La proclamation d’un standard de traitement minimal des personnes détenues reconnu par les Nations Unies (Assemblée générale des Nations Unies, « Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies », résolution adoptée le 17 décembre 2015, U.N. doc. A/RES/70/175, révisant l’Ensemble de règles adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants en 1955) a confirmé la prise de conscience progressive des conditions d’incarcération en Europe (Parlement européen, « Les conditions carcérales dans les États membres : normes européennes et bonnes pratiques sélectionnées », Briefing du 17 janvier 2017, disponible en ligne). Le Comité des droits de l’homme s’inscrit dans ce mouvement dans les présentes constatations. En l’espèce, il élargit le champ des normes dont il contrôle le respect en attestant de l’applicabilité des règles de traitement minimal des détenus pour conclure à une violation des articles 6, 7 et 10 du Pacte.
L’auteur de la communication, M. Andreas Dafnis, est un ressortissant grec, atteint de troubles bipolaires et d’une homocystéinémie (§ 2.1, note n° 2) – maladie ayant entraîné chez le plaignant de graves complications (§ 2.1, notes nos 4 et 5). Selon le Centre de certification des personnes handicapées, son taux d’invalidité est passé de 50% en 2013 à 90% en 2018. Condamné à un emprisonnement à vie depuis décembre 2010, il a purgé les premières années de sa peine dans une unité hospitalière psychiatrique de la prison de Korydallos. L’établissement a toutefois recommandé son hospitalisation dans deux avis médicaux des 14 février et 8 mai 2018 au regard de la détérioration de son état de santé. S’appuyant sur cette recommandation restée vaine et sur l’inadaptation des conditions de détention du Centre à sa situation, l’auteur a déposé une demande de libération conditionnelle au titre de l’article 110 A, § 3, du Code pénal grec, prévoyant cette possibilité pour une invalidité supérieure à 67%, ou à 50% avec incapacité de subvenir à ses besoins (§ 2.4 et § 3.4). Le Conseil de la Cour d’appel du Pirée a toutefois rejeté sa demande au motif que son taux d’invalidité de 90 % ne résultait pas d’une seule maladie grave, mais pour moitié de sa maladie mentale. Il a par la suite été transféré à la prison d’Alikarnassos, où il demeure dans des conditions de détention qu’il dénonce comme étant déplorables (§§ 2.6-2.8). Selon l’auteur de la communication, il résulte de ces éléments une violation des articles 2 § 1, 2 § 3, 6, 7, 9, 10, 15, 17 et 26 du Pacte.
Le Comité opère un examen de la recevabilité de l’affaire, au sein duquel il rejette d’abord l’allégation de non-épuisement des voies de recours internes avancée par l’État partie – à juste titre, puisqu’il constatera que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile lors de son examen au fond (§ 8.6). Il affirme qu’aucun des recours et action en réparation envisageables n’aurait permis de mettre rapidement fin au caractère indigne des conditions de vie de l’auteur (§§ 7.4-7.7). En effet, l’auteur se plaint d’être personnellement affecté par les conditions générales de détention, dont les procédures visées « n’offrent aucune perspective raisonnable d’amélioration », et non par des circonstances particulières. Rappelant que l’effectivité d’un recours dépend, dans une certaine mesure, de la nature de la violation alléguée ainsi que de la situation de l’auteur (Comité des droits de l’homme, constatations du 29 juillet 1997, Vicente et autres c. Colombie, communication n° 612/1995, U.N. doc. CCPR/C/60/D/612/1995, § 5.2), il constate qu’un recours d’ordre administratif ou disciplinaire ne peut être considéré comme utile et suffisant dans ce cas de figure (§ 7.7). Le Comité s’accorde ici avec la jurisprudence européenne, admettant qu’une action purement indemnitaire ne peut être efficace – sinon, cohérente – lorsqu’elle bénéficie à une personne détenue (CEDH, arrêt du 25 février 2016, Papadakis et autres c. Grèce, req. n° 34083/13, § 51 ; arrêt du 28 janvier 2016, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, req. n° 69781/13, § 39)
Ensuite, si l’insuffisante précision des allégations de l’auteur suffit à reconnaître l’irrecevabilité de la communication au regard de l’article 17 du Pacte (§ 3.5), l’on peut regretter la concision avec laquelle le Comité écarte la violation alléguée sur le fondement de l’article 15. Si le Comité affirme que « la décision du Conseil de la Cour d’appel ne peut être considéré[e] comme manifestement arbitraire ou comme un déni de justice » (§ 7.10), il ne se prononce cependant pas sur l’erreur manifeste d’application avancée de la disposition interne en cause, estimant que l’interprétation qui en est faite est fondée sur la jurisprudence des tribunaux nationaux. Les précédents sur lesquels il s’appuie témoignent d’ailleurs qu’il ne s’attarde généralement pas sur l’appréciation d’une erreur manifeste (Comité des droits de l’homme, constatations du 19 mars 2006, Hernando Manzano et autres c. Colombie, communication n° 1616/2007, U.N. doc. CCPR/C/98/D/1616/2007, § 6.4 ; constatations du 26 juillet 2011, L.D.L.P. c. Espagne, communication no 1622/2007, U.N. doc. CCPR/C/102/D/1622/2007, § 6.3). En l’occurrence, le Comité aurait pu examiner l’interprétation du taux d’invalidité opérée par le Conseil de la Cour d’appel du Pirée, a priori éloignée des avis médicaux de 2018. Un tel examen supposerait toutefois à terme une prise en compte du recours administratif en matière de détention comme utile et conduirait à une décélération des recours devant le Comité – ce qui explique sans doute que ce dernier ait préféré limiter son examen.
