N. 22 - 2024

Note sous Comité des droits de l’homme, Edvards Kvasnevskis c. Lettonie, 25 octobre 2023, communication n° 3244/2018, U.N. doc. CCPR/C/139/D/3244/2018

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Bien que galvaudée, la question des restrictions du droit de se présenter aux élections fait l’objet, ici, de conclusions surprenantes : le Comité des droits de l’homme (ci-après le « Comité ») valide l’obligation lettone d’appartenance à un parti à rebours de la protection du système démocratique (Opinion individuelle (dissidente) de Rodrigo A. Carazo, § 2).

L’auteur, Edvards Kvasnevskis, ressortissant letton, est cofondateur de l’Association des locataires de Lettonie, défendant les locataires, principalement étrangers, expulsés de logements anciennement utilisés comme logements sociaux qui ont été restitués à leurs anciens propriétaires (§ 2.1). Malgré l’indifférence des partis politiques pour la question du logement (§ 2.2), il refuse d’abord de rejoindre un parti craignant que cela nuise à son engagement associatif (§ 2.3). Il rejoint finalement le « Tautas Saskanas Partija » en 2008 (§ 2.4) mais en est exclu en 2010 pour avoir mené une initiative sans autorisation (§ 2.5). Ses demandes d’inscription aux élections restent sans réponse (§ 2.6). Or, l’article 9 de la loi électorale exige l’appartenance à un parti politique pour se présenter (§ 2.3). Il saisit la Cour constitutionnelle, alléguant que cette disposition est contraire à son droit d’être élu (§ 2.8). Le 28 avril 2010, il est débouté pour absence de candidature aux élections législatives du 2 octobre 2010 (§ 2.8). Le 19 juillet 2010, sa demande d’inscription sur une liste de candidats auprès de la Commission électorale centrale est rejetée faute d’affiliation politique (§ 2.9), décision confirmée par la Cour constitutionnelle (§ 2.10). Il figure finalement sur la liste de l’Union russe de Lettonie, dont aucun candidat ne sort élu (§ 2.11). La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH ») déclare sa requête irrecevable en 2014 (§ 2.12). Devant le Comité, il soutient la violation de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après le « Pacte ») (§ 3.1).

En premier lieu, le Comité doit vérifier la recevabilité de la communication : absence de litispendance, épuisement des voies de recours internes et compatibilité ratione materiae des griefs (§§ 7.1-7.5). Concernant la clause de litispendance de l’article 5 § 2 a) du Protocole facultatif, le Comité doit vérifier « si la même question est en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ». Or, il est de jurisprudence constante que si la CEDH rejette la requête de l’auteur exclusivement pour des motifs de procédure, le Comité ne peut conclure que celle-ci a procédé à un examen au fond emportant application de la clause de litispendance (CCPR, Mahabir c. Autriche, constatations du 26 octobre 2004, communication n° 944/2000, U.N. doc. CCPR/C/82/D/944/2000, § 8.3 ; CCPR, Linderholm c. Croatie, constatations du 23 juillet 1999, communication n°744/1997, U.N. doc. CCPR/C/66/D/744/1997, § 4.2). Concernant l’épuisement des voies de recours internes, deux questions sont soulevées. D’une part, l’État souligne que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en raison de l’irrecevabilité formelle de sa requête devant la Cour constitutionnelle. Or, le Comité rappelle qu’il a bien invoqué ses griefs au fond conformément à l’exigence matérielle que sous-tend l’épuisement des voies de recours internes (CCPR, B. d. B. et autres c. Pays-Bas, constatations du 30 mars 1989, communication n° 273/1989, U.N. doc. CCPR/C/35/D/273/1988, § 6.3 ; CCPR, Van Alphen c. Pays-Bas, constatations du 29 mars 1989, communication n° 305/1988, U.N. doc. CCPR/C/39/D/305/1988, § 5.3). D’autre part, l’État reproche à l’auteur de ne pas avoir contesté son exclusion du parti « Tautas Saskanas Partija ». Or, le Comité considère que ce recours n’est pas utile, car il n’aborde pas le fond du grief relatif à son droit de se présenter aux élections (CCPR, José Vicente et autres c. Colombie, constatations du 29 juillet 1997, communication n° 612/1995, U.N. doc. CCPR/C/60/D/612/1995, § 5.2 ; CCPR, Ellis c. Jamaïque, constatations du 28 juillet 1992, communication n° 276/1988, U.N. doc. CCPR/C/45/D/276/1988, § 6.1 ; CCPR, Howard c. Canada, constatations du 26 juillet 2005, communication n° 879/1999, U.N. doc. CCPR/C/84/D/879/1999, § 12.2). Enfin, le Comité rejette très logiquement l’exception d’irrecevabilité ratione materiae car un grief tenant aux restrictions du droit de se présenter aux élections rentre bel et bien dans le champ d’application de l’article 25 du Pacte (CCPR, Article 25 (Droit de prendre part à la direction des affaires publiques), Observation générale n° 25, 1994, U.N. doc. HRI\GEN\1\Rev.1, § 17).

