N. 22 - 2024

Note sous Comité des droits de l’enfant, B. J. et P. J. c. Tchéquie, 15 mai 2023, communication n° 139/2021, U.N. doc. CRC/C/93/D/139/2021

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Les constatations adoptées par le Comité des droits de l’enfant (ci-après le « Comité ») ont trait au retrait forcé de deux enfants résidant initialement chez un de leurs parents divorcés de nationalité tchèque. Eu égard aux conditions familiales ayant conduit, selon les autorités nationales, à la fragilisation de la santé psychologique des auteurs, l’État ordonna le placement de ces derniers en institution afin de garantir leur bien-être physique et psychologique.

En février 2019, l’autorité compétente chargée de la protection de l’enfant, a déposé une demande de mesures provisoires auprès du Tribunal de première instance visant entre autres la scolarisation des auteurs et leur prise en charge psychiatrique (§ 2.4). Cette demande fut rejetée au motif que la forme de protection prise par l’autorité locale était totalement inefficace notamment au regard de l’avenir scolaire des auteurs (§ 2.5). Le juge d’appel, saisi par les tuteurs ad litem des auteurs, n’a pas suivi le même raisonnement. Il considéra, pour sa part, que la mesure de placement poursuivait bel est bien le but de conférer une meilleure protection aux auteurs en s’appuyant principalement sur les manquements des parents à leurs obligations. Il décida de responsabiliser les parents défaillants en limitant drastiquement les contacts avec leurs enfants, placés désormais en institution, à une heure par semaine pour chacun d’eux (§ 2.8). En août 2019, la mère saisit vainement la Cour constitutionnelle aux fins de voir prononcer l’inconstitutionnalité des mesures ordonnées ayant débouché sur le placement de ses enfants sans prise en compte de leur droit de parole et alléguant le caractère arbitraire de cette décision (§ 2.12).

C’est dans ce contexte que les auteurs saisissent le Comité en invoquant la violation des droits qu’ils tiennent au titre des articles 3 §§ 1 et 2 (intérêt supérieur de l’enfant), 5 (droit de l’enfant d’être guidé par ses parents ou par les membres de sa famille), 9 §§ 1 à 3 (droit à la vie familiale), 12 (droit de parole de l’enfant), 16 (droit de l’enfant au respect de la vie privée), 18 § 1 (responsabilité parentale), 20 § 1 (protection et assistance de l’enfant privé de son milieu familial), 24 § 1 (droit à la santé), 28 § 1 et 29 § 1 (droit à l’éducation), 37 b) et d) (interdiction de privation illégale de liberté et droit de bénéficier d’une assistance juridique en garantissant un procès équitable et rapide), et 39 (droit à la réadaptation et à la réinsertion) de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après la « Convention ») à laquelle l’État tchèque est partie depuis 1990.

Avant de s’intéresser au fond, le Comité s’est assuré de la recevabilité de la communication.

À l’issue des délibérations, il a jugé irrecevables les griefs formulés sur le terrain des articles 3 § 2, 16, 18 § 1, 20 § 1, 24 § 1, 28 § 1, 29 § 1, 37 d) et 39 de la Convention, faute de développements suffisants par les auteurs.

S’agissant des griefs retenus, le Comité s’est fondé sur sa position constante selon laquelle l’intérêt de l’enfant réside dans le maintien des relations personnelles avec ses parents sauf si cela est contraire à son intérêt supérieur. En effet, l’intérêt supérieur de l’enfant doit déterminer l’existence de contacts entre lui et sa famille et plus particulièrement ses parents. Partant, se référant à son Observation générale n° 14 (2013), le Comité rappelle qu’en dépit des bouleversements familiaux qui peuvent justifier l’aménagement de cette règle et légitimer l’éloignement de l’enfant de ses parents, cette mesure « ne devrait être prise qu’en dernier ressort » (§ 8.3), dans le cas où l’enfant se trouve exposé à un risque imminent de préjudice « ou pour toute autre raison impérieuse » (ibid.). En tout état de cause, « la séparation ne devrait pas intervenir si une mesure moins intrusive permet de protéger l’enfant » (CRC, Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, Observation générale n° 14, 2013, U.N. doc. CRC/C/GC/14, § 61).

