° 1457/2006, U.N. doc. CCPR/C/95/D/1457/2006, §§ 7.2 et 7.6) (§ 8.5). L’article 27 du Pacte consacre donc le principe de participation effective des peuples autochtones dans les procédures de détermination de leurs droits fonciers (§§ 8.5 et 8.6). En l’espèce, les autorités australiennes ont pris la décision d’attribuer le territoire litigieux à un autre groupe autochtone sans avoir permis aux Wunna Nyiyaparli de participer effectivement à la procédure, remettant en cause leur survivance en tant que communauté. Les experts ont conséquemment conclu à la violation de l’article 27 du Pacte, lu à la lumière de l’article 1er du Pacte et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (§ 8.7).
Dans un troisième temps, les experts du Palais Wilson se sont attachés au grief tiré de la violation de l’article 14 § 1 du Pacte (droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable). D’une part, le Comité a estimé que ne pas offrir aux parties l’opportunité de commenter les éléments de preuve pris en compte par le juge pour déterminer des droits fonciers autochtones constitue une violation des principes d’égalité devant les tribunaux et d’équité de la procédure (CCPR, Äärelä et Näkkäläjärvi c. Finlande, constatations du 24 octobre 2001, communication n° 779/1997, U.N. doc. CCPR/C/73/D/779/1997, § 7.4). De plus, en l’absence d’un délai fixé pour la soumission d’éléments de preuve, les juridictions jouent de leur pouvoir discrétionnaire arbitraire si elles refusent l’admission de nouvelles preuves à l’approche de l’audience (CCPR, Jansen-Gielen c. Pays-Bas, constatations du 3 avril 2001, communication n° 846/1999, U.N. doc. CCPR/C/71/D/846/1999, § 8.2). En outre, en dehors des procédures pénales, tout État partie est incité à octroyer une aide juridictionnelle gratuite aux justiciables qui n’ont pas les moyens financiers de rétribuer un avocat-conseil. Dans certaines circonstances, il peut être lié par cette obligation (CCPR, Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable (article 14), Observation générale n° 32, 2007, U.N. doc. CCPR/C/GC/32, § 10) (§ 8.12). D’autre part, dans le cas particulier des peuples autochtones, il convient pour les Parties contractantes d’adopter toutes les mesures permettant qu’ils puissent comprendre et se faire comprendre dans les procédures judiciaires (Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, op. cit., articles 13 § 2 et 40), mais aussi que les juridictions nationales appréhendent « leurs particularités, leurs caractéristiques sociales et économiques et leur situation de vulnérabilité particulière, le droit coutumier, les valeurs, les coutumes et les traditions » (CIADH, arrêt du 30 août 2010, Fernández Ortega et consorts c. Mexique (exceptions préliminaires, fond, réparation et coûts), Série C, n° 215, § 200) (§ 8.13). Les traités de protection des droits humains étant des instruments vivants (CCPR, Judge c. Canada, constatations du 3 août 2003, communication n° 829/1998, U.N. doc. CCPR/C/78/D/829/1998, § 10.3), les États parties doivent aussi établir des mécanismes et des procédures de « délimitation, démarcation et attribution » des droits fonciers des peuples autochtones compatibles avec « leur droit coutumier, leurs valeurs et leurs coutumes » pour protéger la propriété de leurs territoires ancestraux et assurer la sécurité juridique (CIADH, arrêt du 31 août 2001, Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua (fond, réparation et coûts), Série C, n° 79, § 164) (§ 8.14). Le Comité interprète ici l’article 14 § 1 du Pacte à la lumière de l’évolution des dispositions relatives aux droits des peuples autochtones. Il en déduit qu’en l’espèce l’État défendeur était lié par l’obligation d’offrir aux Wunna Nyiyaparli les garanties d’une procédure régulière dans le cadre de la procédure de reconnaissance de leurs droits fonciers. Considérant les délais restreints tenant à la préparation du procès, l’absence de représentation légale du groupe autochtone devant la Cour fédérale, les difficultés liées à l’accès aux informations concernant la procédure ainsi qu’à leur compréhension, le refus de leur demande de soumettre des preuves et celui d’ajourner la procédure, les experts ont jugé que ces faits étaient constitutifs d’une violation de l’article 14 § 1 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 § 3 du Pacte (§ 8.16).
Dans son opinion individuelle dissidente, Carlos Gómez Martínez a cependant estimé que le Comité avait manqué d’informations sur le point de savoir si l’autre clan autochtone, en faveur duquel la Cour fédérale avait statué, avait reçu le même traitement que les Wunna Nyiyaparli (Annexe, § 4). En effet, les experts n’ont pas recherché des éléments prouvant que l’autre groupe autochtone s’était vu imposer des charges procédurales « différentes ou moins lourdes » (Annexe, § 5). Partant, le Comité ne pouvait pas constater la violation de l’article 14 § 1 du Pacte du fait d’une inégalité de traitement dans l’accès à la justice (Annexe, § 7).
En définitive, ayant constaté la violation de l’article 14 § 1 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 § 3 ainsi que de l’article 27, lu à la lumière de l’article 1er, le Comité a enjoint l’Australie de réexaminer la demande des requérants portant sur la reconnaissance de leurs droits fonciers et à garantir leur participation effective à cette procédure. L’État défendeur doit également veiller à ne pas porter atteinte à « l’existence, à la valeur, à l’utilisation ou à la jouissance » du territoire ancestral des Wunna Nyiyaparli. De même, il lui est demandé de réexaminer les concessions minières accordées dans le passé sans le consentement préalable, libre et éclairé de la communauté autochtone et, le cas échéant, de réviser les droits des concessionnaires sur ces terres. Il est aussi tenu d’indemniser le préjudice subi par les Wunna Nyiyaparli et de réformer le système d’aide juridictionnelle en matière de demandes concurrentes de détermination de droits fonciers autochtones (§ 10).