N. 21 - 2023

Note sous Comité des droits de l’enfant, S.K. c. Danemark, 1er juin 2022, communication n° 99/2019, U.N. doc. CRC/C/90/D/99/2019

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Avec l’affaire S.K. c. Danemark, le Comité des droits de l’enfant (ci-après, « le Comité ») adopte ses premières constatations concernant des risques de violences fondées sur le genre, autres que des mutilations génitales féminines, réitérant sa jurisprudence sur la nécessité de procéder à une évaluation tenant compte de l’âge et du sexe de l’enfant menacé d’expulsion.

D’origine indienne, l’auteure de la communication est arrivée au Danemark en 2015, son époux y séjournant déjà dans le cadre de ses études (§ 2.1). Au cours de sa grossesse, elle a été hospitalisée après un épisode de violences conjugales, qu’elle disait subir quotidiennement et qui auraient débuté alors que le couple résidait encore en Inde (§ 2.2). À la suite de l’expulsion de son époux, elle est restée sur le territoire de l’État partie – malgré la caducité de son titre de séjour – avant de déposer une demande d’asile, en mars 2017, pour cause de violences domestiques (§ 2.3). Estimant qu’elle aurait accès à la protection de l’État une fois de retour en Inde, les autorités danoises ont rejeté sa demande et celle de sa fille en juin 2018, et confirmé cette décision en juin 2019 (§ 2.4). Le mois suivant, l’auteure a saisi le Comité au nom de sa fille âgée de 2 ans, en invoquant une violation des articles 3 (intérêt supérieur de l’enfant) et 22 (droit de bénéficier d’une assistance humanitaire) de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après, « la Convention »). Elle affirmait que la vie de l’enfant serait en danger imminent si elles devaient être renvoyées en Inde, faisant valoir des menaces de féminicide et de prostitution forcée proférées par son mari à leur encontre, les antécédents de violence de ce dernier, ainsi que le manque de possibilités pratiques et juridiques de protéger sa fille sur place ou d’obtenir du soutien de sa propre famille (§ 3.1).

Au titre des mesures provisoires, le Groupe de travail des communications a demandé à l’État partie de s’abstenir d’expulser l’auteure et sa fille vers l’Inde le temps de l’examen de la communication. En novembre 2021, la demande de l’État partie tendant à la levée des mesures provisoires a été rejetée (§ 1.2).

Sur la question de la recevabilité, l’État partie considère que la communication de l’auteure n’est pas conforme à l’article 7(f) du Protocole facultatif à la Convention établissant une procédure de communication (adopté le 19 décembre 2011, entré en vigueur le 14 avril 2014 et le 7 janvier 2016 pour le Danemark, U.N. doc. A/RES/66/138), dans la mesure où elle n’apporte pas les éléments de preuve à l’appui de ses allégations (§§ 4.7-4.8). Dans une affaire similaire, le Comité avait en effet conclu à l’irrecevabilité – pour défaut manifeste de fondement – de la communication d’une mère présentée au nom de sa fille, qui avaient fait l’objet d’une expulsion vers la Macédoine du Nord où elle disait risquer d’être victimes d’un « crime “d’honneur”» (Comité des droits de l’enfant, constatations du 28 septembre 2020, B.I. c. Danmark, communication n° 49/2018, U.N. doc. CRC/C/85/D/49/2018, § 5.6). Dans la présente affaire, non seulement le Comité estime que la communication est recevable, mais il relève d’office une violation des articles 6 (droit à la vie) et 37(a) (droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) de la Convention (§ 6.4). Contre l’avis de la majorité, Benyam Dawit Mezmur, Ann Skelton et Velina Todorova, indiquent quant à eux que cette possibilité pour le Comité de soulever des violations de son propre chef ne devrait être mise en œuvre que dans les cas où le fondement de la plainte est solide en fait – ce qu’ils estiment ne pas être le cas en l’espèce – et qu’une telle possibilité devrait, en outre, donner lieu à une approche prudente (opinion dissidente conjointe, § 3).

L’examen se poursuivant tout de même au fond, l’État partie réitère que l’auteure n’a pas suffisamment établi que sa fille serait exposée à un risque réel de préjudice irréparable si elle devait être renvoyée en Inde et qu’elle n’a identifié aucun facteur de risque que les autorités nationales n’auraient pas dûment pris en compte (§ 7.2). Toutefois, le Comité rappelle que « les États sont tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il sera exposé à un risque réel de préjudice irréparable, […] que ce risque soit imputable à des acteurs non étatiques, qu’il soit délibéré ou la conséquence indirecte d’une action ou d’une inaction » (§ 7.3) (voir Comité des droits de l’enfant, « Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine », Observation générale n° 6, 39ème session, 2005, U.N. doc. CRC/GC/2005/6, § 27 ; constatations du 25 janvier 2018, K.Y.M. c. Danemark, communication n° 3/2016, U.N. doc. CRC/C/77/D/3/2016, § 11.8 et constatations du 4 février 2021, Y.A.M. c. Danemark, communication n° 83/2019, U.N. doc. CRC/C/86/D/83/2019, § 8.7 ; voir, au sujet de ces dernières constatations, V. Dhaisne, « Chronique », Droits fondamentaux, 2022, n° 20, pp. 91-94). Il souligne encore la nécessité de procéder à une évaluation du risque qui tienne compte de l’âge et du sexe de l’enfant, en particulier, des « diverses formes de discrimination, de persécution et de violation des droits fondamentaux » des filles (§ 7.3) (voir Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, « Les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie », Recommandation générale n° 32, 2014, U.N. doc. CEDAW/C/GC/32, § 25). En l’espèce, le Comité rappelle les diverses préoccupations concernant la discrimination généralisée à l’égard des filles et des femmes en Inde, les abus, y compris sexuelles, à l’encontre d’enfants (§ 7.5) (Comité des droits de l’enfant, « Observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de l’Inde, soumis en un seul document », 1901ème séance, 2014, U.N. doc. CRC/C/IND/CO/3-4, §§ 33 et 49) et l’absence d’application de la loi sur la protection des femmes contre la violence familiale du fait des attitudes patriarcales profondément enracinées dans les institutions (§ 7.5) (Conseil des droits de l’homme, Rapport de visite en Inde de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, 2014, U.N. doc. A/HRC/26/38/Add.1, §§ 59 et 63). À la lumière de tous ces éléments, le Comité conclut que le Danemark n’a pas dûment pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’évaluation de la demande d’asile et n’a pas non plus protégé la fille de l’auteure contre un risque actuel et réel de préjudice irréparable si elle était renvoyée en Inde, en violation des articles 3, 6, 22 et 37(a) de la Convention.

Si ces constatations ne font pas l’unanimité au sein du Comité, elles ont le mérite de rappeler que la violence sexiste est « fondée sur les rôles différents que la société attribue aux hommes et aux femmes » (voir C. Buisson et J. Wetzels, Les Violences sexistes et sexuelles, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2022, pp. 3-6). Elles mettent également en exergue l’importance d’intégrer la dimension de genre dans les procédures de demande d’asile, s’inscrivant ainsi dans la logique protectrice du Parlement européen (Résolution (UE) n° 2015/2325 (INI) du Parlement européen du 8 mars 2016 sur la situation des réfugiées et demandeuses d’asile dans l’Union européenne) et du Conseil de l’Europe (Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Recommandation aux États membres sur la protection des droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, adoptée le 20 mai 2022 lors de la 132ème réunion des Délégués des Ministres, doc. CM/Rec (2022)17).