« Combien tu me faisais rire, grande était ta douceur.
Je me souviens, ce jour, tes premiers cris.
Je me souviens, ce jour, mon corps meurtri.
Je me souviens, ce jour, ta tendresse devint violence. »
Corinne Molina
Au milieu des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, les membres de l’Organisation des États américains (ci-après, « OEA »), irrésistiblement poussés à affirmer haut et fort les valeurs fondatrices d’un nouvel ordre régional américain[1], proclament, entre autres choses, leur « foi » dans les droits des femmes et des filles et dans l’abolition de toutes les formes de violence et de discrimination à leur égard sur le continent américain. Cette attitude de protection des femmes et des filles et de leur inhérente dignité, qui a conduit le 9 juin 1994 à l’entrée en vigueur de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme, mieux connue sous le nom de Convention de Belém do Pará[2], n’est pas allée de soi[3]. On le doit, en particulier, à l’insistance de nombreuses représentantes gouvernementales présentes lors de la Commission internationale des femmes (Comisión interamericana de mujeres, ci-après « CIM ») : elles ont permis à l’OEA (dont la CIM est une institution auxiliaire à caractère consultatif[4]) d’opérer à l’avant-garde dans la protection internationale des femmes et des filles, et de leurs droits et libertés fondamentaux[5].
Toutefois, parallèlement à ces proclamations et à l’approbation et l’entrée en vigueur de la Convention de Belém, premier accord intergouvernemental[6] à porter exclusivement sur la violence à l’égard des femmes et des filles, l’OEA s’intéresse très rapidement à l’effectivité de sa mise en œuvre et donc à l’élaboration des formes de suivi et de contrôle des obligations qui en découlent. Dès sa création le 26 octobre 2004, le Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention de Belém do Pará (ci-après, « MESECVI ») est doté de deux organes principaux : la Conférence des États parties, qui est l’organe politique, et le Comité d’experts (ci-après, « CEVI » ou « Comité »), qui est l’organe technique et exécutif qui prépare les travaux de la Conférence[7] et est composé d’individus indépendants et opérant comme spécialistes dans le domaine de la Convention de Belém[8].
Le MESECVI va dès lors jouer un rôle primordial dans la lutte contre toutes formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles au niveau du continent américain, en jonglant, en fonction des nécessités, entre une protection généraliste, catégorielle ou thématique. Dans le cadre du développement international des droits des femmes et des filles sous sa dimension généraliste, le MESECVI veille, à travers son Comité d’experts, à ce que les droits soient reconnus sans discrimination entre les sexes. Pour ce faire, le Comité utilise des questionnaires qu’il envoie périodiquement aux États parties pour obtenir des informations ponctuelles sur la mise en œuvre de la Convention. Les résultats des questionnaires sont analysés par des sous-groupes créés dans ce but par le Comité. Ces résultats sont ensuite consolidés, ainsi que les recommandations respectives du Comité aux États parties, dans un rapport continental[9]. Le Comité peut également recourir à des inspections pour vérifier directement le suivi et la mise en œuvre de la Convention et de ses recommandations générales sur les rapports finaux des États parties. En ce sens, on peut donc soutenir que le Comité ne s’est jamais contenté de la proclamation pure et simple d’un universalisme abstrait et a toujours considéré que les discriminations et les violences subies par les femmes et les filles sur le continent américain requéraient une attention particulière pour que puisse se vérifier, à terme, la jouissance effective des droits et libertés fondamentaux sans aucune distinction.
La protection catégorielle et thématique qu’il promeut se concentre d’abord sur des thèmes d’importance cruciale pour l’application de la Convention de Belém. Il encourage alors l’adoption de textes internationaux qui visent à lutter contre la vulnérabilité spécifique des femmes et des filles face à certaines situations, comme la migration, le harcèlement sexuel, la coercition ou la violence sexuelle[10].
Les travaux du Comité d’experts, et en particulier ses déclarations, permettent d’évaluer plus finement le caractère systémique de la violence faite aux femmes dans les Amériques[11] et la nécessité d’une étude approfondie des succès et des échecs dans les implémentations de la Convention de Belém au niveau national. En août 2007, c’est-à-dire trois années après la création du MESECVI, le Comité d’experts a adopté une déclaration historique sur la violence faite aux femmes, aux filles et aux adolescents. Dans cette déclaration, le Comité fait la lumière sur la circonstance que de nombreux États membres de l’OEA et parties de la Convention de Belém, tels que l’Uruguay, le Paraguay et la Colombie, ne reconnaissent pas les droits sexuels et reproductifs dans leurs ordres juridiques internes. Et ceci malgré le fait que ces droits fondamentaux font partie intégrante du catalogue des droits et des libertés qui sont protégés et défendus, soit directement, soit indirectement, par la Convention de Belém do Pará.
