Si l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le « Pacte ») est la seule disposition qui traite de manière expresse de la question de l’expulsion d’un étranger du territoire d’un État, la contestation d’une telle mesure peut se faire sur le fondement d’autres dispositions, telles que l’article 17 relatif au droit à la vie privée, ou encore l’article 23 relatif au droit au mariage et la protection de la famille. Dans sa communication, visant à établir la violation de ses droits garantis par le Pacte par l’Australie, qui a pris à son égard une mesure d’expulsion, M. Isley, s’est fondé sur les articles 17 et 23 du Pacte, en rajoutant l’article 14 (droit au procès équitable) (§§ 2.1-2.6).
Des faits de l’espèce, il ressort que M. Isley, né au Royaume-Uni et résidant en Australie depuis l’âge de 4 ans et ce, sans interruption depuis octobre 1971, a fait l’objet d’une mesure de placement dans un centre de rétention pour migrants et d’une décision d’expulsion à la suite de l’annulation de son visa de résident permanent. Ces mesures interviennent en 2015 en raison de la condamnation pénale dont il a fait l’objet 2011, pour des faits d’« inceste par un beau-parent et d’attentat à la pudeur sur la personne d’un enfant de moins de 16 ans », confirmée en 2012 par la Cour suprême de Melbourne. Conformément au droit australien, cette décision peut faire l’objet d’un recours en annulation. Cependant, l’annulation ne peut être prononcée qu’à la condition que celui qui la sollicite jouisse d’une bonne moralité. Le ministre de l’Immigration, autorité compétente en la matière, a rejeté la demande de M. Isley au motif qu’il ne satisfaisait pas à cette condition, en raison de la gravité des infractions qu’il avait commises, qui l’emportait sur tout autre intérêt individuel. Devant le Comité des droits de l’homme (ci-après le « Comité »), M. Isley soutient que la décision d’expulsion dont il fait l’objet constitue une violation de son droit au procès équitable, son droit à la protection de sa vie privée et de sa vie familiale. Ainsi, le Comité était appelé à déterminer dans quelle mesure les liens familiaux et la situation personnelle de M. Isley rendaient son expulsion contraire au Pacte (§§ 3.1-3.3).
Le Comité a déclaré le recours partiellement irrecevable. En effet, il a déclaré irrecevable rationae materiae le point relatif à l’article 14 du Pacte (§ 7.4). La requête aurait pu, selon le Comité, être abordée sous l’angle de l’article 13 du Pacte. Cependant, en l’absence d’invocation de cette disposition par le requérant, il ne peut pas soulever cette violation d’office. Toutefois, le Comité déclare recevables les allégations relatives aux violations des articles 17 et 23 du Pacte (§ 7.5).
Le Comité devait se prononcer sur le fait de savoir si la mesure d’expulsion constituait une immixtion arbitraire dans la vie de famille de l’auteur de la communication. À titre liminaire, le Comité observe que la mesure est légale (§ 8.3). Il se concentre sur son caractère arbitraire et l’analyse à l’aune d’autres « éléments tels que le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité » (§ 8.4). En ce sens : « les critères utilisés pour établir si l’immixtion dans la vie de famille dans un cas donné peut ou ne peut pas être justifiée objectivement doivent être considérés d’une part eu égard à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser l’intéressé et d’autre part eu égard à la situation de détresse dans laquelle la famille de celui-ci et ses membres se trouveraient suite à l’expulsion » (§ 8.4) Le caractère arbitraire s’apprécie donc à l’aune de la mise en balance entre le motif de l’expulsion et l’atteinte à la vie familiale, à la fois concernant la personne expulsée et les autres membres de sa famille. Ce dernier élément renvoie au critère de solidité des liens familiaux, identifié par la Cour européenne des droits de l’homme comme élément à prendre en compte en pareil cas (CEDH, arrêt du 9 avril 2019, I.M. c. Suisse, req. n° 23887/16, § 69).
