N. 01 - 2001

2001 et après…

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Après la fin de la « guerre froide » qui a marqué la deuxième moitié du XXème siècle, à l’ombre de la dissuasion nucléaire entre les grandes puissances, le monde basculerait-il soudain dans une « paix chaude », où les Etats eux-mêmes seraient en proie aux menaces les plus folles ?

Aujourd’hui comme hier, les droits fondamentaux restent un défi. Les droits universels et indivisibles proclamés en 1945 par la Charte des Nations Unies, au mitan d’un siècle marqué par « le fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances » ne doivent pas être des voeux pieux.

Ils représentent la seule base possible d’un ordre international fondé sur une communauté d’Etats de droit refusant la loi du plus fort entre les nations ou la discrimination entre les personnes. Ils constituent un ensemble d’obligations internationales et de normes internes qui obligent tous les Etats mais aussi chacun de nous. Mais cet édifice patiemment édifié sur les ruines de la deuxième guerre mondiale reste sans cesse menacé.

Paradoxalement, le succès de systèmes spécialisés de protection des droits de l’homme, depuis l’essor de la Convention européenne des droits de l’homme, a contribué à occulter le tableau d’ensemble, comme si l’arbre cachait la forêt. Pourtant dès le début des années quatre-vingt-dix, les « guerres balkaniques » ont illustré cette contradiction tragique alors même que l’Europe célébrait sa liberté et son unité retrouvées. Le droit international humanitaire et le droit international pénal sont redevenus des priorités, face aux violations massives et systématiques des droits de l’homme qui n’épargnent aucun continent, les Etats n’étant plus les seuls responsables des « crimes internationaux », mais aussi des individus, voire des organisations.

Plus que jamais s’impose, ici comme ailleurs, le rappel du caractère universel des principes consacrés par la Déclaration du 10 décembre 1948 au nom de l’ensemble des Nations Unies, au moment même où le rideau de fer s’abattait sur le monde.

Il s’agit, comme le dit la Charte des Nations Unies, dès ses premiers mots – renouant avec l’idéalisme kantien qui fonde la paix perpétuelle sur un « fédéralisme d’Etats libres » – de « proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans  la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites« .

Forts de ces valeurs partagées, le moment nous a semblé être venu de présenter non pas tant une nouvelle revue consacrée aux droits de l’homme – il en existe déjà depuis une

dizaine d’années d’excellentes comme la Revue trimestrielle des droits de l’homme (Bruxelles) et la Revue universelle des droits de l’homme (Strasbourg) consacrées pour l’essentiel au contentieux européen – mais plutôt de concevoir une revue nouvelle, un instrument de réflexion et de travail, utilisant toutes les ressources des nouvelles technologies, pour répondre aux nouveaux enjeux du droit international et aux nouveaux acteurs de la vie internationale.

De nouvelles technologies

L’apport fascinant des nouvelles technologies permet enfin de concilier la réaction rapide à l’événement et l’analyse de fond, à travers une approche diversifiée. Nous souhaitons allier la réflexion exhaustive, empreinte d’esprit de rigueur et d’ouverture sur l’avenir, propre aux grands annuaires scientifiques – dont le modèle reste l’Annuaire français de droit international ou tout récemment l’Annuaire français des relations internationales – et l’ouverture aux débats et aux forums des revues périodiques spécialisées ou des bulletins d’information. Il s’agit de remettre en perspective l’actualité éphémère, mais aussi de nourrir le débat théorique aux sources les plus récentes.

Nous souhaitons en effet très étroitement mêler cette approche doctrinale irremplaçable  et un renvoi systématique aux sources documentaires de plus en plus riches, notamment au sein des organisations internationales et des ONG. Cette littérature n’est « grise » que pour ceux qui ne savent pas la lire. A travers des chroniques et des commentaires, nous chercherons à situer les enjeux principaux des textes de référence désormais accessibles  à tous.

Encore faut-il que cette masse de textes soit immédiatement et exactement publiée en français, pour permettre à cette langue porteuse d’un message de liberté, d’égalité et de fraternité – qui est statutairement une des langues officielles des diverses organisations et juridictions internationales – de rester une véritable langue de travail. Cet accès immédiat des universitaires et des praticiens à la version officielle française des textes internationaux est un enjeu majeur pour l’avenir de la francophonie.

De nouveaux enjeux

Nous entendons privilégier une approche juridique des droits fondamentaux, non seulement par vocation universitaire, mais aussi parce que le potentiel du droit international en ce domaine a été trop souvent sous-estimé. Faire connaître les résultats  et les lacunes, les avancées et les limites du droit reste une priorité.