Un an plus tard, dans la Déclaration sur le féminicide, le Comité, après avoir reconnu le caractère dramatique des féminicides en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, aboutit à la conclusion que « le féminicide est dans le système de la Convention de Belém la manifestation la plus grave de discrimination et de violence contre les femmes »[12].
Dans sa Déclaration sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes pour le bien de l’humanité, adoptée en 2017, le Comité a même constaté « la prolifération et l’impact des discours et des campagnes organisés par secteurs conservateurs qui justifient la discrimination, les pratiques néfastes, la division sexuelle du travail ou l’exclusion des femmes du pouvoir public et politique »[13].
De plus, dans la Déclaration sur le harcèlement politique et la violence contre femmes, adoptée en 2015, le Comité clarifie le fait selon lequel la création des barrières sociales qui empêchent les femmes de participer à la vie politique et aux institutions gouvernementales de façon égale aux hommes constitue une forme de discrimination grave à l’égard des femmes, basée sur le genre, et une expression de la défaite de la démocratie selon la Convention de Belém[14].
Enfin, dans son Guide d’application de la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (ci-après, le « Guide ») le Comité affirme, entre autres choses, la complémentarité entre la Convention de Belém do Pará et les autres instruments internationaux des droits de l’homme[15], y compris la Convention américaine relative aux droits de l’homme (ci-après, « CADH »)[16].
Il faut observer que, si les travaux en général et les déclarations du Comité d’experts en particulier ont sans doute facilité une application uniforme de la Convention de Belém sur le continent américain et une prise de conscience diffuse de la société sur les violences et les discriminations faites aux femmes et aux filles dans les Amériques[17], rien ne masque les différences d’appréciation importantes qui subsistent dans la mise en œuvre de la Convention dans les différents États parties à la Convention de Belém. Dans ce contexte, l’acceptation quasi-universelle de cette Convention, l’apparent consensus international relatif à l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles semble quasiment relever du miracle[18]. Toutefois, vu les différents niveaux d’application de la Convention de Belém dans l’ensemble de ses États parties, ce « quasi-miracle » n’a pu être accompli qu’au prix de compromis[19] peu acceptables pour ceux qui prétendent lutter contre toutes formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles[20].
I. Le succès absolu de la Convention de Belém dans la théorie
Pour un texte juridique international très innovant dans ses préceptes et ses garanties, la Convention de Belém do Pará a été ratifiée relativement rapidement et très largement[21].
Pour cette raison, et conformément aux aspirations de ses rédacteurs, elle entre en vigueur moins de deux ans après son adoption formelle. Exactement vingt-huit ans après son entrée en vigueur, trente-deux États en font partie, ce qui en fait l’une des conventions les plus largement ratifiées de tous les instruments relatifs à la protection des droits de l’homme de l’OEA[22].
Cette adhésion très large et spontanée à une Convention qui vise à éradiquer la violence sous toutes ses formes contre les femmes et les filles dans le continent américain, et à protéger l’égalité et la non-discrimination à leur égard dans tous les domaines, peut apparaître d’autant plus étonnante que le texte n’a renoncé ni à envisager une protection catégorielle et généraliste actuelle, ni à mettre en place un mécanisme de suivi indépendant de la mise en œuvre des obligations découlant de la Convention.
A. Une protection face à toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes et des filles
La Convention de Belém n’envisage pas la lutte contre la violence et les discriminations fondées sur le sexe, mais celles subies spécifiquement par les femmes et les filles. Son objectif final reste néanmoins que les femmes et les hommes puissent jouir des droits et libertés fondamentaux sur une base d’égalité effective. Pour y parvenir, la Convention dépasse les exigences classiques d’une égalité purement formelle pour se focaliser sur les femmes et les filles en situation et sur la réalité de la lutte contre toutes formes de violence et de discrimination.
