N. 22 - 2024

Note sous Comité des droits de l’enfant, D.E.P. c. Argentine, 19 septembre 2023, communication n° 89/2019, U.N. doc. CRC/C/94/D/89/2019

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Si le Comité des droits de l’enfant (ci-après le « Comité ») avait déjà affirmé à plusieurs reprises la spécificité des principes de la justice pour enfants (CRC, Droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants, Observation générale n° 10, 2007, U.N. doc. CRC/C/GC/10 ; CRC, Les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants, Observation générale n° 24, 2019, U.N. doc. CRC/C/GC/24), il retient, dans cette affaire, une approche paradoxale : tandis qu’il développe une méthode exigeante de détermination de la peine, il modère parallèlement le principe de séparation des enfants et des adultes lors de la détention.

En l’espèce, l’auteur a été condamné à quinze ans d’emprisonnement pour avoir commis un homicide aggravé à l’âge de dix-sept ans. Il a alors été transféré dans une prison pour adulte, étant âgé de dix-neuf ans au moment de sa condamnation (§ 2.1). Considérant que la Cour n’avait pas suffisamment considéré son statut d’enfant, il s’est pourvu en cassation, invoquant en particulier le caractère arbitraire des raisons retenues pour justifier sa peine et la durée de sa détention (§ 2.1). Au terme d’une longue procédure (§§ 2.2 et 2.3), la Cour Suprême de la nation, se référant à une précédente décision (Cour suprême de la nation, arrêt du 31 octobre 2017, A., C. J. s/homicidio en ocasión de robo, portación ilegal de armas de fuego de uso civil s/juicio s/casación, Décisions : 340:1450) et à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH, arrêt du 14 mai 2013, Mendoza et autres c. Argentine, Série C, n° 260), admet à nouveau que la législation pénale applicable aux enfants en Argentine n’est pas conforme aux normes internationales (§ 2.4), mais rend tout de même la condamnation de l’auteur définitive (§ 2.5).

Face à cette contradiction, l’auteur saisit le Comité, pour dénoncer la méconnaissance des principes de la justice pour enfants, invoquant en particulier deux griefs.

Premièrement, l’auteur allègue le non-respect du principe de séparation des enfants et des adultes lors de la détention, garanti aux articles 3 et 37 c) de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après la « Convention ») (§§ 3.1 et 3.4). Le Comité écarte cependant ce grief au stade la recevabilité, car en l’espèce, l’auteur avait dix-neuf ans et demi lors de son transfert au centre pénitentiaire pour adultes (§ 5.6) et n’était donc plus un « enfant » au sens de la Convention. Si cette conclusion apparaît cohérente au regard du champ ratione personae de la Convention, elle semble nuancer l’approche traditionnellement retenue par le Comité, qui se fonde sur l’intérêt supérieur de l’auteur et celui des autres enfants incarcérés, plutôt que sur l’âge au moment du transfert. Le Comité rappelle d’ailleurs dans cette affaire que la séparation des enfants et des adultes ne signifie pas « qu’un enfant placé dans un établissement pour enfants devrait être transféré dans un établissement pour adultes dès qu’il a atteint l’âge de 18 ans » (§ 5.6, en référence à CRC, Observation générale n° 24 (2019), op. cit., § 93). Bien que le transfert ne soit pas intervenu dès la majorité de l’auteur, il semble regrettable que le Comité, qui, s’arrêtant à l’étape de la recevabilité, n’examine pas en détail l’intérêt supérieur de l’enfant.

Deuxièmement, l’auteur juge que la durée de son emprisonnement ne respecte pas le principe de nécessité des peines, selon lequel la répression doit être nécessaire et justifiée. À ce titre, il reproche, d’une part, aux juridictions nationales de ne s’être fondé que sur la gravité des faits pour déterminer la peine, sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3), de l’objectif de réintégration (article 40) et du principe selon lequel la durée de la peine doit être aussi brève que possible (article 37 b)) (§§ 3.1-3.3). D’autre part, il dénonce l’absence de mécanismes de révision périodique de la peine, en violation des articles 37 b) (§ 3.3), 40 (§ 3.2) et 25 (§ 3.5), qui participerait à assurer un emprisonnement strictement nécessaire.

