À l’instar des deux précédentes affaires visant l’Espagne sur des faits de violence obstétricale portées devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après le « Comité ») (voir V. Bellami, « Chronique des constatations des comités conventionnels des Nations Unies », Droits fondamentaux, n° 21, 2023, pp. 84-88), l’auteure de cette communication allègue des violations des droits qu’elle tire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après la « Convention ») (§§ 3.2-3.7), en raison de deux séries de faits successives.
La première série de faits concerne un ensemble de pratiques subies par l’auteure lors de la prise en charge de son accouchement dans un hôpital public de Séville et dont les effets négatifs sur sa santé physique et psychique se sont prolongés durant le post-partum (§§ 2.1-2.6). La seconde série de faits concerne la prise en charge, administrative et judiciaire cette fois-ci, de la demande de réparation de l’auteure pour les dommages subis, rejetée, selon elle, sur le fondement de conceptions erronées et discriminatoires : par exemple, la méthode d’accouchement ne serait qu’une simple préférence exprimée par la patiente (§§ 2.7-2.13).
En particulier, la controverse réside dans l’appréhension par les professionnels de santé puis les autorités nationales de la décision de procéder à une césarienne, en contradiction, d’après l’auteure, avec les standards et protocoles en vigueur (§ 2.8, citant notamment OMS, « La prévention et l’élimination du manque de respect et des mauvais traitements de l’accouchement dans des établissements de soins », déclaration de l’OMS, doc. WHO/RHR/14.23, 2014). En outre, bien qu’une césarienne soit une « chirurgie abdominale majeure » (§ 2.8), elle n’y aurait pourtant pas consenti de manière éclairée (§§ 2.4, 2.7, 2.8 et 2.11). Cette chirurgie aurait été ensuite justifiée a posteriori, administrativement puis devant les juridictions, par l’urgence médicale, en raison de la stagnation de la progression de l’accouchement (§§ 2.8 et 2.10). A contrario, l’auteure soutenait que cette stagnation résultait en réalité de certaines pratiques médicales réalisées, telle l’administration d’ocytocine (§ 2.12). Pour les autorités judiciaires de première instance comme d’appel, l’urgence alléguée par les professionnels de santé justifiait qu’il n’était pas nécessaire de recueillir le consentement éclairé, préalable et informé de la patiente (§ 2.10), outre le constat, qu’en pratique, les professionnels auraient agi et informé la patiente avec la diligence nécessaire (§ 2.12).
Déboutée de son recours en amparo devant la Cour constitutionnelle (§ 2.13), l’auteure de la communication allègue des violations des droits qu’elle tire des articles suivants de la Convention : l’article 2, sur l’obligation étatique de lutter contre les discriminations, le 3, sur l’obligation positive de prendre des mesures pour concrétiser l’égalité femmes/hommes, le 5, sur l’élimination des préjugés et pratiques coutumières discriminatoires et, enfin, l’article 12, sur la discrimination dans le domaine de la santé, « y compris […] la santé sexuelle et procréative et […] une maternité sûre » (§ 3.6 ; v. également § 8 b) iv), où le Comité recommande « des recours utiles en cas d’atteinte au droit à la santé procréative des femmes »).
Sans grande surprise eu égard tant à sa jurisprudence précédente, telle qu’elle ressort des constatations dans les affaires S.F.M. c. Espagne (constatations du 28 février 2020, communication n° 138/2018, U.N. doc. CEDAW/C/75/D/138/2018) puis N.A.E. c. Espagne (constatations du 27 juin 2022, communication n° 149/2019, U.N. doc. CEDAW/C/82/D/149/2019), qu’aux faits de l’espèce – en particulier la césarienne sans consentement préalable, libre et éclairé –, le Comité conclut à la violation par l’État de ses obligations au titre des articles de la Convention invoqués par l’auteure (§ 7.14), tant pour les traitements subis durant la prise en charge de son accouchement (§ 7.12) que pour ceux ayant provoqué sa revictimisation devant les autorités nationales (§§ 7.10, 7.11 et 7.13).
Toutefois, les constatations rendues par le Comité sont loin d’être de seules « constatations d’application », en raison tant de ce qu’elles approfondissent que de ce qu’elles laissent incertain.
