Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (ci-après, le « Comité ») s’est prononcé sur la conformité aux articles 21 et 26 du Pacte des droits civils et politiques des refus d’autorisation de défilés et de rassemblements LGBTQ+ dans les rues de Moscou.
En l’espèce, les auteurs des communications nos 2943/2017, 2953/2017, et 2954/2017 font état de leurs démarches auprès de la mairie de Moscou en vue de l’organisation de diverses manifestations LGBTQ+ en 2013. Celles-ci étaient variées dans leurs objets. En effet, certaines consistaient en la sensibilisation aux droits des minorités sexuelles, à savoir la manifestation célébrant le troisième anniversaire de la décision de la CEDH déclarant illégitime l’interdiction par la ville de Moscou des défilés de la Gay Pride prévue le 21 octobre (§ 2.2), le regroupement en faveur de l’interdiction de la discrimination à l’égard des LGBT en Fédération de Russie prévu le 22 octobre (§ 2.3), la manifestation en vue d’exprimer leur soutien aux policiers monténégrins blessés le 20 octobre 2013 alors qu’ils assuraient la protection d’un défilé de la Gay Pride à Podgorica prévue le 2 novembre (§ 2.7), entre autres. D’autres incarnaient des mouvements de protestation, tels que la manifestation pour protester contre l’interdiction de l’adoption d’enfants russes par des couples étrangers de même sexe prévue le 28 octobre (§ 2.4), celle visant à protester contre la loi fédérale de juin 2013 interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs prévue le 25 octobre (§ 2.5), ou encore celle pour protester contre les licenciements fondés sur l’orientation sexuelle prévue le 29 octobre (§ 2.6). Et enfin, il était également question de manifestations pouvant être assimilées à des actions de revendication, similaires aux marches des fiertés, illustrées par la manifestation prévue sous le slogan « Gay sain de corps et d’esprit » prévue le 10 décembre (§ 2.10) ou encore le rassemblement prévu sous le slogan « Lesbiennes et fières de l’être » prévu le 11 décembre (§ 2.11).
Ces événements, bien que distincts dans leurs objectifs, se sont heurtés à la répétitive communication par le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption, à destination des organisateurs, d’une atteinte à « la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs » (voir loi fédérale n° 436 de 2010, loi fédérale n° 124 de 1998, et article 6.21 du Code des infractions administratives). Tenant compte des refus d’autorisation opposés par la mairie de Moscou, les collectifs chargés de l’organisation de ces manifestations en ont prononcé l’annulation.
Les requérants ont systématiquement saisi le tribunal du district Tverskoï à Moscou en première instance, et ont successivement été déboutés de leurs demandes. À chaque reprise, ceux-ci ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, sans davantage de succès. Toutefois, ils n’ont pas formé de pourvoi en cassation, justifiant leur choix par l’inefficacité de la procédure.
Nikolai Alekseev, Kirill Nepomnyashchiy, Sofia Mikhailova et Yaroslav Yevtushenko ont alors soumis au Comité des droits de l’homme des communications par lesquelles ils ont contesté les refus d’autorisation des manifestations LGBTQ+, faisant grief aux autorités municipales de Moscou d’avoir enfreint les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (ci-après, le « Pacte »), dont l’article 21 consacre le droit de réunion pacifique, et l’article 26 lequel inscrit à la charge du législateur une obligation négative d’ « interdi[re] toute discrimination », ainsi qu’une obligation positive de « garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination ». Cette dernière disposition liste les catégories de minorités protégées. En raison de l’absence de mention explicite du critère de l’orientation sexuelle, celui-ci est inclus dans la formule « ou de toute autre situation ».
D’un point de vue procédural, la Fédération de Russie a contesté la recevabilité des communications arguant que les auteurs n’ont pas satisfait l’exigence d’épuisement des voies de recours internes. Sur le fond, l’État partie a invoqué la protection de la morale publique par la préservation des mineurs contre des formes de propagande, motif légitime justifiant de leur avis les restrictions apportées au droit de réunion pacifique.
Avant de trancher la question de fond, le Comité des droits de l’homme était tenu de se prononcer sur la recevabilité des communications. Le caractère de facto disponible de procédures internes ne saurait à lui seul attester du caractère effectif de la voie de recours considérée. Notant la spécificité du pourvoi en cassation entré en vigueur le 1er janvier 2012, et relevant qu’« il s’apparente à certains égards à un recours extraordinaire », le Comité a considéré que l’État avait la charge de « démontrer qu’il y a[vait] des chances raisonnables que cette procédure constitue un recours utile dans les circonstances de l’affaire concernée » (§ 6.6). Ce faisant, il s’est inscrit dans la continuité des constatations antérieures Vladimir Schumilin c. Bélarus (constatations du 23 juillet 2012, communication n° 1784/2008, U.N. doc CCPR/C/105/D/1784/2008, § 8.3) et Sergey Sergeevich Dorofeev c. Fédération de Russie (constatations du 11 juillet 2014, communication n° 2041/2011, U.N. CCPR/C/111/D/2041/2011, § 9.6), qu’il a d’ailleurs citées à l’appui de son analyse. En outre, se livrant à l’étude des lois en vigueur et des contrôles de constitutionnalité de 2014 validant celles-ci, et en prenant en compte le caractère systématique des décisions des juges du fond, il est apparu au Comité que compte tenu de l’objet même du recours, à savoir la cause LGBT, la procédure de cassation « ne devait pas être considérée comme un recours utile que les auteurs auraient dû épuiser » (§ 6.6). Les communications ont dès lors été jugées recevables.
Sur le fond, le Comité avait à répondre à l’argument de la Fédération de Russie, celle-ci estimait que la mesure restrictive était justifiée par un objectif de protection de la morale publique. En effet, de l’avis de l’État partie, l’itinéraire envisagé pour les différents événements se trouvait être des rues principales de Moscou, fréquentées par les familles, ce qui aurait eu pour effet d’exposer les enfants à l’influence des mouvements LGBT. L’organe saisi a d’abord rappelé que les restrictions à la liberté de réunion devaient être légales, nécessaires dans une société démocratique et proportionnées, faisant écho à la jurisprudence de la CEDH relative à l’article 11 de la Convention (Baczkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n°1543/06 ; Alexeïev c. Russie, 21 octobre 2010, n°4916/07, 25924/08 et 14599/09). Il a par ailleurs souligné que l’article 21 n’opère pas de distinction selon les lieux, publics ou privés, d’exercice du droit de réunion (§ 9.3). Puis, le Comité, a exposé qu’il avait déjà eu l’occasion d’alerter par le passé ledit État sur les « stéréotypes négatifs » de ses lois et dispositifs administratifs restrictifs de libertés fondés sur le seul critère de la différence d’orientation sexuelle (§ 9.15). Il en a conclu que les refus d’autorisation des rassemblements opposés aux organisateurs, sans que ne soient mis en avant les caractères raisonnable et objectif des mesures (§ 9.14), portaient une atteinte injustifiée à la liberté de manifestation, et constituaient de surcroît, des traitement discriminatoires (§ 9.15). Le Comité a conclu à une violation des droits des auteurs des communications au titre des articles 21 et 26 du Pacte dans le cas d’espèce (§ 10), et a souligné que « toutes les mesures nécessaires » devaient être prises « pour que des violations analogues ne se reproduisent pas » (§ 11). À cet égard, il a rappelé qu’il s’était prononcé sur des situations similaires dans des constatations antérieures mettant en cause les « mêmes lois et pratiques » dudit État partie, raison pour laquelle ce dernier a été incité à « réviser [le] cadre normatif relatif aux manifestations publiques » (§ 11).