1. La lutte contre la violence et les discriminations envers les femmes et les filles
L’une des questions les plus considérées dans la pratique du MESECVI, et aussi dans la littérature juridique internationale, concerne l’interprétation de la notion de violence dans le système de la Convention de Belém. À ce propos, il a été débattu si la notion de violence dans l’article 1er de cette Convention fait référence exclusivement à la violence à l’égard des femmes, ou plutôt à l’ensemble des violences fondées sur le sexe, telle qu’une interprétation littérale de cette disposition semblerait le suggérer[23]. Les partisans d’une convention catégorielle mettaient en avant que les femmes et les filles sont touchées par les actes de violence de façon très différente des hommes. Ils évoquaient également l’intégration d’une perspective de genre suivant l’application de la Convention Belém do Pará dans la jurisprudence du système interaméricain des droits de l’homme[24]. La plupart des auteurs qui s’occupent de la protection des femmes et des filles dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme, au contraire, ont généralement exprimé leur préférence en faveur d’une interprétation plus neutre de cette notion, insistant sur le fait que toute forme de violence et de discrimination fondée sur le sexe doit être éliminée[25]. Bien que souvent non explicitée, il s’agit d’éviter autant que possible le renforcement de l’image d’une femme « naturellement » mère et toujours faible.
D’autres dispositions vont s’ajouter aux difficultés rencontrées spécifiquement par les femmes et les filles comme le viol, la traite, la prostitution forcée [26]et la précarité scolaire[27].
La Convention saisit alors la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles en s’intéressant aux femmes et aux filles dans leur réalité, par-delà la recherche d’une égalité strictement formelle. À cet égard, elle autorise d’une manière générale des mesures spécifiques et des programmes qui doivent permettre de redresser les violences subies en vue de la réalisation d’une égalité réelle. Les programmes ayant pour but, entre autres, la modification des « habitudes de composition sociale et culturelle des hommes et des femmes, y compris des programmes d’éducation de type classique et extrascolaires à tous les niveaux du processus d’enseignement, pour neutraliser les préjudices, coutumes et toutes autres pratiques basées sur le concept d’infériorité ou de supériorité d’un sexe par rapport à l’autre ou sur des rôles stéréotypés de l’homme et de la femme qui légitiment ou exacerbent la violence contre la femme »[28], et ceux qui poursuivent « la mise en place des services spécialisés requis pour prêter à la femme ayant été l’objet d’actes de violence l’assistance nécessaire »[29] offrent de bons exemples à ce propos. L’égalité en droit entre les hommes et les femmes reste toutefois la vraie priorité de la Convention de Belém[30]. Elle se manifeste par une égale jouissance de tous les droits fondamentaux.
2. La jouissance sans violence des droits et libertés fondamentaux dans les domaines public et privé
C’est dans le domaine public, mais aussi privé, que les États parties doivent prendre « tous les moyens appropriés et sans délais injustifiés »[31] en vue de garantir la « jouissance par les femmes et les filles de tous les droits et libertés consacrés dans les instruments régionaux et internationaux traitant des droits de l’homme »[32]. L’application de cette clause générale est déclinée droit par droit au sein du chapitre 2 de la Convention. La Convention protège une vaste étendue de droits et libertés fondamentaux : le droit à l’intégrité physique, psychique et morale, le droit à la liberté et à la sécurité personnelles, le droit à ne pas être soumis à la torture, le droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine, le droit à un recours simple et rapide devant les tribunaux compétents en vue de se protéger contre les actes qui violent ses droits, le droit à la liberté d’association, le droit de professer, de pratiquer et même de propager librement sa religion, le droit d’être libre de toutes formes de discrimination. Mêlant les différents droits et libertés fondamentaux sans les catégoriser explicitement, la Convention sort de la perception générale selon laquelle ces droits et libertés imposent aux États parties d’adopter une politique visant spécifiquement à prévenir, sanctionner et à éliminer toutes formes de violence envers les femmes et les filles. Les articles 7 et 8 prévoient donc systématiquement que les États doivent introduire des mesures appropriées et notamment des programmes opérationnels pour arriver à ces fins.
À cet égard, la Convention témoigne également d’une appréhension réaliste des droits et libertés fondamentaux en ne limitant pas la lutte contre les violences aux relations verticales entre l’État et l’individu, mais en y intégrant les relations horizontales interindividuelles. Elle protège ainsi les femmes et les filles contre les habitudes de comportement social et culturel des hommes et contre leur propre famille.
