Les auteurs de la communication, C et D, de nationalité colombienne, sont un journaliste spécialisé dans la réalisation de documentaires et sa femme, respectivement (§ 2.1). Ils agissent également au nom de leurs enfants, E et F (§ 1.1). En 2019, C est chargé par le gouvernement de réaliser une série de documentaires sur la réintégration des anciens combattants des FARC-EP (§ 2.2). Cette mission le place rapidement dans une situation périlleuse : dès le début du tournage, il reçoit des menaces par des dissidents des FARC-EP exigeant la suppression et la non-diffusion de son travail, sous peine de représailles contre lui et sa famille. C choisit d’abord de taire les événements à D, avant de la faire emménager avec leurs enfants dans un appartement sécurisé à Bogota (§ 2.3). Le 27 novembre, les menaces sont réitérées (§ 2.3). Malgré cela, C livre son travail le 6 décembre, puis se cloître avec sa famille chez lui. Le 24 décembre, le gouvernement commence la diffusion de son travail, et dès ce jour, C reçoit des appels suspects. C’est notamment le 26 décembre, lors d’un appel qu’il a enregistré, où il est désigné « cible militaire » (§ 2.6). Le 29 décembre, juste avant de quitter la Colombie, C et D déposent plainte à l’aéroport (§ 2.7). La famille arrive en Suisse le 5 janvier (§ 2.8). Entre le 23 janvier et le 4 juin, les autres documentaires sont progressivement mis en ligne (§ 2.9).
Le lendemain de leur arrivée, le 6 janvier, les auteurs sollicitent l’octroi de l’asile auprès des autorités suisses, qui leur est rejeté le 15 mai au motif de l’absence d’actes concrets de la part des dissidents, et qu’ils n’avaient pas pris de mesures pour assurer leur protection, notamment en ne demandant pas l’aide des autorités colombiennes (§ 2.10). Le 18 janvier, les auteurs font appel de cette décision devant la juridiction compétente, qui rejette leur demande d’aide juridictionnelle le 13 juillet 2020, puis leur recours de manière définitive le 11 mars 2021, pour défaut manifeste de fondement (§§ 2.11 et 2.12). Les auteurs décident alors de saisir le Comité contre la torture (ci-après le « Comité ») le 4 juin 2021 en invoquant une violation des articles 3, sous ses volets procédural (droit à un recours effectif) et matériel (obligation de ne pas refouler une personne face à des motifs sérieux de croire à un risque de torture), et 16 (obligation de prendre des mesures efficaces pour prévenir la commission d’actes constitutifs de torture) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après la « Convention »). Une mesure conservatoire est adoptée par le Comité le 9 juin 2021 (§ 1.2).
Après avoir relevé le respect des conditions de recevabilité énoncées à l’article 22 de la Convention, le Comité examine plus particulièrement le grief des auteurs selon lequel l’État partie aurait violé leurs droits procéduraux en procédant à un examen sommaire reposant sur des informations obsolètes (§ 3.2). Selon le Comité, qui se réfère à son Observation générale n° 4 (2017), l’État partie a effectué un (ré)examen effectif, indépendant et impartial de leur demande d’asile, en se fondant sur des éléments précis et solidement étayés (§ 6.3 ; CAT, Sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, Observation générale n° 4, 2017, U.N. doc. CAT/C/GC/4). De la même manière, le refus d’accorder une aide juridictionnelle pour non-satisfaction des conditions n’emporte pas automatiquement une violation de leurs droits procéduraux. Le Comité déclare irrecevable cette partie de la communication pour défaut de fondement (§ 6.3). Cependant, est admise la recevabilité des allégations au titre du volet matériel de l’article 3 et de l’article 16 de la Convention. À cet égard, il écarte l’argument de l’État partie d’une incompatibilité ratione materiae basée sur l’allégation des auteurs qu’ils courent un danger de mort et non un risque de torture ou de mauvais traitements en cas d’expulsion, puisque l’existence de l’un comme l’autre peut soulever des questions au regard de ces articles de la Convention (§ 6.4).
Procédant à l’appréciation du risque encouru par les auteurs en cas de leur expulsion vers la Colombie, soit l’examen au fond, le Comité en profite pour énumérer clairement les critères de ce que constituent des motifs sérieux, posés dans son Observation générale n° 4 (2017) et précisés au fil de sa jurisprudence. Ainsi, outre le caractère prévisible et réel du risque d’être soumis à la torture, qui peut être caractérisé par l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives (CAT, X c. Pays-Bas, constatations du 5 décembre 2019, communication n° 863/2018, U.N. doc. CAT/C/68/D/863/2018, § 8.3), les auteurs doivent apporter des arguments circonstanciés qu’ils courent ce risque de manière personnelle (CAT, Y. G. c. Suisse, constatations du 26 novembre 2018, communication n° 822/2017, U.N. doc. CAT/C/65/D/822/2017, § 7.3). Quant à l’État partie, il doit s’assurer que ce risque n’existe pas, tant de la part d’organes étatiques que d’entités non-étatiques, en raison d’une tolérance ou d’une impunité (§ 7.6).
En s’appuyant sur des rapports variés d’organisations spécialisées, telles que Human Rights Watch ou Reporters sans frontières (§ 7.9), le Comité reconnaît que la protection des journalistes en Colombie demeure insuffisante, notamment face aux groupes armés dissidents. Ce constat, renforcée par la facilité avec laquelle les dissidents ont eu accès à des informations relatives aux auteurs (§ 7.7), et la médiatisation du travail de C par le gouvernement colombien, a permis de conclure à un risque réel en cas de retour en Colombie, dont leur réinstallation dans une autre partie du territoire ne suffirait pas compte tenu de l’absence de protection généralisé des journalistes œuvrant contre les intérêts des dissidents (§ 7.9). En conséquence, le Comité conclut à une violation de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi des auteurs en Colombie par l’État partie (§ 8).