Sur les approfondissements d’abord, le Comité qualifie de nouveau explicitement l’ensemble des traitements subis par l’auteure lors de la prise en charge médicale de son accouchement de « violences obstétricales », contribuant ainsi à asseoir cette qualification dans la sphère juridique (§ 7.12). Ensuite, par son application, le Comité confirme le libellé de principe de N.A.E. c. Espagne selon lequel, au titre de la Convention, les États doivent « […] fournir aux femmes des informations adéquates à chaque étape de l’accouchement, en imposant l’obligation d’obtenir leur consentement libre et éclairé avant tout traitement invasif pendant l’accouchement » (§ 8 b) ii)). Pour rappel, dans N.A.E., le Comité avait supprimé la réserve de l’urgence qui permettait aux professionnels de santé de se passer ou de passer outre le consentement des patients (CEDAW, N.A.E. c. Espagne, op. cit.). La confirmation de cette suppression dans M.D.C. est particulièrement importante puisque précisément, en l’espèce, l’équipe médicale arguait de l’urgence pour procéder à la césarienne. En outre, le Comité dénonce la reprise telle quelle par les juridictions de l’argument de l’urgence sans le questionner ou l’expertiser suffisamment (§§ 7.10 et 7.11). Enfin, l’idée selon laquelle « [il appartiendrait] au médecin […] de décider de pratiquer ou non une césarienne, sans avoir à étudier les autres solutions possibles, à expliquer les raisons de l’intervention à la patiente ni à demander son consentement éclairé, alors que l’auteure avait refusé cette opération », est « stéréotypée et donc discriminatoire » et, par suite, ne pouvait être mobilisée par les juridictions pour rejeter les recours de l’auteure (§ 7.13).
Sur les incertitudes ensuite, l’obligation de recueillir le consentement ne semble toujours pas valoir en toutes circonstances. En maintenant la formulation retenue dans l’affaire N.A.E. précitée, le Comité semble acter la substitution du caractère non-invasif du traitement à celui de l’urgence. Pourtant, il rappelle à nouveau le positionnement de la Rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes, ses causes et ses conséquences, pour laquelle « le consentement éclairé avant toute intervention médicale relative à la santé procréative et à l’accouchement est un droit fondamental » (§ 7.8 [nous accentuons], voir son rapport « Adoption d’une démarche fondée sur les droits de la personne dans la lutte contre les mauvais traitements et les violences infligés aux femmes dans les services de santé procréative, en particulier les violences commises pendant l’accouchement et les violences obstétricales », 11 juillet 2019, U.N. doc. A/74/137). Ce maintien est d’autant plus surprenant qu’entre temps, dans sa « Recommandation générale n° 39 sur les droits des femmes et des filles autochtones », adoptée en octobre 2022, le Comité estime que « les États parties [devraient] veiller à ce que le consentement préalable, libre et éclairé […] [soit respecté] dans le cadre de la prestation de service », indépendamment, semble-t-il, de sa nature invasive ou non (CEDAW, Sur les droits des femmes et des filles autochtones, Recommandation générale n° 39, 2022, U.N. doc. CEDAW/C/GC/39, § 52 a)). En outre, cette formulation demeure illogique : si, eu égard à leurs modalités ou potentielles conséquences, des traitements invasifs supposent une exigence renforcée de consentement, des traitements « non invasifs » ne supposent-ils pas une exigence minimale de consentement ? Enfin, cette formulation présente des risques pour les patients. En effet, le critère de « traitements invasifs » en lui-même apparaît fuyant. Tout comme l’évaluation du caractère douloureux d’un traitement, la détermination de son caractère invasif n’est-elle qu’une « question technique », laissée à l’appréciation – en principe – experte d’un professionnel de santé en amont, puis impartiale d’une autorité administrative ou judiciaire en aval ? Ou bien, cette détermination doit-elle se coconstruire dans le contexte des patients et avec eux ? Qui décrète de ce caractère invasif ou non invasif est un enjeu majeur, a fortiori, dans le contexte de l’accouchement, à propos duquel le Comité œuvre pourtant à la reconnaissance de ses multiples facettes (intime, médicale, sociale, sociétale, culturelle, etc.) et à la déconstruction des rapports de pouvoirs entre les professionnels de santé et la patientèle.
Aussi, dans sa communication, l’auteure demandait au Comité d’adopter « une recommandation générale sur [le] problème [de la violence obstétricale], qui est une réalité dont pâtissent des femmes du monde entier » (§ 3.7). Bien que cette demande dépasse les compétences du Comité dans le cadre des constatations individuelles (Protocole facultatif à la Convention, doc. A/RES/54/4, 1999, article 2), elle invite le Comité à renforcer sa position en matière de violences obstétricales et, partant, à réévaluer l’étendue de l’exigence de consentement au regard de la Convention. Pour notre part, si une telle recommandation était envisagée, elle devrait idéalement proposer, en outre, une lecture de l’ensemble des enjeux de sexualité et de procréation – parmi lesquels, notamment, la lutte contre les violences obstétricales (mais aussi gynécologiques), l’accès à l’interruption de grossesse, etc. – au prisme de l’ensemble des domaines pertinents de la Convention – la santé, y compris sexuelle et procréative, la participation à la vie culturelle, le mariage et la vie familiale, etc.