N. 21 - 2023

Note sous Comité des droits de l’enfant, A.M.K. et S.K. c. Belgique, 4 février 2022, communication n° 73/2019, U.N. doc. CRC/C/89/D/73/2019

Télécharger l'article au format PDF

L’affaire A.M.K. et S.K. c. Belgique survenait alors qu’en vertu d’une modification apportée à la loi belge sur les étrangers, des familles avec enfants étaient détenues dans des centres fermés. Le surlendemain de la présentation de la communication, le Comité des droits de l’enfant (ci-après, le « Comité ») adoptait ses observations finales concernant le rapport de la Belgique sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après, la « Convention »). Les recommandations alors prononcées étaient réitérées à l’occasion des présentes constatations : l’État partie ne doit plus détenir des enfants dans des centres fermés et doit désormais recourir à des solutions non privatives de liberté (Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant le rapport de la Belgique valant cinquième et sixième rapports périodiques, 1er février 2019, U.N. doc. CRC/C/BEL/CO/5-6, § 44 a).

En l’occurrence, un couple d’arméniens a été enjoint de quitter la Belgique en 2012, après avoir fait une demande d’asile infructueuse à son arrivée en 2009 (§ 2.1). Les demandes de titres et de régularisation, formulées avant et après les naissances de leurs filles en 2011 et 2016, ont été inopérantes (§§ 2.2-2.4). Le 8 janvier 2019, la famille a finalement été appréhendée et emmenée vers une « maison familiale » dans un centre fermé pour étrangers (§ 2.5). Dès lors, elle n’a cessé de contester son expulsion imminente et demander sa libération en urgence (§§ 2.6-2.9). Le 25 janvier 2019, un pédopsychiatre a signalé l’effet négatif de la détention sur le développement psychologique de la fille aînée (§ 2.10). Le 30 janvier 2019, les parents ont saisi le Comité au nom de leurs enfants. Ils invoquaient une violation de l’article 37, lu seul et conjointement avec les articles 3 (intérêt supérieur de l’enfant), 24 (droit à la santé), 28 et 29 (droit à l’éducation) et 31 (droit au repos et aux loisirs), en raison de leur détention pour motif migratoire (§ 3.7). Ils invoquaient, également, une violation de l’article 27 de la Convention, arguant que l’expulsion des enfants vers l’Arménie constituerait une violation de leur droit à un niveau de vie suffisant, puisque n’y ayant plus aucune attache, la famille vivrait dans la pauvreté (§ 3.8).

Au titre des mesures provisoires, le Groupe de travail sur les communications a demandé la libération de la famille et refusé la demande de l’État partie tendant à suspendre l’ordre d’expulsion (§ 1.2). Le 5 février 2019, la famille a été transférée dans une « maison de retour ouverte », solution de substitution à l’enfermement. Postérieurement à la saisine du Comité, les enfants ont soumis leurs propres demandes de régularisation, l’aînée recevant un titre de séjour en septembre 2020 tandis que la benjamine a été autorisée à rester sur le territoire pendant l’instruction de sa demande. Finalement, l’ordre d’expulsion émis contre la famille a été révoqué en janvier 2021.