Outre le caractère exceptionnel de l’interruption ou de la limitation des liens personnels de l’enfant avec ses parents, cette mesure doit être temporaire et provisoire. La rupture ou la suspension des liens familiaux doivent être de la durée la plus courte possible et s’inscrire dans une procédure de réexamen régulier.

A l’instar des appréciations effectuées par d’autres organes internationaux de contrôle dans les affaires concernant le droit à la vie familiale, le Comité apprécie le maintien des relations personnelles non seulement en tant que droit mais également en tant qu’élément de caractérisation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme l’illustre l’arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège (que le Comité invoque dans les présentes constatations à l’appui de son raisonnement) la ligne jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l’homme exige de privilégier le maintien du lien familial puisque l’intérêt supérieur de l’enfant implique ipso facto de maintenir ses liens avec sa famille sauf si son intérêt supérieur s’y oppose et sous réserve d’un contrôle juridictionnel conformément aux lois et procédures applicables (CEDH, arrêt du 22 décembre 2020, M.L c. Norvège, req. n° 64639/16, §§ 79 et 95 ; CEDH, arrêt du 13 octobre 2022, Hýbkovi c. République Tchèque, req. n° 30879/17, §§ 71 et 85). Or, le Comité considère qu’il en va autrement en l’espèce puisque la mesure provisoire « ne limitait pas la durée du placement et n’était pas soumise à l’examen régulier du tribunal » (§ 8.9).

Fidèle à une approche in concreto, le Comité ne manque pas de rappeler utilement que les droits à la santé et au développement de l’enfant ne peuvent être garantis au détriment de celui d’entretenir des relations personnelles entre ce dernier et sa famille. La particularité de l’espèce tenait à ce que le droit des auteurs au maintien de leurs relations personnelles avec leurs parents était sacrifié par l’État partie au nom de la protection de la santé de l’enfant en garantissant son bon développement. Or, en appliquant le test de proportionnalité, le Comité conclut à la violation des articles 3 § 1, et 9 §§ 1-3, du fait de la défaillance des autorités à leur obligation positive de prendre des solutions adéquates et de procéder à l’évaluation des conséquences – non seulement actuelles mais également potentielles – de la séparation des auteurs de leurs parents (§ 8.6). Si le Comité retient une telle conclusion c’est semble-t-il parce qu’il estime que la mise en œuvre effective des droits de l’enfant suppose l’accroissement des efforts de l’État via une démarche qui favorise la parentalité positive (Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Recommandation aux États membres relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive, adoptée le 13 décembre 2006 lors de la 983e réunion des Délégués des Ministres, doc. CM/Rec (2016)19) et réduit l’intensité de la fragmentation du système de protection des droits de l’enfant (CRC, Observations finales concernant le rapport de la République tchèque valant cinquième et sixième rapports périodiques, 2021, U.N. doc. CRC/C/CZE/CO/5-6, § 30 a)).

Au surplus, ces constatations fournissent l’occasion au Comité de se prononcer sur le fondement de l’article 37 b) de la Convention. Bien que les enfants placés puissent être privés de leur liberté, il considère que l’institutionnalisation constitue une privation arbitraire de liberté et reconnaît in casu la violation systématique de cet article en raison de la violation des droits garantis aux intéressés par la Convention (§ 8.5). Cela étant, une argumentation plus développée aurait peut-être permis une meilleure compréhension de la substance de ce principe et des conditions exigées pour en caractériser la violation.

S’agissant des allégations relatives au défaut d’audition des auteurs tout au long du processus décisionnel, le Comité constate un véritable défaut de diligences dans la procédure menée par les autorités responsables de la tutelle ayant interjeté appel contre le gré des auteurs (§ 8.14) ainsi que par les juridictions qui n’ont pas cherché à recueillir la parole des intéressés (ibid.). Il en résulte une violation de l’article 12 de la Convention. Sur ce terrain, on notera que le droit de parole reconnu à l’enfant doué de discernement revêt une double nature : un droit qui doit s’exercer conformément à son intérêt et un instrument de mesure dont dispose le juge afin de caractériser l’intérêt supérieur de l’enfant et se prononcer conformément à celui-ci.