L’auteur invoquait également une discrimination fondée sur son statut de prisonnier en ce qui concerne l’accès aux soins, notamment à la vaccination contre l’épidémie de COVID-19. L’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 26 questionne à deux égards. Quant à la vaccination de l’intéressé d’abord, le Comité note que l’auteur « a été vacciné contre le COVID-19 le 13 juillet 2021 ». Ici, la brièveté de l’argument accueilli laisse perplexe en l’absence de tout élément comparatif. L’obligation de l’État de fournir un accès aux soins sans discrimination du fait du statut juridique de prisonnier (Assemblée générale des Nations Unies, « Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus », résolution adoptée le 17 décembre 2015, U.N. doc. A/RES/70/175, règle 24 § 1) requérait de renseigner a minima la date du commencement de la campagne de vaccination en Grèce et dans les prisons grecques. L’on s’en étonne d’autant plus que les lacunes de la gestion de la pandémie dans ces prisons ont été largement dénoncées (European Data Journalism Network, « Il n’y avait aucun obstacle à la transmission du Covid-19 dans les prisons grecques », 18 mai 2022, disponible en ligne) et suivies de plusieurs requêtes en ce sens devant la Cour européenne des droits de l’homme (inter alia, CEDH, Maratsis et autres c. Grèce, req. n° 30335/20 et Vasilakis et autres c. Grèce, req. n° 30379/20, communiquées au gouvernement grec le 25 février 2021 ; Vlamis et autres c. Grèce, n° 29655/20 et quatre autres requêtes, n° 29689/20, n° 30240/20, n° 30418/20 et n° 30574/20, communiquées au gouvernement grec le 16 avril 2021). Par ailleurs, quant à l’accès plus général aux soins, le Comité note « l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire » et écarte la discrimination « en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier » (§ 7.9). Or, il résulte des faits que l’auteur a été transféré dans une nouvelle prison aux conditions plus difficiles tandis que les avis médicaux susvisés recommandaient qu’il soit hospitalisé (§ 2.5). De surcroît, à la suite de plusieurs accidents vasculaires cérébraux, les médecins ayant soigné le plaignant ont déclaré n’avoir pu prévenir les dommages qui en ont découlé compte tenu de son arrivée tardive à l’hôpital (§ 2.8). Les constatations du Comité semblent donc, sur ce point, quelque peu hâtives. L’on peut supposer au regard de son examen sur le fond (v. infra) que le Comité, comme la Cour européenne pour des faits similaires, préfère aux allégations de discrimination fondée sur le statut de prisonnier, celles de non-respect de la dignité humaine (CEDH, arrêt du 15 janvier 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 ; arrêt du 2 novembre 2006, Serifis c. Grèce, req. n° 27695/03 ; arrêt du 12 juin 2008, Kotsaftis c. Grèce, req. n° 39780/06). Sur le fond, en effet, la lecture du Pacte à la lumière des Principes directeurs confirme sa position antérieure selon laquelle les personnes privées de liberté « ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté » (Comité des droits de l’homme, « Article 10 (Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité) », Observation générale n° 21, 44ème session, 1992, U.N. doc. CCPR/C/GC/21, § 3). Elle n’est également pas sans rappeler que « les personnes présentant un handicap, y compris psychosocial ou intellectuel, ont droit elles aussi à des mesures spécifiques de protection propres à garantir leur jouissance effective du droit à la vie sur un pied d’égalité avec les autres » (Comité des droits de l’homme, « Article 6 (Droit à la vie) », Observation générale n° 36, 124ème session, 2018, U.N. doc. CCPR/C/GC/36, § 24). En sus de sa position au regard des conditions de détention de l’auteur et de la dégradation corrélative de son état de santé, le Comité saisit ici l’occasion d’aborder « les conditions de détention en général » dans les centres pénitentiaires helléniques visés (§ 8.4) en réaffirmant la responsabilité qui incombe aux États parties quel que soit leur niveau de développement. Cela n’étonne guère puisque très peu de temps après, la sonnette d’alarme a été largement tirée par le Comité européen pour la prévention de la torture à propos des conditions de détention dans les prisons grecques (« Rapport au gouvernement grec sur la visite ad hoc en Grèce effectuée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants », 2 septembre 2022, doc. CPT/Inf (2022) 16) – conditions reconnues par l’État partie lui-même (§§ 8.3-8.4). Ainsi, l’engagement de Nelson Mandela pourrait-il bien finalement aboutir à un traitement humain des prisonniers.