Une exposition de photos de l’artiste suédois D.P., tenue dans les locaux du Parlement danois à Copenhague, sous les auspices du Parti populaire danois, a été qualifiée de discriminatoire et d’incitation à la discrimination et à la haine par Momodou Jallow, ancien porte-parole de l’Association nationale des Afro-Suédois et coordinateur national du Réseau européen contre le racisme en Suède. Il saisit le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après, le « Comité »), en vue de constater la violation par le Danemark de son obligation positive de lutter contre les discours racistes motivés par la haine au titre de l’article 4 a), lu conjointement avec l’article 6, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « Convention »), et de l’alinéa c de l’article 4 de la Convention, ainsi que du droit à un recours utile garanti par l’article 6 de la Convention.
Le Comité a estimé manifestement mal fondé et irrecevable le grief de l’auteur tiré de la violation du droit à un recours utile garanti par l’article 6 de la Convention (§ 6.6). En revanche, les griefs formulés en vertu de l’article 4 a), lu conjointement avec l’article 6, et de l’alinéa c de l’article 4 de la Convention ont été déclarés recevables et donné lieu à un examen au fond.
Afin de déterminer si l’État s’est acquitté de son obligation positive de prendre des mesures efficaces contre les incidents de discrimination raciale signalés, le Comité a essayé de déterminer si les expositions des images de l’artiste ont constitué l’expression d’un discours raciste motivé par la haine au sens de ces dispositions ; et ensuite, si l’État partie a pris des mesures efficaces pour lutter contre tous les cas de discours racistes motivés par la haine, comme l’exige l’article 4, lu conjointement avec l’article 6 de la Convention (§ 7.3). Le Comité a souligné que l’analyse du caractère raciste des images exposées doit tenir compte du droit à la liberté d’opinion et d’expression garanti par le droit international des droits de l’homme, y compris les expressions faites sous forme d’art. Toutefois, ce droit à la liberté d’expression n’est pas illimité. Il faut ainsi trouver un équilibre entre le droit à la liberté d’expression, d’une part, et l’obligation de l’État partie de lutter contre les discours racistes d’autre part. À ce titre, un certain nombre de facteurs contextuels doivent être pris en compte, tels que le contenu et la forme du discours, le climat économique, social et politique dans lequel il est prononcé, la position ou le statut de l’orateur, la portée du discours et les objectifs du discours. Le Comité a rappelé, conformément à sa Recommandation générale n° 35 (« Lutte contre les discours de haine raciale », 83ème session, 2013, U.N. doc. CERD/C/GC/35), que l’expression d’idées et d’opinions exprimées dans le cadre de débats universitaires, d’engagements politiques ou d’activités similaires, et sans incitation à la haine, au mépris, à la violence ou à la discrimination, devrait être considérée comme un exercice légitime du droit à la liberté d’expression, même lorsque ces idées sont controversées (Ibid., § 25). Cependant, le Comité n’a pas considéré que le but des expositions contestées était uniquement de lancer un débat sur les limites de la liberté d’expression. Au contraire, il a considéré que ces expositions avaient également servi à diffuser les images et leur contenu raciste. En conséquence, le Comité a conclu que l’affichage des cinq images ne peut être justifié par référence au droit à la liberté d’expression, mais constitue un discours de haine raciste au sens de l’article 4 a) de la Convention (§ 7.10). Le Comité rappelle sa jurisprudence Gelle c. Denmark (constatations du 6 mars 2006, communication n° 34/2004, U.N. doc. CERD/C/68/D/34/2004, § 7.3), selon laquelle il ne suffit pas, aux fins de l’article 4 de la Convention, de se contenter de déclarer les actes de discrimination raciale punissables sur le papier. Au contraire, les lois pénales et les autres dispositions juridiques en vigueur interdisant la discrimination raciale doivent également être effectivement appliquées par les institutions compétentes de l’État. Cette obligation est implicite à l’article 4 de la Convention, en vertu duquel les États parties s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives pour éliminer toute incitation à la discrimination raciale ou tout acte de discrimination raciale.
Le Comité a conclu à une violation de l’article 4 a), lu conjointement avec l’article 6, de la Convention (§ 8) en demandant à l’État partie des excuses, l’octroi d’une réparation intégrale et la prise de mesures destinées à faciliter une application efficace de la législation en vigueur au regard des dispositions de la Convention.