L’auteure de la communication, Tahereh, est une femme iranienne d’origine persane et musulmane chiite qui a grandi dans une famille stricte et patriarcale, sans aucune liberté, allant de celle de son choix vestimentaire à celle de travailler (§§ 2.1 et 2.2). Dans ce contexte, sa mère et ses sœurs ont subi des violences domestiques de la part de son père – sa mère a été battue chaque fois qu’elle a donné naissance à une fille, tandis que ses sœurs ont été forcées d’épouser des hommes choisis par lui (§ 2.2). Quant à l’auteure, les violences domestiques qu’elle a subies sont liées à sa volonté de se marier avec Amir Taher, d’origine iraquienne et musulmane sunnite, dont les différences ethniques et religieuses ont été fortement réprouvées par son père, qui a formulé des menaces si elle s’exécutait. Lorsque l’auteure est tombée enceinte, de fait hors mariage, son père et son frère l’ont battu et ont tenté de la forcer à avorter (§ 2.2).
Craignant pour sa sécurité, l’auteure et son compagnon ont fui dès le lendemain la République islamique d’Iran pour se réfugier chez un proche de ce dernier (§ 2.3). Ils s’y sont mariés religieusement et y ont eu leur premier enfant (§ 2.3). Un an plus tard, en 2015, après que son père – assisté des autorités iraniennes – ait réussi à obtenir sa localisation, l’auteure a reçu plusieurs menaces lui ordonnant de revenir seule. Après plusieurs mois à vivre dans la peur constante d’être enlevée, l’auteure et sa famille ont quitté illégalement l’Iraq en octobre 2015 pour la Türkiye. Ils se sont finalement rendus en Suisse en 2016, où ils ont déposé une demande d’asile le 3 août 2016 (§ 4.2). Le Secrétariat d’État aux migrations (ci-après la « SEM ») a rejeté leur demande le 21 décembre 2018, tout comme le Tribunal administratif fédéral le 21 avril 2021 s’agissant de leur recours (§ 2.5). Si, à la différence du SEM, les allégations ont été considérées comme crédibles par la juridiction suisse, celle-ci n’a pas estimé le risque de persécution et de mauvais traitements comme imminent et contre lequel les autorités iraniennes ne seraient pas en mesure d’offrir une protection adéquate (§§ 2.6 et 2.7). Le 8 juin 2021, l’auteure a introduit une requête devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après le « Comité »), pour violation des articles 1 à 3 (interdiction de la discrimination envers les femmes et engagement des États à adopter des mesures législatives et pratiques pour garantir l’égalité hommes-femmes dans tous les domaines), 15 (égalité juridique hommes-femmes) et 16 (égalité des droits hommes-femmes dans le mariage et les relations familiales) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après la « Convention »), en cas de son renvoi.
Au stade de la recevabilité, le Comité relève tout d’abord le respect de litispendance et de l’épuisement des voies de recours (§§ 6.2 et 6.3), avant de passer à l’examen de la motivation de la communication. Le Comité entame ce dernier en rappelant le § 21 de sa Recommandation générale n° 32 (2014), le § 7 de sa Recommandation générale n° 19 (1992) et le § 21 de sa Recommandation générale n° 35 (2017), dont l’ensemble constitue le cadre général des obligations qu’ont les États en matière de non-refoulement (§ 6.6, citant CEDAW, Sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, Recommandation générale n° 32, 2014, U.N. doc. CEDAW/C/GC/32, CEDAW, Sur la violence à l’égard des femmes, Recommandation générale n° 19, 1994, U.N. doc. HRI\GEN\1\Rev.1 et CEDAW, Sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n° 19, 2017, U.N. doc. CEDAW/C/GC/35). Puis, il relève que l’auteure a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité, ce qui lui permet de procéder à l’examen au fond (§ 6.7).