En second lieu, le Comité examine ensuite les griefs au fond. S’il s’agit d’une affaire classique pour n’importe quelle société démocratique, une question inédite se pose en l’espèce : l’obligation d’appartenir à un parti pour se présenter à des élections constitue-t-elle une restriction disproportionnée des droits protégés par l’article 25 du Pacte ? Jusqu’alors, le Comité n’avait traité que d’une affaire sur la conventionnalité des systèmes à parti unique (CCPR, Chiiko Bwalya c. Zambie, constatations du 14 juillet 1993, communication n° 314/1988, U.N. doc. CCPR/C/48/D/314/1988, § 6.6). Ici, la problématique ne se situe pas dans le manque de pluralisme qu’implique un système de partis, mais dans le système de partis en lui-même. Pour répondre à cette question, le Comité rappelle, conformément à son Observation générale n° 25 (1994), que : d’une part, le droit de se présenter à des élections ne devrait pas être limité de manière déraisonnable en obligeant les candidats à appartenir à un parti (§ 8.6) ; d’autre part, le Pacte n’impose aucun système électoral particulier tant que celui-ci est compatible avec les droits garantis par l’article 25 et que ses limitations sont fondées sur une base légale et des critères objectifs et raisonnables (§ 8.7). À ce stade, la solution est manifeste : l’obligation est inconventionnelle et le constat de violation devrait tomber. Pourtant, de manière surprenante, le Comité conclut à la non-violation. Il affirme de manière laconique la licéité de la restriction en invoquant un « objectif légitime [de] représentation parlementaire proportionnelle, fondée sur la synergie et la concurrence entre partis politiques » (§ 8.7) à rebours de son Observation générale n° 25 (1994). Il développe en soulignant que ce système a permis à des personnes sans parti politique de se présenter à l’élection en s’inscrivant sur des listes proposées par des partis, sans percevoir qu’il s’agit précisément du cœur de la problématique soulevée par l’auteur. Comme le souligne l’expert Rodrigo A. Carazo, cette justification « s’avère être totalement subjecti[ve] et privilégie les partis politiques » (Opinion individuelle (dissidente) de Rodrigo A. Carazo, § 2) de manière injustifiée et déconnectée de la réflexion engagée sur le monopole accordé aux partis dans une démocratie.

Ce faisant, le Comité s’éloigne de ses homologues interaméricains et africains qui caractérisent la violation (CADHP, arrêt du 14 juin 2013, Tanganyika Law Society et autres c. Tanzanie, req. n° 009/2011 et 011/2011, § 109), notamment dès lors que la représentation effective des intérêts de populations vulnérables est entravée (CIADH, arrêt du 23 juin 2005, Yatama c. Nicaragua (exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts), Série C, n° 127, §§ 215-217). Or, c’est précisément le désintérêt des partis politiques pour la situation des personnes étrangères en Lettonie qui motivait la candidature indépendante de l’auteur, ce dont le Comité aurait dû tenir compte. S’alignant sur l’approche subsidiaire de la CEDH (CEDH, GC, arrêt du 18 février 1999, Matthews c. Royaume-Uni, req. n° 24833/94, § 64), il fait preuve d’une prudence décevante face aux questions sensibles que posent le contentieux électoral