Certes l’expérience exemplaire de la Convention européenne des droits de l’homme est aujourd’hui bien connue des praticiens. Mais on ne saurait se limiter à la seule protection juridictionnelle des droits civils et politiques, au nom d’un discours fallacieux sur les « générations des droits de l’homme ». Il importe de prendre en compte « tous les droits de l’homme pour tous les hommes« , en donnant leur pleine place aux droits économiques, sociaux et culturels, ces « droits sous-développés ». L’exigence de la démocratie, de la bonne gouvernance et du droit au développement sont aujourd’hui indissociables.

S’il y a bien en droit international une première génération des droits de l’homme, c’est celle du droit humanitaire, née au coeur du XIXème siècle, et plus moderne que jamais. De nouveaux enjeux juridiques sont apparus récemment, avec la prise en compte de l’impératif humanitaire, puis la place désormais occupée par le « droit pénal  international » – dont les limites étatiques restent évidentes, comme l’a illustré l’affaire Pinochet – et demain par un véritable « droit international pénal« , avec la future Cour pénale internationale. Les menaces terroristes donnent une tragique actualité à cette justice internationale qui doit constituer la priorité de « la communauté internationale  dans son ensemble ».

La chute du mur de Berlin, a marqué symboliquement pour le monde entier, une nouvelle dynamique pour les droits de l’homme après la longue paralysie idéologique de la guerre froide puis de la coexistence pacifique : non que le triomphe des « valeurs  démocratiques » et l’affirmation de l’indivisibilité de tous les droits de l’homme soient aujourd’hui partout assurés dans le monde, mais parce que les progrès intellectuels qui se sont aussitôt traduits par la Charte de Paris pour une nouvelle Europe en 1990 et par la Déclaration et programme d’action de la Conférence mondiale des droits de l’homme de Vienne en 1993, ont donné de nouveaux moyens pratiques, diplomatiques ou juridiques, pour promouvoir et protéger les droits de l’homme. Face aux guerres civiles ou aux crises internationales, les Etats ne sauraient renoncer à ces principes « qui constituent  les  assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde » selon la forte formule du préambule de la Convention européenne de 1950.

De nouveaux acteurs

Au-delà des Etats, le rôle de nouveaux acteurs est aujourd’hui consacré, qu’il s’agisse des organisations internationales – avec leurs agents, leurs juges, leurs experts indépendants – ou des différentes composantes d’une société civile internationale en devenir. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la coalition des ONG a joué un rôle moteur dans le « processus d’Ottawa » sur l’interdiction des mines anti-personnel comme pour le succès  de la Conférence de Rome sur la Cour pénale internationale. Mais, après la contestation brutale de la globalisation de Seattle à Gênes, ou la violence verbale du forum antiraciste de Durban, la nébuleuse anarchique de la « société civile » a encore à faire ses preuves pour incarner ce que d’aucuns appellent « un nouvel espace démocratique international« .

Déjà, à l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, le Forum du millénaire a consacré un nouveau « contrat social » réunissant sur un pied d’égalité organisations internationales, entreprises multinationales et ONG indépendantes autour de valeurs communes et d’objectifs concrets. Dans le cadre national ou transnational, des « codes de conduite » et des « principes directeurs » ont été adoptés, ouvrant un nouveau champ pour associer droits de l’homme et acteurs privés – non sans ambiguïtés et contradictions – en privatisant la protection des droits de l’homme et en cherchant à moraliser les relations économiques.

Mais là encore, chaque progrès est souvent l’occasion d’une réaction et d’une remise en cause. Les défenseurs des droits de l’homme – malgré la consécration symbolique qu’a constitué la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et

organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnues adoptée au consensus par  l’Assemblée générale le 9 décembre 1998 – sont trop souvent l’objet de violations systématiques. Accusées de tous les maux jusque dans les pays libéraux, les ONG indépendantes ont à faire face à la concurrence de simples prête-nom, les « GONG » les « ONG gouvernementales »… Les Etats ont tout intérêt à mêler ainsi le bon grain et l’ivraie, pour mieux pratiquer l’amalgame et dénoncer le « manque de légitimité et de transparence » des ONG.

Ainsi, le « droit des gens » est sans cesse menacé. C’est en ce sens que notre revue, qui se veut avant tout juridique, ne saurait séparer l’évolution du droit positif et l’émergence d’une communauté internationale. Le sous-titre choisi – droit, éthique, société – l’indique clairement : Les droits de l’homme – au carrefour de la liberté individuelle et de l’éthique internationale – concernent désormais non seulement « tous les peuples et toutes les nations » mais aussi « tous les individus et tous les organes de la société ».