Après avoir logiquement écarté ratione materiae le grief tiré de l’article 25, étant donné que celui-ci s’applique au placement pour recevoir des soins et non à la justice pénale (§ 5.5), le Comité rappelle les principes de la justice pour enfants (CRC, Observation générale n° 24 (2019), op. cit. ; CRC, Observation générale n°10 (2007), op. cit.). Il réaffirme ainsi que la justice pour enfants est fondée sur la « reconnaissance d’une responsabilité atténuée et d’un système distinct prévoyant une approche différenciée et personnalisée » (CRC, Observation générale n° 24 (2019), op. cit., § 2), qui a pour origine les différences de développement psychique et psychologique entre les adultes et les enfants (§ 6.2). Cette responsabilité atténuée repose sur la mise en œuvre du principe de proportionnalité, déduit de l’article 40 § 4 de la Convention, selon lequel « la réaction à une infraction devrait toujours être proportionnée non seulement aux circonstances et à la gravité de l’acte commis, mais aussi à la situation personnelle de l’enfant (âge, responsabilité atténuée, circonstances et besoins, y compris, s’il y a lieu, les besoins en soins de santé mentale) et aux divers besoins de la société, en particulier les besoins à long terme » (§ 6.2, en référence à CRC, Observation générale n° 24 (2019), op. cit., § 76 ; v. également, Assemblée générale des Nations Unies, Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), résolution 40/33, 29 novembre 1985, règle 5). En particulier, la nécessité de favoriser la réinsertion sociale de l’enfant doit être dûment considérée (§ 6.2). Ce principe de proportionnalité, qui guide la détermination de la peine, impose, selon le Comité, une double obligation à l’État. D’une part, il doit démontrer que d’autres mesures non privatives de libertés ont été envisagées et que l’emprisonnement était nécessaire, puisque l’emprisonnement est une mesure de dernier ressort (§ 6.3). D’autre part, au nom du respect du principe selon lequel la durée de la privation de la liberté doit être aussi brève que possible, principe propre à la justice pour enfants, l’État doit s’assurer que la peine n’est pas supérieure à ce qui est « nécessaire pour atteindre les objectifs qui ont motivé l’imposition de la peine » (§ 6.3). De ces principes, le Comité déduit un droit à un examen périodique de la peine (§ 6.4). Bien que celui-ci ne soit pas expressément prévu par la Convention, le Comité avait déjà admis l’existence de ce droit (CRC, Observation générale n° 24 (2019), op. cit., § 81), conformément aux recommandations des Règles de Beijing (Assemblée générale des Nations Unies, Règles de Beijing, op. cit., commentaire de la règle 6). En application de ces principes, le Comité considère que la gravité de la peine, bien qu’élément à considérer, ne peut constituer le motif exclusif pour déterminer la peine, et ne justifie pas en soi la nécessité de la privation de liberté par l’auteur (§ 6.4). Dès lors, en l’espèce, il considère que les juridictions internes n’ont pas suffisamment examiné la nécessité de la privation de liberté (§ 6.6).

La condamnation de l’Argentine dans cette affaire intervient sans surprise, puisque que l’inadéquation du régime juridique argentin applicable en matière de justice pour enfants avait été préalablement reconnue à l’échelle nationale (Cour suprême de la nation, A., C. J., op. cit.), régionale (CIADH, Mendoza et autres c. Argentine, op. cit.) et internationale (CRC, Observations finales concernant le rapport de l’Argentine valant cinquième et sixième rapports périodiques, 2018, U.N. doc. CRC/C/ARG/CO/5-6, § 44).

Pour autant, cette décision apporte des précisions importantes sur la méthode concrète de détermination de la peine. Le Comité établit en effet un cadre exigeant d’examen au cas par cas, conforme à son approche de la justice pour enfants. Il favorise ainsi la conception de la proportionnalité privilégiée en droit international des droits de l’homme, qui consiste à autoriser une restriction à un droit fondamental seulement si la mesure est nécessaire pour assurer un but légitime et est la moins attentatoire à la liberté. Prenant en considération la spécificité de l’enfant, il s’éloigne par conséquent de la conception de proportionnalité dominante en droit pénal, qui implique que la peine corresponde au degré de culpabilité de l’auteur. En outre, le Comité établit que le droit à un examen périodique s’applique, même lorsque l’auteur a dépassé l’âge de 18 ans, en application de son approche fondée sur l’âge de commission de l’infraction, plutôt que sur l’âge au moment de la privation de liberté. Dans ces conditions, la conclusion du Comité en ce qui concerne l’incarcération séparée des adultes apparaît d’autant plus curieuse, surtout en l’absence d’examen détaillé pour justifier ce choix.