[Publication] Pôle Droits Humains de la Clinique juridique de droit international d’Assas – Publication des constatations de l’affaire n°136/2021 (Camila c. Pérou) du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies

Il y a un an, en partenariat avec le Pôle Droits humains de la Clinique de droit international d’Assas (CDIA), cinq étudiantes du séminaire « Nations Unies et droits de l’homme », Emma Boudet, Victoria Hernandez Andreu, Camille Iriartborde Casado, Lucile Jay-Robert, Evelyse N’Da Koussan,  ont eu l’autorisation de transmettre aux parties de l’affaire n° 136/2021 (Camila c. Pérou) devant le Comité des droits de l’enfants des Nations Unies une tierce intervention, sous la direction du Pr. Olivier de Frouville et de Mmes Victoria Bellami et Victoria Dhaisne.

Le 13 juin dernier, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies a publié les constatations rendues par le Comité (disponibles en intégralité en espagnol sur : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRC%2FC%2F93%2FD%2F136%2F2021&Lang=en). Les cinq cliniciennes ainsi que leurs encadrants sont honorés d’avoir pu contribuer, à travers leur tierce intervention, aux réflexions du Comité et à la protection des droits humains en matière de santé sexuelle et reproductive des enfants.

Dans cette affaire, Camila (pseudonyme), violée dès l’âge de neuf ans par son père, tombe enceinte à l’âge de treize ans en 2017. Ni l’hôpital auprès duquel elle avait formulé une demande d’avortement thérapeutique, justifiée en vertu de la loi péruvienne applicable, ni le procureur chargé de l’enquête pour viol auprès duquel elle avait demandé une autorisation d’interruption volontaire de grossesse, ne lui ont répondu. Camila avorte spontanément et est condamnée pour « auto-avortement ». Au cour de ces procédures, Camila subit l’humiliation, le harcèlement et la stigmatisation des autorités de santé, de police et de justice. Privée de recours en droit interne, elle présente alors une communication en 2020 au Comité des droits de l’enfant.

Au regard du droit international des droits humains applicable, le Comité conclut à la violation par le Pérou de nombreux articles de la Convention relative aux droits de l’enfant, notamment les 2, 6, 13 §1, 16 § 1, 19, 24, 37 a) et 39 de la Convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que l’article 12 § 1, lu conjointement avec les articles 6 et 24 (§8.18).

En ce sens, les constatations du Comité rejoignent les éléments présentés par les cinq étudiantes, dans leur tierce intervention (telle que résumée au § 1 de l’Annexe I des constatations), laquelle arguait que « la criminalisation, le refus ou la limitation de l’avortement pour les filles, quelles que soient les circonstances, est une violation des droits reconnus dans la Convention » [notre traduction].

La catégorisation de ces interdictions, refus ou limitations comme « violences de genre » dans le contexte de la Convention relative aux droits de l’enfant, notamment au sens des travaux du Comité contre l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, avancée également dans la tierce intervention, a été mise en évidence par le Comité des droits de l’enfant. En effet, il « […] considère que le fait que l’auteur n’ait pas eu accès à un avortement sûr et qu’elle ait ensuite été incriminée pour s’être avortée elle-même constitue en soi une différence de traitement fondée sur le genre de l’auteur, puisqu’elle s’est vue refuser l’accès à un service essentiel à sa santé et qu’elle a été punie pour ne pas s’être conformée aux stéréotypes sexistes concernant son rôle en matière de procréation. » (§ 8.15) [nos traduction et accentuation].

Par ailleurs, le Comité rejoint les suggestions de la tierce intervention, en ce qu’il considère que pour constater des violations de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, il faut prendre en compte « […] l’impact particulier du refus de l’avortement sur les filles, ainsi que d’autres facteurs supplémentaires de vulnérabilité, tels que le fait d’être victime de violences sexuelles » (§ 8.11) [notre traduction].

Par conséquent, le Comité demande à l’État, entre autres mesures, de « dépénaliser l’avortement dans tous les cas de grossesse infantile », ainsi que de « garantir l’accès à des services d’avortement sûrs et à des soins post-avortement pour les jeunes filles enceintes, en particulier en cas de risque pour la vie et la santé de la mère, de viol ou d’inceste » [notre traduction] (§ 9). Dans le prolongement des standards en matière d’accès à l’avortement en droit international des droits humains, il convient d’interpréter cette garantie d’accès de manière large. Toutefois, il est possible de s’interroger sur l’emploi du terme « mère » dans un contexte où, précisément, le « refus de maternité » est stigmatisé, alors qu’il avait été logiquement évité par le Comité des droits de l’homme dans le § 8 de son Observation générale n°36 sur le droit à la vie (CCPR/C/GC/36), consacré à l’accès à l’avortement.

Par ailleurs, le Comité n’a pas repris à son compte l’interdiction, le refus et la limitation de l’accès à l’avortement comme une « pratique préjudiciable », au sens de son Observation générale n°18, tel que suggéré par les cinq cliniciennes (tel que présenté dans le § 1 de l’Annexe). Ainsi qu’elles l’argumentent, cette catégorisation aurait pu permettre d’ancrer davantage la protection du « contrôle de sa propre santé et de son propre corps, y compris la liberté sexuelle et reproductive » (§ 8.14 des constatations) et des « droits sexuels et reproductifs » y afférent (§ 8.11 des constatations), dans ses travaux et de mettre en lumière l’universalité historique et culturelle de leur négation.