N. 21 - 2023

Note sous Comité des droits de l’enfant, J.M. c. Chili, 1er juin 2022, communication n° 121/2020, U.N. doc. CRC/C/90/D/121/2020

Télécharger l'article au format PDF

À l’occasion de l’affaire J.M. c. Chili, le Comité des droits de l’enfant (ci-après, « le Comité ») se prononçait pour la première fois sur l’articulation entre la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (ci-après, « la Convention de New-York ») et la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après, « la Convention de La Haye »), concernant les procédures d’urgence régissant ces situations.

En mai 2016, un homme d’affaires espagnol a signé un acte autorisant son épouse chilienne et leur fils à résider dans le pays de leur choix en raison de ses fréquents déplacements professionnels à l’étranger (§ 2.1). L’enfant ayant présenté des troubles du spectre autistique, diagnostiqués en avril 2017 en Espagne, la mère est retournée avec lui au Chili, le père devant les y rejoindre ultérieurement. Sur place, des arrangements ont été pris afin que l’enfant bénéficie d’une aide adaptée pour les deux années suivantes (§ 2.2). En juillet 2018, le père a saisi le juge aux affaires familiales de Viña del Mar à l’encontre de son épouse, pour enlèvement et rétention illicite de leur fils au Chili (§ 2.3). En janvier 2019, il a été débouté et en mars 2019, la cour d’appel de Valparaíso a confirmé cette décision (§ 2.4). En septembre 2019, la Cour suprême de Santiago a infirmé les décisions des deux premières instances et ordonné le retour immédiat de l’enfant en Espagne, considéré comme son lieu de résidence habituelle (§ 2.6). En juillet 2020, la mère a saisi le Comité au nom de son fils âgé de 4 ans. Elle invoquait notamment une violation de l’article 3 (intérêt supérieur de l’enfant) lu seul et conjointement avec les articles 9 (droit de l’enfant de ne pas être séparé de ses parents) et 23 (droit de l’enfant en situation de handicap de bénéficier de soins spéciaux) de la Convention de New-York en raison de l’impact qu’une potentielle séparation d’avec son fils provoquerait.

Au titre des mesures provisoires, le Groupe de travail sur les communications a demandé à l’État partie de suspendre la décision litigieuse, le 20 juillet 2020. Le 5 novembre 2020, le Comité a accepté le retrait de ces mesures à condition que le transfert de l’enfant soit mis en œuvre de manière à éviter qu’un dommage irréparable lui soit causé, que la continuité de son traitement soit assurée et que sa mère puisse l’accompagner. En raison d’imprécisions entourant les conditions du retour, la mère a refusé de se conformer à la décision (§ 1.2).

Dans le cadre de l’examen de la recevabilité, l’État partie estime que la communication est un abus de droit au regard de l’article 7(c) du Protocole facultatif à la Convention établissant une procédure de communication (adopté le 19 décembre 2011, entré en vigueur le 14 avril 2014 et le 1er décembre 2015 pour le Chili, U.N. doc. A/RES/66/138), car le Comité n’est pas une instance compétente pour corriger le raisonnement juridique d’une décision prise par une juridiction nationale (§§ 4.2-4.3). Le Comité rappelle toutefois que cette règle vaut sauf « lorsqu’il apparaît qu[e la décision] a été manifestement arbitraire ou constitué un déni de justice » (§ 7.4) (voir inter alia, Comité des droits de l’enfant, constatations du 28 septembre 2020, A.R.G. c. Espagne, communication n° 92/2019, U.N. doc. CRC/C/85/D/92/2019, § 4.2). Il précise que « [s’]il ne lui appartient pas de décréter [que] la Convention de La Haye a été correctement interprétée ou appliquée par les juridictions idoines », il s’assure que cette démarche a été conforme « aux obligations leur incombant en vertu de la Convention [de New-York] » (§7.4). Le Comité admet donc sa compétence dans la mesure où son intervention, relative à la décision prise sur la base de la Convention de La Haye, se borne à déterminer l’étendue des obligations de la Cour suprême en vertu de la Convention de New-York.

Au stade de l’examen au fond, l’État partie affirme que la mise en œuvre de la Convention de La Haye implique l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de la Convention de New-York, et que partant, la décision litigieuse satisfait cette exigence (§ 5.4). Le Comité précise néanmoins que l’interprétation de la Convention de New-York dépend de son contexte d’application. S’appuyant sur les dispositions de la Convention de Vienne, il souligne que ce contexte inclut « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties » (Recueil des Traités précité, p. 331, art. 31(3)(c)), et spécifiquement « les règles relatives à la protection internationale des droits de l’homme » (§ 8.3). S’agissant des enlèvements internationaux d’enfants, ces règles comprennent « les obligations des États parties résultant de la Convention de La Haye dans la mesure où […] l’article 11 de la Convention [de New-York] les exhorte à prendre des mesures afin de prévenir [ces situations] et les invite à conclure et/ou adhérer à des accords [en ce sens] » (§ 8.3). Il n’empêche que si « la Convention de La Haye établit une forte présomption de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant [déplacé ou retenu illicitement] commande son retour immédiat dans [son État de résidence habituelle] », celle-ci peut être « renversée à la lumière des exceptions prévues à [ses] articles 12, 13 et 20 » (§ 8.4). Une décision qui ordonnerait le retour immédiat d’un enfant sans avoir « évalu[é] les facteurs pouvant constituer un frein [à son exécution] » ne serait « pas forcément assortie des garanties procédurales découlant de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’entendu par la Convention de New-York » (§§ 8.4 et 8.5) (voir Comité des droits de l’enfant, Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, Observation générale n° 14, 2013, U.N doc. CRC/C/GC/14, §§ 14(b) et 97 et constatations du 4 février 2021, A.B. c. Finlande, communication n° 51/2018, U.N. doc. CRC/C/86/D/51/2018, § 12.4). Enfin, l’évaluation doit considérer « le degré auquel le retour de l’enfant serait de nature à l’exposer à un danger physique ou psychologique » (§ 8.6). Relevant que la décision de la Cour Suprême de Santiago ne fait pas mention des conséquences d’un retour de l’enfant en Espagne ou d’une séparation d’avec sa mère – à l’encontre de laquelle avait été émis un mandat d’arrêt en Espagne – le Comité conclut à une violation de l’article 3 lu seul et conjointement avec les articles 9 et 23 de la Convention de New-York (§ 8.8).

En définitive, les constatations adoptées en l’espèce sont utiles pour concevoir une application combinée et harmonieuse de la Convention de New-York avec la Convention de La Haye. Le Comité s’inscrit ici dans la même logique que la Commission interaméricaine des droits de l’homme (voir Comm. IADH, X et Z c. Argentine, rapport n° 71/00 du 3 octobre 2000, affaire n° 11.676, § 43) et la Cour européenne des droits de l’homme (voir CEDH, G.C., arrêt du 21 janvier 1999, García Ruiz c. Espagne, req. n° 30544/96, § 28 et arrêt du 26 novembre 2013, X c. Lettonie, req. n° 27853/09, § 62). De plus, la nécessité d’une évaluation des risques revêt tout son sens s’agissant d’enfants autistes. Présentant des « troubles de la socialisation et de la communication verbale et non verbale » (Organisation mondiale de la santé, Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, dixième révision adoptée en mai 1990 lors de la 43ème Assemblée mondiale de la santé, sous-catégories F84.0 et F84.1), leurs droits font souvent l’objet de nombreuses violations (Assemblée générale des Nations Unies, U.N. doc. A/RES/62/139, adoptée le 18 décembre 2007).