Mais plus encore, la Convention demande aux États parties d’agir jusque dans les consciences individuelles, afin de « sensibiliser la population aux problèmes liés à la violence exercée contre la femme »[33], comme indiqué précédemment. C’est donc bien au patriarcat lui-même, à la discrimination structurelle fondée tant sur le genre que sur le sexe que la Convention de Belém s’attaque[34], sortant ainsi d’une vision classique des droits et libertés fondamentaux demandant un respect absolu de la vie privée des individus.
De la même manière, par rapport aux traités catégoriels existants, la Convention de Belém a fait un saut de qualité. En effet, non seulement son champ d’application est moins détaillé, mais son objet entre également ouvertement en conflit avec le système patriarcal selon son principe structurellement violent et inégalitaire[35]. Par ailleurs, elle établit un mécanisme de contrôle et de suivi indépendant consolidant ainsi le contrôle international sur la réalisation des droits des femmes et des filles.
B. Un mécanisme de suivi indépendant garantissant le respect de ses dispositions par les États parties
Les États parties ont progressivement accepté que le respect de la Convention de Belém soit contrôlé par un mécanisme indépendant composé d’experts. Ce mécanisme profite clairement de l’expérience acquise par des mécanismes similaires, en l’adaptant aux spécificités de la lutte contre la violence envers les femmes et les filles.
Créé cinq ans après l’entrée en vigueur de la Convention de Belém, le MESECVI s’ajoute au contrôle par la CIM, qui a été chargée de présenter tous les deux ans un rapport à l’Assemblée générale de l’OEA sur les avancements des États parties dans l’application de la Convention.
Le MESECVI est régi par des statuts approuvés par la première Conférence des États parties en 2004[36]. Quatorze articles viennent ainsi régir son organisation et son fonctionnement. Une première partie, c’est-à-dire les articles 1 à 4, concerne les dispositions générales. Y sont édictées les règles concernant la structure, les principes réglementaires, la composition et la nature juridique du Mécanisme. La seconde partie, comprenant les articles 5 à 10, des statuts aborde respectivement les fonctions de la Conférence des États parties, du Comité et du Secrétariat, et celles concernant les rapports du MESECVI avec les États parties et la société civile. Enfin, la troisième partie, allant des articles 11 à 14, est réservée à l’examen périodique du Mécanisme et aux rapports devant être envoyés par le MESECVI à l’Assemblée générale de l’OEA.
II. Le succès relatif de la Convention de Belém dans la pratique
Pour favoriser un texte ambitieux et innovant de droit international tout en visant une ratification quasi-universelle, la Convention de Belém a admis la possibilité pour les États parties de procéder à la formulation de réserves et déclarations sur toutes ses dispositions. Elle les a néanmoins circonscrites pour écarter le risque de voir ses engagements réduits à peu ou à néant. Selon l’article 18 de la Convention, « tout État partie peut formuler des réserves à la présente Convention au moment de son adoption, de sa signature, de sa ratification ou de son adhésion, du moment que ces réserves ne sont pas incompatibles avec l’objet ou le but de la présente Convention ». L’article 23 de la Convention prévoit enfin que le Secrétaire général de l’Organisation des États américains donne un avis sur les déclarations et réserves présentées par les États parties dans son rapport annuel[37].
Curieusement, aucun État partie – sauf les Bahamas – n’a formulé de réserve ou fait de déclaration au sujet de l’article 18 de la Convention de Belém[38]. La situation est toutefois totalement différente lorsqu’il s’agit de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ci-après, « Convention d’Istanbul »)[39], à laquelle pas moins de vingt-deux États ont émis des réserves et cinq ont adopté des déclarations[40]. Bien qu’il ne soit pas facile de trouver la raison précise de cette différence d’attitude, plusieurs explications peuvent être formulées. La première d’entre elles serait les considérations sociales, liées à la plus grande cohésion socio-économique des États membres de l’OEA par rapport aux États membres du Conseil de l’Europe.
