L’auteure de cette communication, A.F. A. F., est une mère de famille qui a été agressée sexuellement, puis violée à son domicile, par un agent de police, alors qu’il y intervenait à la suite d’une plainte qu’elle avait formulée pour des violences domestiques de son ex-mari. Elle a saisi la justice d’une plainte pour agression sexuelle, viol et harcèlement contre l’agent de police. Ce dernier a d’abord été condamné à six mois de prison en première instance, avant d’être acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui par le tribunal régional. Le recours formé par l’auteur contre la décision d’acquittement du tribunal régional (§ 2.16) a été déclaré irrecevable, au motif que ses arguments n’étaient pas suffisants pour justifier la révision de la décision contestée (§ 2.18).
A.F. A. F., s’estimant victime de discrimination, a saisi le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après, le « Comité »), en vue de constater que la décision du tribunal régional était fondée sur des stéréotypes et des mythes sexistes, sur le viol et le comportement attendu des victimes de viol, et constitue une violation de ses droits au titre des alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après, la « Convention ») (§ 3.1). Considérant les allégations de l’auteure suffisamment étayées, le Comité a déclaré la communication recevable avant de procéder à son examen au fond (§ 6.5).
Dans le cadre de son examen, le Comité a recherché à déterminer si les organes judiciaires de l’État partie, en particulier le tribunal régional et la Cour suprême, s’étaient fondés sur des mythes et des idées reçues et sexistes concernant le viol, les victimes de viol, et les femmes en général, pour traiter de manière discriminatoire l’auteure et les éléments de preuve fournies dans le cadre de la procédure judiciaire, en violation des droits de l’auteure et en méconnaissance par l’État défendeur de ses obligations au titre des alinéas b), c) et f) de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention (§ 7.2).
Le Comité a rappelé que les femmes se heurtent à de nombreuses difficultés dans le cadre de l’accès à la justice pour des raisons de discrimination directe et indirecte (§ 7.5). A cet égard, il est de la responsabilité des États parties à la Convention de créer les conditions propres à garantir un égal accès des femmes et des hommes à la justice et de prendre les mesures appropriées pour modifier ou abroger toute loi ou disposition réglementaire, mais également toute coutume ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes (§ 7.6). Le Comité estime que la décision du tribunal régional d’annuler une condamnation pour absence de preuves, en dépit des nombreuses preuves médico-légales et testimoniales, a été dictée par l’existence de stéréotypes sexistes, profondément ancrés (§ 7.16). De même, le Comité estime que la Cour d’appel et la Cour suprême ont réservé à l’auteure, victime de violence fondée sur le genre, un traitement qui ne lui a pas permis de jouir de son droit à l’égalité devant la justice. De l’avis du Comité, les décisions de ces organes « dissimule[nt] une incompréhension évidente des idées sexistes en matière de violence à l’égard des femmes, du concept de contrôle coercitif, des implications et des subtilités de l’abus d’autorité, y compris l’abus de confiance, des effets de l’exposition à des traumatismes consécutifs, des symptômes post-traumatiques complexes, y compris la dissociation, la perte de mémoire et des vulnérabilités et besoins particuliers des victimes de violence domestique » (§ 7.18).
Le Comité, a par conséquent, constaté une violation par les autorités judiciaires italiennes des droits d’AF. A. F. protégés par les alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, et des articles 3, 5 et 15 de la Convention (§ 8). Il a ensuite recommandé à l’Italie, entre autres, de reconnaître le préjudice moral et social subi par A.F. A. F., en sa qualité de victime de violence commise par un membre des forces de l’ordre, de lui accorder une indemnisation appropriée et proportionnelle à la gravité des violations de ses droits et, de manière générale, d’adopter des mesures efficaces pour engager, sans retard excessif, des procédures judiciaires pour infraction sexuelle, qui s’imposent en l’espèce. Les présentes constations constituent un rappel des fondamentaux de la lutte contre toutes les formes de discrimination dont les femmes peuvent être victimes, et qui doivent être respectés par tous, en particulier les organes étatiques chargés de dire le droit.