Aux fins de déterminer si l’État partie a effectivement procédé à une évaluation individualisée du risque réel, personnel et prévisible de persécution liée au genre et de violence liée à l’honneur que court l’auteure, le Comité prend note que toutes les allégations de l’auteure ont été soigneusement examinées par les services de l’immigration de l’État partie (§ 7.3) Par ailleurs, le Comité relève qu’il n’est pertinent d’apprécier le risque de formes graves de discrimination fondée sur le genre en cas d’expulsion que si la personne concernée ne peut pas obtenir une protection adéquate dans le pays de destination (§ 7.4). Alors que l’État partie avait jugé crédible l’existence d’un risque mais pas son caractère réel en raison du fait que celui-ci variait considérablement en fonction des circonstances concrètes d’une affaire (« risque abstrait de discrimination »), le Comité reproche à celui-ci d’avoir fondé son appréciation sur des stéréotypes liées au genre, ce faisant n’appréciant pas le risque personnel encouru par l’auteure (§ 7.5). À cet égard, le Comité soulève que l’État partie n’a pas tenu compte de la position de vulnérabilité de l’auteure en tant que femme ayant désobéi à son père, « déshonoré » sa famille en tombant enceinte hors mariage et épousé un homme d’une autre confession religieuse, couplée aux persécutions et violences mettant sa vie en danger de la part de sa famille patriarcale, qui, de surcroît, bénéficie de l’aide de la République islamique d’Iran (§ 7.6).
Nonobstant, pour satisfaire à ses obligations conventionnelles, encore faut-il que l’État partie se soit assuré que l’autre État avait la capacité d’offrir une protection contre ledit risque. D’autant que le Comité rappelle que la situation d’un État varie considérablement en fonction des circonstances concrètes d’une affaire, exigeant donc un examen casuistique (§ 7.4). Or, le Comité relève un ensemble d’éléments corroborant un cadre inadéquat de protection des femmes contre les violences fondées sur le genre que l’État partie a failli à apprécier – il s’agit d’une « discrimination institutionnalisée persistante à l’encontre des femmes et des jeunes filles dans la vie publique et privée, inscrite dans le droit et la pratique civils et pénaux de la République islamique d’Iran, les valeurs patriarcales et les comportements misogynes qui imprègnent de nombreux volets de la vie familiale iranienne, ainsi que la réticence de la force publique à intervenir dans les affaires de violence domestique et de crime d’honneur » (§ 7.6). Face à l’éventualité raisonnable d’un risque réel, personnel et prévisible que court l’auteure de devenir victime de formes graves de violence fondée sur le genre en cas de son renvoi en République islamique d’Iran, le Comité conclut à une violation des articles 1 à 3, 15 et 16 de la Convention et recommande à la Suisse la réouverture du dossier de demande d’asile de l’auteure et sa non-expulsion.
La prise en compte d’un contexte permissif de violences domestiques fondées sur le genre en lien avec l’obligation de non-refoulement est inédite et élargit l’appréciation du caractère personnel du risque de persécution que les États parties doivent mener. Bien que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH ») n’ait pas encore examiné une telle situation, il est probable qu’elle suivra l’approche du Comité. La CEDH a déjà établi que, dans les cas de passivité institutionnelle ou de manque de sensibilisation aux violences domestiques et de genre, une requérante n’a pas à prouver qu’elle a été personnellement ciblée par une discrimination (CEDH, arrêt du 19 novembre 2024, Vieru c. République de Moldova, req. n° 17106/18, § 134). En ce sens, la CEDH a déduit un tel contexte de tolérance de violences domestiques envers les femmes par l’absence de statistiques officielles exhaustives sur les victimes de violences domestiques et de ratification de la Convention d’Istanbul (CEDH, arrêt du 25 mai 2023, A.E. c. Bulgarie, req. n° 53891/20, § 120), ou encore par la requalification d’une infraction de violences domestiques en forme non-aggravée par les cours nationales (CEDH, arrêt du 12 décembre 2024, Hasmik Khachatryan c. Arménie, req. n° 11829/16, §§ 202 et 203). Appliqués au contexte de l’obligation de non-refoulement, de tels indicateurs révélateurs d’un contexte de tolérance dans l’État de destination pourraient être repris par les États parties du Conseil de l’Europe, afin qu’ils s’assurent du respect de leurs obligations. Cela étant, pour certains de ces États, en ce qu’ils sont également membres de l’Union européenne, la nationalité et le genre peuvent à eux-seuls suffire pour présumer un risque personnel – c’est ce qu’indique le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne selon lequel les autorités compétentes sont en droit de s’abstenir de procéder à une évaluation individuelle lors de l’octroi d’une protection internationale aux femmes afghanes (CJUE, renvoi préjudiciel du 4 octobre 2024, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl et autres, affaires C-608/22 et C-609/22, § 57).