Toutefois, ce sujet n’est pas au centre de notre réflexion. Ce qui nous intéresse ici est plutôt relatif aux conséquences sur la mise en œuvre et l’application de la Convention de Belém qui surviennent de cette absence de déclaration et réserve par les États parties. À ce propos, on peut se demander si cette absence a effectivement encouragé l’application de la Convention. La réponse semble devoir être positive, pour des raisons qui sont très intuitives et donc faciles à deviner. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’obstacle qui entrave la mise en œuvre des obligations découlant de la Convention. Tandis que certains de ces obstacles sont généraux, d’autres sont particuliers, et donc attribuables à des États précis. Le focus serait sur les obstacles généraux.
A. La « faible » justiciabilité de la Convention de Belém
Le premier et plus important obstacle à l’application – et donc au succès – de la Convention de Belém se trouve dans son article 7, qui consacre le droit pour les femmes et les filles à vivre sans violence, parce que, de l’avis de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (ci-après, la « CIADH »)[41], cet article serait le seul article justiciable dans le système de la Convention de Belém. Cette interprétation, qui est seulement en partie atténuée par la jurisprudence récente de la Cour interaméricaine[42] en matière de violence à l’égard des femmes et des filles, trouve un appui dans le texte même de la Convention qui prévoit que seules les obligations incluses dans l’article 7 exigeant une « mise en œuvre immédiate » peuvent être justiciables.
Une telle limite, bien que compréhensible, peut toutefois décourager le recours à la Convention de Belém comme unique base légale dans la lutte contre les violences envers les femmes et les filles dans les Amériques, donc la mise en œuvre de la même Convention au niveau national, ceci en particulier dans la mesure où cette limite laisse de graves incertitudes sur l’organe compétent pour connaître des communications individuelles[43].
B. Le constat d’une notion de violence contre la femme encore trop souvent assimilée à la notion plus étroite de violence domestique
Un deuxième obstacle à la mise en œuvre et au succès de la Convention de Belém concerne le fait que, dans leurs ordres juridiques internes, certains États parties réduisent la violence à l’égard des femmes et des filles commise au sein de la famille à la violence domestique ou à la violence intrafamiliale, suivant ce qui avait été rencontré par le Comité MESECVI dans la pratique[44].
Il n’est pas très difficile d’identifier les raisons pour lesquelles ceci doit aussi être considéré comme un obstacle dans le sens précédent. En premier lieu, cette assimilation des deux notions de violence est à l’origine d’une confusion entachant plusieurs lois nationales parce qu’elles renvoient toutes deux à la violence pratiquée, au sein de la famille, contre tout membre, homme ou femme[45].
En deuxième lieu, cette approche interprétative de la notion de violence contre la femme a pour effet d’exclure de la violence exercée par les ex-conjoints ou les personnes qui, sans être juridiquement liées à une femme ou une fille, ont une relation interpersonnelle avec elle. En plus d’être un obstacle à la mise en œuvre de la Convention, une telle assimilation constitue aussi une entrave à l’utilisation du concept large de famille, introduit par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes, qui englobe les relations intimes et interpersonnelles entre partenaires, y compris les partenaires non-cohabitants, les anciens partenaires et les travailleurs domestique[46].
[1] Nous faisons référence ici à l’Unité pour la promotion de la démocratie, qui a été créée au sein du Secrétariat général de l’OEA, afin de superviser les nouvelles responsabilités de l’organisation planétaire.
[2] Sur la Convention de Belém do Pará, voir M. A. Cárdenas Cérón, Estrategias de litigio de la convención de Belém do Pará ante la Corte Interamericana de Derechos Humanos, Bogotá, Instituto de Estudios Constitucionales Carlos Restrepo Piedrahita, 2009 ; E. Friedman, « Re(gion)alizing Women’s Human Rights in Latin America », Politics & Gender, vol. 5, n° 3, 2009, pp. 349-375 ; A. C. Ruy Cardia, « A violência contra a mulher e o Sistema Interamericano de Direitos Humanos : avanços na jurisprudência interamericana após 21 anos da edição da Convenção de Belém do Pará », in A. C. Vastag Ribeiro de Oliveira, C. Iwancow Ferreira, R. B. Alarcon (dir.), Atualidades do Direito Internacional : Estudos em homenagem ao Professor Doutor Antônio Márcio da Cunha Guimarães, Belo Horizonte, Arraes Editores, 2016, pp. 29 à 40.
[3] La Convention est entrée en vigueur le 5 mars 1995 et a été ratifiée, jusqu’à présent, par trente-deux États.