Pour déterminer si le risque de récidive peut l’emporter sur toute considération relative à la vie familiale de M. Isley, comme le soutient l’Australie, le Comité prend en compte toute une série d’évènements intervenus avant, pendant et après sa détention. D’abord, avant sa détention, le Comité note qu’il n’y a pas eu de récidive (§ 8.6). Ensuite, pendant sa détention, le Comité note que l’auteur de la Communication a suivi plusieurs programmes de réadaptation, à l’issue desquels il été a déclaré que le risque qu’il récidive était minime. Enfin, le Comité tient compte de l’inscription de l’auteur sur la liste des délinquants sexuels et la surveillance dont il faisait l’objet. Concernant les liens familiaux, le Comité note que M. Isley entretient des rapports sérieux avec sa famille et avec sa fiancée. Concernant cette dernière, cela se démontre par exemple par ses visites durant toute sa période de détention. En cas d’expulsion définitive, comme le note le Comité, eu égard aux arguments de l’État dans la présente procédure (§ 8.6), ce lien sera rompu définitivement car elle ne dispose pas de moyens financiers lui permettant de se rendre au Royaume-Uni. De plus, le Comité prend en compte le fait que l’ensemble des membres de sa famille sont Australiens et vivent en Australie. À ce propos, le Comité prend également en compte le lien qu’il entretient avec les membres décédés de sa famille, en relevant le fait que les parents de M. Isley ont été enterrés en Australie. Cette position du Comité se rapproche de celle la Cour interaméricaine des droits de l’homme concernant le fait que la rupture du rapport des vivants aux morts peut entraîner une ou plusieurs violations des droits de l’homme (CIADH, arrêt du 29 avril 2004, Massacre Plan de Sánchez c. Guatemala (fond), Série C, n° 116, § 87, voir notamment l’opinion séparée de M. le Juge Cançado Trindade).
Si le Comité procède à une telle mise en balance, c’est parce qu’il considère que le simple fait qu’une expulsion occasionnerait une séparation entre des membres d’une famille ne suffit pas pour emporter une atteinte à la vie familiale, encore faut-il qu’elle perturbe gravement le maintien des liens familiaux (v. CCPR, Madafferi et consorts c. Australie, constatations du 30 juillet 2004, n° 1011/2001, U.N. doc. CCPR/C/81/D/1011/2001, § 8.7). Ainsi, dans la mesure où un tel risque se présentait en l’espèce, notamment au regard de l’ensemble des évènements relatifs à la condamnation de l’auteur de la communication, dans la vie de sa fiancée et le maintien de tous ses liens familiaux, le Comité constate qu’il y a une atteinte disproportionnée à la protection de sa vie familiale (articles 17 et 23 du Pacte). En d’autres termes, les violations découlent de la sévérité de la sanction infligée à M. Isley.
Cependant, Mme Marcia V. J. Kran, M. Carlos Gómez Martínez, et M. Teraya Koji ont joint une opinion dissidente conjointe à la Constatation. Selon ces auteurs, la présente décision s’écarte de la position jurisprudentielle du Comité (§§ 1-3). Pour parvenir à leur conclusion, les auteurs font un parallèle entre le refus de la nationalité et le retrait d’un visa permanent. Cette analogie repose probablement sur les avantages quasiment identiques qu’offrent ces statuts, notamment en matière d’expulsion. En effet, ces deux statuts garantissent, d’une certaine façon, une présence pérenne sur le territoire d’un État. Cependant, bien que l’analogie soit fondée, l’auteur de la communication n’a nullement entendu se prévaloir du lien de rattachement en revendiquant que l’Australie constitue son « propre pays » dans le cadre de sa requête. Cela se déduit de son argument lorsqu’il affirme que cette communication se distinguait de celle de M. Stewart, qui se fondait sur ce lien (§ 5.6 ; CCPR, Stewart c. Canada, constatations du 16 décembre 1996, communication n° 538/1993, U.N. doc. CCPR/C/58/D/538/1993).
À cette décision s’ajoutent également deux opinions individuelles concordantes. Dans la première, M. Hernán Quezada Cabrera considère que le Comité aurait dû motiver d’avantage son choix de faire une économie de moyens afin d’éviter toute confusion concernant l’établissement des violations alléguées (Annexe II). Dans la seconde, M. Rodrigo A. Carazo estime qu’en pareil cas, M. Isley doit être considéré comme étant « un national », bien que ce dernier, n’ait pas prétendu à un tel statut (Annexe III). Ainsi, il considère que ce qu’il faut assurer comme garantie, c’est le rétablissement de la personne dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant son expulsion.