Dans le cadre de l’examen de la recevabilité, l’État partie estime la communication irrecevable au regard de l’article 7(e) du Protocole facultatif à la Convention établissant une procédure de communication (adopté le 19 décembre 2011, entré en vigueur le 14 avril 2014, et le 30 août 2014 pour la Belgique, U.N. doc. A/RES/66/138), en raison du non-épuisement des voies de recours internes (§ 4.10). Le Comité rappelle cependant que la règle en la matière n’impose pas l’« obligation d’épuiser tous les recours internes existants », son objet étant de « permettre aux autorités nationales de se prononcer sur les griefs » (§ 9.3). Dans le contexte d’une expulsion imminente, le Comité précise qu’« un recours qui ne suspend pas l’exécution de l’ordre d’expulsion ne saurait être considéré comme utile » (voir inter alia Comité des droits de l’enfant, constatations du 3 février 2022, E. H. et consorts c. Belgique, communication n° 55/2018, U.N. doc. CRC/C/89/D/55/2018, § 12.2 ; voir à ce propos, dans la présente chronique, la note d’E. Boudet, pp. 59-61). En l’espèce, le Comité observe que les autorités de l’État partie ont eu l’occasion de se prononcer tant sur la détention que sur l’expulsion. Conséquemment, la recevabilité de la communication est admise. Est toutefois écarté le grief relatif à la violation du droit des enfants à un niveau de vie suffisant permettant un développement physique, mental et social (article 27). La famille ne faisant plus l’objet d’un renvoi vers l’Arménie, ce grief devient sans objet (§ 9.4).

Au stade de l’examen au fond, l’État partie fait valoir que l’article 37 de la Convention n’interdit pas absolument la détention de mineurs qui peut avoir lieu si elle n’est pas arbitraire, décidée en dernier ressort, pour une durée la plus brève possible et si le centre est adapté aux besoins des enfants (§ 4.11). Le Comité rappelle toutefois que « la détention de[s] enfant[s] au motif du statut migratoire de [leurs] parents constitue une violation des droits de[s] enfant[s] et est contraire [à leur] intérêt supérieur », eu égard notamment aux « effets néfastes que la détention peut avoir sur l[eur] santé physique et mentale et sur leur développement », et que « la possibilité de placer des enfants en détention en tant que mesure de dernier ressort ne devrait pas être applicable dans les procédures relatives à l’immigration » (§ 10.9) (Comité des droits de l’enfant et Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, « Principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationale », Observation générale conjointe n° 3 et n° 22, 16 novembre 2017, U.N. doc. CMW/C/GC/3−CRC/C/GC/22, § 5, § 9 et § 10). En définitive, le Comité conclut « qu’en omettant d’envisager de possibles solutions de substitution à la détention des enfants, l’État partie n’a pas dûment pris en compte, leur intérêt supérieur, ni au moment de leur détention ni au moment de la prolongation de leur détention » (§ 10.13), en violation de l’article 37, lu seul et conjointement avec l’article 3 de la Convention.

Ces constatations vont au-delà du raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme, qui conditionne la légalité de la détention migratoire d’enfants à leur âge, au caractère adapté des locaux au regard de leurs besoins spécifiques et à la durée de la détention (voir inter alia CEDH, arrêt du 22 juillet 2021, M.D. et A.D. c. France, req. n° 57035/18, § 86). Ainsi, à la veille de l’examen de son sixième rapport périodique par le Comité, la France a été condamnée pour la 12ème fois depuis 2012, en raison de la rétention administrative de nourrissons avec leurs mères (CEDH, arrêts du 4 mai 2023, A.M. et autres c. France, req n° 7534/20, § 8 et A.C. et M.C. c. France, req. n° 4289/21, § 51). Or, en 2017 le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme préconisait l’adoption du principe tendant à ne jamais priver des enfants de liberté en raison de leur statut migratoire ou celui de leurs parents (Conseil des droits de l’homme, « Principes et directives pratiques sur la protection des droits de l’homme des migrants en situation de vulnérabilité », 34ème session, 26 janvier 2017, U.N. doc. A/HRC/34/31, principe n° 8, p. 10). De la même manière, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture concluait, en 2018, que la privation de liberté des enfants fondée sur le statut migratoire de leurs parents « n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ne répond pas à une nécessité et peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant des enfants migrants » (Conseil des droits de l’homme, « Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », 28ème session, 5 mars 2015, U.N. doc. A/HRC/28/68, § 80). Il partageait ainsi l’avis déjà formulé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en 2014 (CIADH, avis consultatif OC-21/14 du 19 août 2014, Rights and guarantees of children in the context of migration and/or in need of international protection, Série A, n° 21, § 154).