[4] Selon l’article 2 de ses statuts constitutifs, la mission de la CIM est de soutenir les États membres de l’Organisation dans leurs efforts pour se conformer à leurs engagements internationaux et interaméricains respectifs en matière de droits humains des femmes, de l’équité et de l’égalité des sexes, et plus en général, elle contribue à la participation pleine et égale des femmes dans les sphères civile, politique, économique, sociale et culturelle.
[5] Créée en 1928, la CIM a été la première agence intergouvernementale mise en place pour assurer la reconnaissance des droits humains des femmes. La CIM est composée de trente-quatre délégués, un pour chaque État membre de l’OEA, et, très rapidement, elle est devenue le principal forum de débat et de confrontation visant la formulation de politiques sur les droits des femmes et l’égalité des sexes dans les Amériques. Les délégués sont désignés par leurs gouvernements et se réunissent tous les trois ans lors de l’Assemblée des délégués, qui représente la plus haute autorité de la CIM en vertu de son rôle central dans la prévision des politiques et du programme de travail de la Commission.
[6] En tant que telle, elle établit des obligations proactives pour les États afin de prévenir, de sanctionner et d’éradiquer la violence à l’égard des femmes et des filles et a servi d’inspiration et de référence pour la modernisation du cadre législatif dans la région.
[7] Selon l’article 3 du Règlement intérieur, « le Comité est chargé de l’analyse technique de la mise en œuvre de la Convention par les États parties. Dans l’exercice de cette fonction, le Comité s’engage à ce qui suit : « d. Adopter un questionnaire sur les dispositions sélectionnées pour examen dans chaque rond et conformément à l’article 18 du présent règlement ; e. Déterminer la composition des sous-groupes pour analyser les informations reçues des États parties auxquels ils ont été affectés pour réexamen, conformément à l’article 20 du présent règlement. Les coordinateurs suppléants des sous-groupes sont élus selon les besoins ; f. Adopter des rapports d’évaluation concernant chacun des États parties (country reports) […] , conformément aux procédures établies aux articles 19 à 24 du présent règlement et le soumettre à la Conférence, conformément à l’article 6.2 des statuts ; […] h. Adopter un rapport d’activité annuel, qui sera transmis à la Conférence ; […] l. Formuler des recommandations, jugées pertinentes, aux États parties, afin qu’ils puissent adopter les mesures nécessaires pour soutenir les droits fondamentaux des femmes lorsque des situations spécifiques justifient une déclaration. À cet effet, le secrétariat technique soumettra les informations pertinentes ; m. Élaborer des rapports thématiques lorsqu’ils sont approuvés par le Comité des experts. »
[8] La composition du CEVI et le mécanisme d’élection des experts reflète, à bien y voir, la composition des membres du Comité de l’ONU pour le droit des femmes : ici, ses membres sont élus pour quatre ans (article 17 § 2 de la Convention) ; bien qu’étant élus à partir d’une liste établie par les États, ils « siègent à titre personnel » en tant qu’experts indépendants et non en tant que délégués ou représentants gouvernementaux. Pourtant, ils ne sauraient recevoir d’instruction du gouvernement qui les nomme.
[9] Article 8 § 2 des Statuts du MESECVI.
[10] Voir l’article 9 de la Convention, qui impose aux États parties de tenir spécialement compte de la vulnérabilité de la femme aux actes de violence en raison, entre autres, de sa race ou de son origine ethnique, de sa condition de migrante, de refugiée ou de personne déplacée.
[11] L’article 1er de la Convention de Belém do Pará prévoit un principe général qui n’admet pas de dérogation. Selon cette prévision, on entend par violence contre la femme tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans la sphère publique que privée.
[12] MESECVI, Declaration on Feminicide, Washington D.C., 15 août 2008, doc. OEA/Ser.L/II.7.10 et MESECVI/CEVI/DEC.1/08, p. 6.
[13] MESECVI, Declaration on Gender Equality and Women’s Empowerment for the Good of Humanity, Panama, 28 novembre 2017, doc. OEA/Ser.L/II.7.10 et MESECVI/CEVI/doc.244/17.rev1, p. 2.
[14] MESECVI, Declaration on Political Harassment and Violence Against Women, Lima, 15 octobre 2015, doc. OEA/Ser.L/II.7.10 et MESECVI-VI/doc.117/15.rev2, 11 pages.
[15] Les objectifs généraux du Guide sont de souligner la complémentarité entre la Convention de Belém do Pará et d’autres instruments des droits de l’homme, et de favoriser le respect de ces obligations pour lutter contre la violence à l’égard des femmes du point de vue de la prévention, de la prise en charge, de la sanction et de l’éradication.
[16] Une confirmation indirecte de cette complémentarité entre la CADH et la Convention de Belém est fournie par l’article 11 de la Convention de Belém, qui accorde aux États parties et à la CIM la possibilité de demander un avis consultatif sur l’interprétation et l’application de la Convention de Belém à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, c’est-à-dire à l’une des deux instances établies par l’OEA pour veiller au respect des droits de l’homme sur le continent américain.
[17] Comme cela a été observé par S. Lando, « La perspective de genre dans la jurisprudence interaméricaine en application de la Convention Belém do Pará », Revue québécoise de droit international, vol. 28, n° 2, 2015, pp. 81-111 ; la Convention de Belém a aussi favorisé la reconnaissance de la différence de genre dans l’interprétation et l’application des instruments juridiques.
[18] Ceci surtout si l’on considère que, en 1994, seulement neuf États membres de l’OEA sur trente-quatre avaient adopté des lois destinées spécifiquement à la protection des femmes contre la violence, aussi bien singulièrement que dans le contexte familial. Voir L. P. MejÍa Guerrero, « La Comisión Interamericana de Mujeres y la Convención de Belém do Pará impacto en el Sistema Interamericano de Derechos Humanos », Revista IIDH, vol. 56, 2012, pp. 189-213.
[19] Par exemple, dans le domaine de la santé, le Comité a relevé que certains États ne respectent pas les obligations découlant de la Convention, telles que celle de garantir la pleine jouissance du droit à la vie, à la santé, à l’intégrité physique et mentale, et aussi les droits sexuels et à la procréation, y compris celui à la non-procréation. Ces droits passent, bien évidemment, aussi par l’établissement des lois et des politiques publiques qui permettent l’interruption de la grossesse au moins dans trois cas : i) lorsque la vie ou la santé de la femme est en danger, ii) lorsque le fœtus n’est pas viable pour survivre, et iii) dans les cas de violence sexuelle, d’inceste et d’insémination (Declaration on Violence against Women, Girls and Adolescents and their Sexual and Reproductive Rights, p. 7).
[20] Pour plus d’informations sur ces différences, voir le Troisième rapport mondial du MESECVI, qui documente les progrès réalisés dans vingt-quatre États de la région, dans le respect effectif des obligations assumées lors de la ratification de la Convention de Belém do Pará.
[21] En 2022, la Convention de Belém do Para a été ratifiée par trente-deux États d’Amérique latine. Pour des renseignements sur les ratifications de la Convention, voir https://www.cidh.oas.org/basicos/french/n.femme.rat.htm.
[22] À ce jour, le Canada et les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention. En revanche, l’Italie l’a signée mais la procédure de ratification est encore en cours, voir Third Hemispheric Report on the Implementation of the Belém do Pará Convention – Prevention of Violence against Women in The Americas – Paths to Follow, p. 5, § 1, disponible sur https://www.oas.org/en/mesecvi/docs/TercerInformeHemisferico-EN.pdf.
[23] Voir A. C. Ruy Cardia, « A violência contra a mulher e o Sistema Interamericano de Direitos Humanos : avanços na jurisprudência interamericana após 21 anos da edição da Convenção de Belém do Pará », précité.
[24] Sur cette perspective, voir S. Lando, « La perspective de genre dans la jurisprudence interaméricaine en application de la Convention Belém do Pará », précité, pp. 81-111.
[25] Pour des références sur ce point, voir S. García Ramírez, « Violación de derechos de mujeres y violencia de género en la jurisprudencia interamericana sobre derechos humanos », in F. M. Mariño (dir.), Feminicidio : el fin de la impunidad, Valence, Tirant lo Blanch, 2013, pp. 225-242.
[26] Article 2 de la Convention.
[27] Article 8 de la Convention.
[28] Article 8.b de la Convention.
[29] Article 8.c de la Convention.
[30] Préambule de la Convention.
[31] Article 7 de la Convention.
[32] Article 4 de la Convention.
[33] Article 8.e de la Convention.
[34] Article 6.a de la Convention.
[35] Pour des considérations similaires concernant la CEDAW, voir J.-P. Dubois, « Les discriminations sexistes au ban du droit international », in Femmes, hommes, libertés – la CEDAW a 30 ans, Hommes et libertés, hors-série, 2009, pp. 4 et 5.
[36] Statuts du Mécanisme de suivi de la mise en œuvre de la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme, dite « Convention de Belém do Pará », adoptés à Washington D.C. le 26 octobre 2004.
[37] Selon l’article 23 de la Convention, « le secrétaire général de l’Organisation des États américains soumet un rapport annuel aux États membres de l’Organisation sur les statuts de la Convention, y compris les signatures, dépôts d’instruments de ratification, d’adhésion ou les déclarations, ainsi que les réserves présentées par les États parties et, le cas échéant, un rapport sur ces réserves ».
[38] Pour des références sur ce point, voir la charte des ratifications de la Convention, https://www.cidh.oas.org/basicos/french/n.femme.rat.htm.
[39] Le texte de la Convention est disponible en français à l’adresse : https://rm.coe.int/1680084840.
[40] Voir M. Kimelblatt, « Reducing Harmful Effects of Machismo Culture on Latin American Domestic Violence Laws: Amending the Convention of Belém Do Pará to Resemble the Istanbul Convention », The George Washington international law review, vol. 49, n° 2, 2016, pp. 405-439.
[41] Voir CIADH, arrêt du 28 janvier 2009, Perozo et autres c. Venezuela, Série C, n° 195, §§ 295-29 ; CIADH, arrêt du 28 janvier 2009, Ríos et autres c. Venezuela, Série C, n° 194, § 279.
[42] Voir notamment CIADH, arrêt du 19 mai 2014, Véliz Franco et autres c. Guatemala, Série C, n° 277, §§ 178 et 207 ; CIADH, arrêt du 28 novembre 2011, Femmes victimes de torture sexuelle à Atenco c. Mexique, Série C, n° 371, § 15 ; CIADH, arrêt du 24 juin 2020, Guzmán Albarracín et autres c. Équateur, Série C, n° 405, §§ 111 et 124.
[43] Incidemment, il peut être utile de rappeler que le système interaméricaine des droits de l’homme est composé de plusieurs conventions régionales et que la Cour interaméricaine fait une application extensive de la Convention de Belém, en l’utilisant pour interpréter les obligations des États concernant les droits de femmes prévus par la Convention interaméricaine des droits de l’homme, ce qui garantit aussi une meilleure protection des droits des femmes et des filles (Voir notamment CIADH, arrêt du 28 novembre 2018, Femmes victimes de torture sexuelle à Atenco c. Mexique, Série C, n° 371, §§ 211, 215 et 222; CIADH, arrêt du 24 juin 2020, Guzmán Albarracín et autres c. Équateur, Série C, n° 405, §§ 111 et 124).
[44] Pour plus d’informations sur ce point, voir Y. Palacios, « Género en el derecho constitucional transnacional: casos ante la Corte Interamericana de Derechos Humanos: en conmemoración de los 100 años del Día Internacional de los Derechos Humanos de la Mujeres », Revista de la Facultad de Derecho y Ciencias Politicas de la Universidad Pontificia Bolivariana, vol. 114, 2011, pp. 131-165.
[45] Pour plus d’informations sur ce point, European Commission, « Tackling violence against women and domestic violence in Europe: The added value of the Istanbul Convention and remaining challenges », octobre 2020, disponible à l’adresse : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/33f9aa7a-4404-11eb-b59f-01aa75ed71a1; voir aussi J. Araujo Rentaría, « Violencia contra las mujeres en el espacio doméstico y la tutela del Estado: desafíos y limitaciones de la respuesta punitiva: simposio », Anuario de derechos humanos, vol. 5, 2009, pp. 61-81.
[46] Voir D. Šimonović, « Mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles: des progrès, mais des difficultés persistantes », disponible à l’adresse : https://www.un.org/fr/chronique-onu/mettre-fin-%C3%A0-la-violence-%C3%A0-l%E2%80%99%C3%A9gard-des-femmes-et-des-filles-des-progr%C3%A8s-mais-des ; voir aussi R. Manjoo, « Violence against women is a barrier to the effective exercise of all human rights », disponible sur à l’adresse : https://ishr.ch/latest-updates/violence-against-women-barrier-effective-exercise-all-human-rights/.